Projet Le droit naturel en Suisse (1625-1850)

Description du projet

Le droit naturel moderne

Publiée en 1625, l’œuvre majeure de Hugo Grotius, De jure belli ac pacis, marque un tournant dans la tradition du droit naturel. Elle fait de son auteur, au même titre que Thomas Hobbes et Samuel Pufendorf, l’un des fondateurs du droit naturel moderne. Cette discipline à la charnière de la philosophie et du droit, vise à expliquer systématiquement les droits et les devoirs de l’individu à l’état de nature, ainsi que dans la société civile. D’abord développée dans les pays protestants, puis dans les milieux catholiques, elle s’est progressivement étendue à toute l’Europe. Ses thèses, largement diffusées par les traductions et les commentaires des grands traités de ses fondateurs en langue vernaculaire, ont été enseignées dans les universités et les hautes écoles d’Europe et d’outre-mer. Au XIXe siècle, bien qu’encore enseigné, le droit naturel perd en influence et se voit en partie remplacé par la philosophie du droit. Présent dans des domaines divers, tels que le droit, la philosophie morale et politique, ainsi que les arts et la littérature, le langage du droit naturel a fortement imprégné la pensée du XVIIIe siècle. Certaines de ses doctrines sont considérées comme étant à l’origine des premières déclarations des droits de l’homme, et notamment de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’école romande du droit naturel

Les Républiques suisses ont joué un rôle particulièrement important dans la transmission et la vulgarisation du droit naturel au temps des Lumières. Le célèbre jurisconsulte huguenot, Jean Barbeyrac (1674-1744), a enseigné à l’Académie de Lausanne de 1711 à 1718. Lors de son recrutement, il était déjà connu pour ses traductions et ses commentaires des traités de Pufendorf, le De iure naturae et gentium libri octo (1672) et le manuel De officio hominis et civis juxta legem naturalem (1673). Le rayonnement de l’œuvre de Barbeyrac (→ projet LL "Correspondance Barbeyrac"), l’influence du droit naturel dans l’enseignement des Académies de Lausanne et de Genève, ainsi que l’importance de cette discipline dans les productions littéraires – en partie manuscrites – de l’époque permettent d’établir l’existence d’une véritable école romande du droit naturel.

Avec Barbeyrac, Jean-Jacques Burlamaqui (1694-1748) et Emer de Vattel (1714-1767) comptent parmi les représentants les plus importants de cette école romande. Burlamaqui a enseigné le droit naturel à l’Académie de Genève de 1723 à 1739, en élaborant ses leçons sur la base de la traduction française du manuel de Pufendorf. Ses leçons ont été publiées en deux volumes, sous les titres de Principes du droit naturel (1747) et de Principes du droit politique (1751). Jean-Jacques Rousseau, son concitoyen genevois, reconnaît l’importance de ces traités dans la tradition du droit naturel, tout en critiquant cette dernière : il reproche à ses représentants de confondre l’homme naturel et l’homme civilisé. Vattel est quant à lui l’auteur d’un traité influent sur le droit des gens, inspiré des écrits du philosophe allemand Christian Wolff. Il a ainsi contribué à rendre ce dernier accessible à un public qui n’avait plus le goût de lire des traités volumineux rédigés en latin. Toutefois, en raison de l’importance que Vattel accorde à la souveraineté des Etats, Le droit des gens qu’il publie en 1758 constitue une véritable réinterprétation de l’œuvre de Wolff.

D’autres figures ont également contribué au rayonnement de cette école romande de droit naturel, à l’instar de Fortuné-Barthélemy de Félice (1723-1789). A l’Académie de Lausanne, c’est Charles Guillaume de Loys de Bochat (1695-1754) qui succède à Barbeyrac. Après lui y enseignent Béat-Philippe Vicat (1715-1770), Jacques Abram Daniel Clavel de Brenles (1717-1771), Christian Dapples (1740-1801), Henri Vincent Carrard (1766-1820), Charles Secretan (1784-1858), Charles Comte (1782-1837), François Pidou (1799-1877) et Charles Secretan (1815-1895), le neveu du précédent. On peut encore mentionner Gabriel Seigneux de Correvon (1695-1775), Jean-Georges Pillichody (1715-1783) et Samuel Porta (1716-1790), tous trois liés à l’Académie de Lausanne, sans y avoir directement enseigné.

A l’Académie de Genève, il faut relever, en plus de Burlamaqui, la présence de Philippe Reinhard Vitriarius (1647-1720), Bénigne Mussard (1657-1722), Pierre Mussard (1690-1767), Jean Cramer (1701-1773), Pierre Pictet (1703-1768), Pierre Lullin (1712-1789), Pierre Prevost (1751-1839) et Jean Antoine Cramer (1757-1818). Jean-Alphonse Turrettini (1671-1737) est aussi lié à la tradition genevoise du droit naturel. A Neuchâtel, l’enseignement du droit naturel est exercé par Louis Bourguet (1678-1742). Et, enfin, dans le canton pourtant catholique de Fribourg, trois professeurs dispensent des cours de droit naturel : Tobie Barras (1746-1813), Jean-François Ducros (1775-1824) et Jean-François-Marcellin Bussard (1800-1853).

Le droit naturel enseigné outre-Sarine

Le droit naturel fut également enseigné dans d’autres Républiques suisses. Nous avons notamment tenu compte de l’enseignement dispensé à l’Université de Bâle par Johann Rudolf von Waldkirch (1677-1757) et Andreas Weiss (1713-1792), à l’Académie de Berne par Johan Caspar Seelmatter (1644-1715), Gottlieb Jenner (1696-1774), Sigmund Ludwig Lerber (1723-1783), Daniel von Fellenberg (1736-1801), Karl Ludwig Salomon Tscharner (1754-1841) et Wilhelm Snell (1789-1851). Dans le contexte zurichois, nous relevons la présence de Johann Heinrich Schweizer (1646-1705) et de Johann Heinrich Heidegger (1663-1698), rattachés au "Carolinum", et de Hans Caspar Escher (1678-1762).

Sociabilité, égalité naturelle et inégalités sociales

Nous avons d’une part d’exploré les sources liées à l’enseignement du droit naturel en Suisse. Dans ce contexte, une attention particulière est accordée aux leçons de Burlamaqui, dont les sources manuscrites n’ont encore jamais fait l’objet d’une étude critique. Nous nous intéressons aussi aux représentants moins connus de l’école romande, qui ont enseigné le droit naturel dans le sillage de Barbeyrac et de Burlamaqui, ainsi qu’à l’enseignement du droit naturel à l’Université de Bâle, dans les Hautes Ecoles de Berne et de Zurich et à l’Ecole de droit de Fribourg. Les découvertes les plus importantes – qu’il s’agisse par exemple de notes de cours ou de dissertations – sont publiées sur ce site.

Le projet suisse avait d’autre part pour but d'étudier la diffusion du droit naturel dans les Lumières suisses, françaises et écossaises. Le sujet qui nous intéresse particulièrement à cette fin est celui des relations au sein du foyer (entre époux, parents et enfants, maîtres et domestiques). Dans la tradition du droit naturel moderne, la famille est généralement considérée à l’état de nature comme une forme de société précédant la fondation de l’Etat. Les conceptions de la famille diffèrent, cependant, en fonction de la manière dont les penseurs conçoivent la nature de l’homme. Le choix de ce thème permet d’approfondir deux problématiques centrales des théories du droit naturel : celle de la sociabilité et celle de la tension entre égalité naturelle et inégalités sociales.

Remerciements

Nous remercions le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) pour le financement, ainsi que les institutions dépositaires des manuscrits, soit la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, les Archives cantonales vaudoises et la Bibliothèque de Genève.

Ce projet a été mené sous la direction de Simone Zurbuchen et avec la collaboration de Lisa Broussois, Justine Roulin et Aline Johner. La coordination sur Lumières.Lausanne a été assurée par Béatrice Lovis, qui a succédé à Séverine Huguenin.

Ce projet est la contribution suisse au projet de recherche international Natural Law 1625-1850, qui porte sur le droit naturel en tant que discipline académique. Tout en favorisant l’étude et la publication de sources locales inédites, ce réseau incite les équipes de recherche de différents pays à collaborer et encourage ainsi vivement les études comparatives et transversales.

Citer comme

Lumières.Lausanne, projet "Le droit naturel en Suisse (1625-1850)", dirigé par Simone Zurbuchen, Université de Lausanne, url: https://lumieres.unil.ch/projets/droit-naturel, version du 20 août 2018.

Références bibliographiques

Littérature primaire

Littérature secondaire