Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Marseille, 04 janvier 1742

de marseille ce 4e janvier 1742

je te l'ay dit mon cher amy et te le rèpeteray sans te facher
je conçois que l'on croit quand on 1 mot biffure cherche a croire puisque pascal a
cru, mais je n'ay jamais comprits que l'on acquit ny mème conserva
de la foy en cherchant a s'èclaircir, ne confonds point ces deux
choses et tu avoueras que tu n'es et n'as jamais eté que dans le
premier de ces deux cas, je voudrois mon cher frèdèric une vie
èternelle ne fut ce que pour toy qui m'en parois on ne peut pas
plus digne, mais comme si je l'admettois dans le courant, dont je
ne scaurois sortir pour faire bande a part, je serois obligé de
t'echauder eternellement tu me permettras de me contenter des
desirs les plus vifs pour ta prospèrité dans ce monde, mais
parlons d'autre chose

jay bien peur que tes connoisseurs en poèsie ne soient, ne soyent
pour ce que les grenouilles du temps ont apelé la poèsie moderne
vers boursouflès qui étranglent 5 ou 6 pensèes, et n'en epxpriment
bien aucune, ils prétendent que voltaire est l'inventeur de ce genre
de poèsie, quoyqu'il fut aisé de prouver que cet autheur qui n'a fait
des vers que dans la henriade, a totalement emprunté la fabrique
de racine qui quelquefois paroit moins romflant a cause de lègalité
de son style soutenu et admirable; tiens toy pour dit mon cher
amy, (et du moins pour la poèsie maccorderas tu des connoissances
reelles) que tout ce qui n'est point racine, despreaux, et rousseau
tout ce qui s'en eloigne dans le style s'en s'eloigne du bien, quelques
sots les ont frondé dans ce temps cy, de mème que l'on prefera
soux néron, le guindé et l'emphasé de lucain au style d'or de virgile
<1v> et la vaine profusion de mots de gnèque a la male eloquence de
ciceron, laes postérité véritables connoisseurs s'en tinrent au gout
du vray beau et la postèrité aen pensé comme eux

tu scais l'intérest que je prends a ton avancement dans l'etat
cest mème en desirer l'avantage connoissant comme je fais la justice
de ton coeur et la justesse de ton esprit, la nouvelle que tu me
donnes sur cela me fait en conséquence un bien sensible plaisir
ma mère qui me charge toujours de te dire mille choses t'aime
autant que moy, et par conséquent... mais explique moy comment
il se fait une promotion particuliere je croyois que tout se nommoit
en bloc. tu ne seras jamais aussy heureux que je le desire

je vois par ta lettre pleine de l'esprit qui regne dans ta capitale
que les insinuations des ministres de la reine de hongrie ont totalement
prèvalu dans l'esprit politique du corps helvètique, mais a en raisonner
sans prèvention avec toy, je doute que la constitution présente doive
donner d'aussy vives allarmes a ta nation, l'union entrelle, ne
scauroit qu'ettre excellente etant sa baze et sa force, du reste
mon cher amy je parle a l'aveuglete ainsy que tout le monde
mais tu verras que la france par le traitè a venir auquel
vous ne ferés rien, ne s'aggrandira point, cette maison est dirés
vous bien puissante, mais fréderic ce n'est que d'un coté, autrefois
l'autriche, tenoit l'allemagne, franche comté paÿs bas, presque
toute l'italie, et l'espagne reunie pepiniere de heros alors,
maintenant sables et retraite de quelques véroles inutiles, et dont
le prince ne se sert que d'ètrangers, le roy despagne faisoit
librement passer ses troupes d'ital du milanois dans les paÿs
bas, vous eutes alors raison de vous opiniatrer a conserver la
valteline, c'etoit le temps de craindre; il est vray que la maison
de france va s'etendre en italie, mais fréderic, le prince des asturies
n'a point d'enfants dontc carlos sera rapelé en espagne et
<2r> vous verrès tomber tout cela, de mème que l'allemagne demeurer
dans son entier aux maisons germaniques, une chose pourtant
a laquelle vous servès partout, pourroit etre dans la suitte la cause
de votre assugettissement, je veux dire l'agrandissement des princes
depuis la découverte de l'or il semble que tout le genre humain
se soit donné le mot pour se laisser manger a dix ou douze bazes
rien ne dépopule autant la terre que les dominations étendues
nombre de petits états paroissent faire une consommation effroyable
par le ferment continuel de l'un a l'autre, cepandant l'experience
nous prouve le contraire, lisès les commentaires de césar et voyes
quel peuple immense sortoit de touts les bouts de cette germanie
qui ne vivoit neanmoins alors dans la plus grande fèrocité, qu'est ce
aujourd'huy que l'or y a pénétré, tachès de vous en garentir brave
peuple de cet or corrupteur et ennemy de votre ancienne vertu
et vous serès assès forts pour ne prendre peu de part aux inquietudes
de vos voisins; vous tu verras peutètre ce mètal circuler dans l'a diette
qui doit se former, en ce cas la regarde le comm'un ennemy plus
a craindre qu'une maison qui s'afoiblit en s'aggrandissant, et ne
blame pas tant votre inattention sur l'exterieur, pour ne
penser qu'au dedans si vos soins tendoient a y maintenir lesprit
de droiture et de modération, avec cela vous n'aurèsries rien a craindre
que les hollandois intriguent, que 1 mot biffure venise politique, mais 1 mot biffure
il suffit aux suisses de fermer l'entrèe de leur paÿs au luxe a
la mollesse et a l'ambition, pour etre toujours libres et redoutables.
adieu mon cher frillon souviens toy de mon garde, mes respects a
qui de droit, et par dessus a Me morlot et porte toy bien et
marie toy bonne race

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Marseille, 04 janvier 1742, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/80/, version du 10.06.2013.
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