Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, [s.l.], 21 novembre 1741

ce 21 9bre 1741

bonjour mon cher frillon bonjour, jay envie de dire a ma mère ce
que lCe celébre fou de comte de grammont dit a sa femme, 4 caractères biffure 
en parlant d'un prètre qui le préchoit a l'article de la mort
comtesse si vous ny prenés garde mr vous filoutera ma conversion
tu te sers contre moy d'un raisonnement convaincu faux par les
arguments et par les exemples 1 mot biffure je ne te feray point un
prècis de ce que baÿle dit contre cette objetction dans son traité
des comètes, tout le monde convient que les deux premiers tomes
de cet ouvrage sont bons, consèquents, et moins sophistiquès que
ne le sont d'ordinaire ceux de ce cèlèbre critique, vois tu mon
enfant je te laisseray dire mais sans aller plus loin je sens que
je n'ay pas eu plus de peine a etre honnète homme depuis que je
ne crois plus a lagriphe du dèmon qu'auparavant, quand aux
fripons et au sots si la crainte de la ste hermandad ne les
retenoit pas plus que celle de belphegor nous serions mal, du reste
mon cher frère j'admets touts les principes que tu voudras mais je
m'en tiens aux consèquences pratiques que je1 caractère biffure tacheray d'en tirer
chaque jour, je te jure qu'il ne se passe pas aprésent une journée
journèe que je ne songe a faire le bien et a me retenir sur le mal
voila mon enfant tout ce que j'en veux, tu fais le fier parce que
je tay laissé voir le fonds de mon ame, si javois eu moins de confiance
tu me croirois plus assuré, vois tu si je revenois en arriere ce ne
seroit pas chex toy, je n'ay point de prèsomption je te jure, mais
partout on ne me prèsente que les yeux d'autruy et en honneur ils
sont touts comme moy entre le zist et le zest, l'un se chatouille
pour croire, l'autre pour dècroire et touts batissent en espagne

<1v> laisse dire les sots et benis le ciel si tu e1 caractère biffures juste de t'avoir fait naitre
èloigné de la tyrannie, et des images de la plus affreuse pauvreté
tu as assès vu la fortune pour voir scavoir ce que çest je l'ay encore
considèrè de plus près ah mon enfant il n'en est que dans la vertu
et plus les hommes vont et plus ils s'en eloignent, puis je jouir
des commoditès de la vie, environné de miserables qui pèrissent
de soufrance, et prèvoyant l'augmentation nècessaire des malheurs
publics et particuliers, il faut pfaire de son mieux pour ce qui
est a notre portèe et fermer les yeux sur le reste, mais je dis cent
fois a ma mère en lisant la quantité de charges comprises dans
l'ètat de la france que je suis heureux de n'en avoir point a propos
de la dèpravation des hommes lis je t'en prie homere de Me dacier
souviens toy de cela je te le demande et souviens t'en, a ce propos tu
peux quand tu voudras donner ta commission de livres a mr pitét
je vais avertir le st george

mr de chabot est trop pour bon juge pour que ses conseils ne soyent pas
des dècisions, je te laisse le maitre de l'estampe, tu scais aussy qu'il
faut consulter mr schturle, quand aux notes dont me parloit le
franc, cela ne regardoit que des pièces détachées qui sont d'ordinaire
pleines de choses relatives a ce qui les a occasioné, a l'auteur, ou a
ceux a qui elles sont adressèes, mais quand a des notes poètiques cest
renvoyer a l'alphabet, qui n'entend pas la fable, ne veut point
avouer son ignorance, et n'aprendroit rien par la note, la fable n'est
science qu'en bloc, en detail, cest délire, je te recommande
l'édition, si mrs tes oncles y trouvoient quelque chose a changer
je te prie de m'en avertir de meme que de ne pas oublier les changements
que je t'ay marquès, si l'imprimerie de lausanne me sert bien pour
<2r> les essais de ma jeunesse jespere le luy rendre dans l'avenir, tu m'aurois
fait plaisir de me détailler un peu les avis et prèdilections sur mes
barbouillages, je n'ay point icy la relation de la sicile par mon frere
je t'envoye a la place une description de cecy adressèe au comte
de la vieuville le mème a qui l'ètoit celle des bords de la baltique
par le pauvre marquis de plèlo, morceau certes digne de l'admiration
et l'attendrissement du siecle et de la prospèrité postérité, celuy cy est travaillé
pour la versification et assès heureusement melangé pour l'ensemble
du tableau, ne le lis pas je t'en prie a d'autres que tu ne le puisse
lire couramment, du reste n'en donne pas de copie, les notes seront
a la suitte de cecy, n'oublie pas les memoires de ton pere, assure
Me morlot de mes respects et marie toy cet hyver, ma mere te fait
mille compliments, offre mes respects a Madame de saconay et a
tout ce qui s'ensuit

Mademoiselle

le morceau de vaudeville dont vous m'honorès est miraculeux
mais je n'en scay ny l'air ny les paroles, moyenant quoy l'entreprise
dy faire une fin est un peu scabreuse, il n'est cepandant rien qu'on
ne fasse pour vous obeir je dirois

...mais pareils bonbons
ne sont pour faire fète
a de vieux barbons

voila Mademoiselle un des grands efforts d'imaginative que
jaye fait en ma vie, trop heureux si mon travail peut vous
etre agreable et vous prouver l'attachement et le respect
avec lequel jay l'honneur d'etre

Mademoiselle

votre tres humble
et tres obeissant
rviteur
l'abé pellegrin

un peu de bonté pour ma description 

 

<2v> A le cte de la vieuville extrémement lié avec Mes de pontchartrain et de
nivernois passe sa vie ou chex elles a paris ou au plessis terre de
Me de pontchartrain ou il y a un batiment admirable

B contrèe ou ètoit situèe la maison de campagne d'horace

C relation du comte de plèlon que je tay lu ou il parle de son amour pour sa
femme avec tant de tendresse et d'agrèment

D casuiste un peu scabreux que l'on reproche aux jésuites

E Me de nivèrnois elle a le mème dèfaut dans la prononciation que moy
et nous disputions luy chantions pouille souvent quand elle vouloit
nous parler considèration

F la vieuville traduisoit horace et je revoyois sa traduction quand
nous fumes a l'èpitre adressée ad villicum nous ne trouvames point
de mot françois qui rendit cette expression mon avis fut qu'il falloit
mettre a monsieur villicus

G controlleur genéral des finances en france et l'ennemy public le
plus barbare et le plus acharné qui ait jamais paru dans cette
profession feconde en bourreaux

H Me de pontchartrain dont le nom est helene

I. voyés quis tiridaten terreat unice securus

K Mes de pontchartrain et de nivernois mere et fille se nomment helene
et saiment avec une tendresse singuliere

L. le duc de nivernois garçon qui a un talent charmant, livre au
plaisir, mais capable d'amitié, et amateur de la saine littérature

M. cabinet que la vieuville a fait peindre au plessis en gris de lin
par un tres bon peintre

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, [s.l.], 21 novembre 1741, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/76/, version du 29.05.2013.
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