Transcription

4 Mai 1706.

Monsieur,

Je reçûs, il y a trois ou quatre semaines, le Mélange Curieux &c que vous m’avez fait l’honneur de
m’envoier par le moien de M^r de la Motte, & je m’aquitte le plûtôt qu’il m’a été possible de l’obli=
gation indispensable où j’étois de vous en remercier moi-même directement. Je ne sai ce qui peut m’avoir
attiré cette honnêteté de la part d’une personne, de qui je ne croiois pas être connu en aucune
maniére, mais avec qui je suis ravi de trouver une si belle occasion de faire connoissance;
quoi que, dans l’éloignement où nous sommes l’un de l’autre, je ne puisse pas me flatter de
profiter de cet avantage autant que je le souhaitterois. J’ai lû, avec un singulier plaisir, la
Vie curieuse & très-bien écrite, que vous avez faite de M^r de S^t Evremond: mais je
n’ai pû encore voir l’Edition que vous avez donnée des Oeuvres mêmes de ce Bel Esprit. M^r de
la Motte doit m'ecr m'envoier au prémier jour l’Edition de Hollande: car ce Païs est si mal
pourvû de Livres & de Libraires, qu’aucune de vos Editions n’est encore parvenuë jusqu’à moi.
Je ne doute pas qu’il n’y aît beaucoup de plaisir à lire ces Originaux, dont on avoit admiré
les Copies toutes défigurées qu’elles étoient; & vos Notes, avec les petites Piéces de vôtre façon que vous
y avez mêlées, ne peuvent qu’être très-utiles & très-agréables. Les Mémoires qu’on a vûs de
vous de tems en tems dans la République des Lettres, ont donné à tout le monde une idée si
avantageuse de vôtre esprit, de vôtre pénétration, & de vôtre bon goût, qu’il n’y a rien
qu’on n’attende de vos curieuses recherches. Je n’ai garde oublier vôtre Dispute avec
M^r Jaquelot. Outre la justesse de vos raisonnemens, & les fines railleries dont vous les
assaisonnez; vous avez donné à ceux qui connoissent cet Evêque de Cour, le plaisir de
voir berner un sot glorieux, & 1 mot biffure sa fierté rabbattuë, si du moins quelque chose est
capable de l’humilier. Sa Réponse à M^r Bayle n’attend que les Imprimeurs; mais, selon
toutes les apparences, la défense ne lui réüssira pas mieux que l’attaque; quoi que les
raisons de son Antagoniste ne soient pas invincibles, si l’on s’y prend comme il faut pour
les réfuter, ainsi que M^r Le Clerc vient de le faire voir dans la Bibl. Choisie. M^r Bayle
trouve un terrain plus retréci, en disputant contre ceux qui sont dans les sentimens du dernier:
mais il abîmera toûjours M^r Jaquelot, & tout autre Auteur qui soûtiendra le personnage
de Ministre Réformé. M^r Jaquelot avoit voulu prendre un milieu: mais on m’a dit
que, dans sa Réponse, il soûtient la Grace efficace; comme s’il vouloit se faire battre
plus aisément. Je voudrois, Monsieur, avoir des Nouvelles Littéraires plus considérables à vous
apprendre; & je souhaitterois encore davantage d’avoir en main présentement de quoi répondre
à vôtre honnêteté. Je ne manquerai pas de profiter de la prémiére occasion qui se
présentera; & en attendant, si j’étois capable de vous rendre quelque petit service
dans ce Païs, je vous prie de me le faire connoître, & de m’emploier, comme une personne
qui se fera beaucoup de plaisir de vous témoigner sa reconnoissance. Je suis, Monsieur,
de tout mon coeur

Monsieur

Vôtre très-humble & très-=
obéïssant serviteur

Barbeyrac

A Monsieur
Monsieur Des Maizeaux
A Londres