Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, [s.l.], 12 décembre 1741

ce 12e xbre 1741

tes moralitès mon cher frillon partent d'un trop bon principe
et qui m'est trop cher 5 caractères biffure pour que je ne t'en sois pas fort
obligé, mais vois tu quand tu voudras leur donner trois pages
d'ètendue, je te prie d'en concéder plus de quatre a tes missives
tdu reste tes raisonnements sont bons et bien rendus; tu as cherché
mon cher enfant, tu prétends avoir trouvé, grand bien te fasse
pour moy, jay cru deux ou trois fois en ma vie avoir eu le mème
bonheur, point cest que ç'etoit le serpent que l'aveugle prend
pour un fouet, je ne tenois rien, ou une maligne bète; vois tu
jay beaucoup d'esprit epard ça et la dans ma tète; mais je n'aime
point a en faire ècheler une parcelle l'une sur l'autre, jay examiné
quelques raisonneurs, ils ont touts raison au premier coup doeil
au segond cest la statue de nabuchodonosor, la tete est d'ror, les bras
d'argent &c mais le pied d'argile et adieu toute la besogne. la
verité mon cher frère est un beau point de vue d'optique, je ne
scay méme syl n'est pas de l'ordre qu'elle se cache, tout marche
par l'illusion, je crains que tout ne demeurat par le contraire,
en ce cas elle remplit bien l'intention du fondateur; nenfin mon
cher amy ce n'a été, quoyque tu en pense, qu'apres avoir plus
regardé a droit et a gauche que beaucoup de gens qui affirment
que je me suis dit que nous avions tout pour jouir, rien pour
connoitre, et que jay crié comme salomon sottise sottise et tout
est sottise
peutètre me diras tu qu'il ne valoit pas la peine de
<1v> d'aprendre cela, eh mon enfant quand tu bandes bien roide
et que tu veux fourer cela quelque part pense tu que le moment
d'après touts tes plaisirs finiront, le desir t'entraine et va rompre
le cou a ta gentillesse, de mème quand on veut examiner l'on ne
se dit point, cela te conduira a des connoissances affligeantes
l'on va son train, l'on dèbande, et le pis pest, que cest pour toujours.
l'homme dis tu desire toujours au dela de ce dont il jouit, donc il
a une ame, qui tend a un avenir, je ny vois mon cher amy autre
chose sinon qu'il est de l'ordre qu'il aille toujours, hors il demeu=
reroit quand il auroit trouvé son point, 4 mots biffure ce qui
seroit contre l'ordre car rien ne demeure, quand a l'ame, je ne
t'en diray rien, n'en etant pas exactement informé, mais je
trouve ridicule le sistème qui nous donne sur cet article d'autres
avantages sur les animaux que ceux que nous avons par la
partie matèrielle cest a dire par proportion; pour mr platon
je le trouve d'une folie si pommèe sur cet article que je luy
préfère pithagore qui n'avoit pas trop mal imaginé sa métempsicose
je scay dailleurs que tu tes fait ton petit religion pour toy et ton
famille
il faut etre aussy raisonnable que tu les pour avoir donné
le tordion de la sorte a toutes nos extravagances et s'en etre fait
un plan dans lequel on vit tranquile va tu etois bien né pour l'étre
parlons d'autre chose. je m'en fie bien je t'asseure au gout de tes
montagnes puisque montagnes y a sur mes ouvrages, quand tu y
rassembleras des auditeurs tels que ceux qui ont entendu ma lettre
a la vieuville, tu me dis que les vers ont eté trouvé assès travaillés
pour cette genre d'ouvrage; souviens toy qu'il en est peu de cette
mesure dans notre langue d'aussy retournés, et quand je dis peu
tu peux mettre un autre adverbe a la place, pour la plupart. dans un moment
tete a tete je te le ferois sentir, car cela sont cest la des secrets qu'apollon
ne decouvre qu'a ses favoris, dans cette partie les gens de gout sentent
syls sont contents cest tout ce quil faut, leur jugement peut donner
a faux quand ils ne sont pas du metier (car çen est un) mais jamais
leur sentiment. quand au reproche que tu me fais sur la quantité
de fable qui entre dans mes poèsies, tu n'est pas le premier, et cette
remarque m'a flatté, un lecteur judicieux fut il obligé de sauter de
<2r> pareils traits, ne laisse pas de sentir ce que nous dit notre maitre

la fable offre a l'esprit mille agrements divers
la touts les noms heureux semblent nés pour les vers

il ny a point de poèsie sans fable et sans langage figuré, et j'observe
tant que je puis de ne me servir que de la mithologie la plus
gèneralement connue, enfin remarque que l'on passe a un auteur
judicieux d'ailleurs d'avoir scu, mais non pas d'avoir ignoré, je
suis bien loin de ravaler ton aréopage au rang de la servante de
moliere, il est des genres ou la poèsie n'est qu'accessoire, il en est
d'autres ou elle est le fonds, je doute que rousseau homme divin, lut
ses odes a parmantier du moins avant qu'il eut si considèrablement
baissé, il faut ècrire pour peu de lecteurs dit horace, a la longue
ils donnent le ton a la multitude. tu vas te retrouver dans ta capitale
mon cher amy, orné des connoissances acquises sur nos sottises et nos
misères tu as cela de plus, je t'en fprie offre mes respects a Me morlot
et dis luy que l'on chercheroit mille ans en france avant de trouver
une femme qui luy ressemblat. je m'en raporte bien a ton amitié
et aux lumieres de mr sturler pour orner mon petit ouvrage
gare que cela n'en fasse tout le mèrite, mets je t'en prie a la place
du douzieme vers de la piece qui est a la tete intitulée le songe, celuy cy

trouva les airs pompeux qu'il redit au parnasse

surtout n'oublie pas ces corrections tu en vois la consequence, quand mon
art de la guerre sera fait jyray te voir pour le soumettre aux censures
de ton amy sur le fonds, car je dis quand la versification sera èpurée
pour cela il faudra avoir passé du temps avec le franc, mais l'ouvrage
en vaut la peine et son succès peut m'immortaliser, le quatrieme
chant est finy, mais tout cela, n'est pour ainsy dire encore qu'un
canevas. noublie pas je ten prie de m'avoir un bon garde de fribourg
qui ne soit ny fripon ny ivrogne, et le plutost que tu pourras, bonjour
frillon, je taime lcomme je le dois, mes respects a Madame ta mere
a Melles tes soeurs, ma mère dit mille biens de toy et je rèponds, a quoy

a quoy sert tout cela pour la vie eternelle

dparles moy de ta ville de tout le monde, je vois tout cela d'icy et veux
tout scavoir, maries toy si tu m'en crois, adresse tes lettres a marseille.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, [s.l.], 12 décembre 1741, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/77/, version du 30.05.2013.
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