Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 25 octobre 1782

du bignon le 25e 8bre 1782

j'aurois assurément bien tort mon bon amy d'accuser votre amitié
vous m'en avés donné de trop constants témoignages, mais vous
m'avés gaté et j'accusois votre negligence a me donner de vos nouvelles.
notre digne amie m'a en effet dit que vous aviés bien causé de votre
amy a l'un et a l'autre, je n'en suis pas en peine; mais je n'en étois
pas, et ces deux amants qui se donnoient rendés vous en l'absence
a regarder touts les deux la lune en mème temps ne l'en avoient
point avertie.

vous nous faites daillleurs un autre tort plus escentiels, avec vos
belles vues, vos lacs, vos aspects, vos montagnes, cest que vous nous
la gatés. elle n'avoit autre chose a nous dire en arrivant ah que
vous etes plats
et cette attribution ne vaut rien du tout ny au réel
ny au figuré je vous en avertis, suposé que cet avertissement
soit nécessaire. et pour m'achever elle m'a aporté un diable de petit
poète lausannois qui ne scait que peindre et qui se tue vainement
a penser. or en fait de poésie pittoresque, on en a bientost assés.
mais non pas de ses amis je vous assure, ainsy donc mon cher, me
trouvés pas mauvais que je m'afflige, si vous cessés de me tenir
a votre courant.

nous avons lun et lautre eté fort fachés de la maladie de Melle de
saconay, jespère quelle sera passagère comme toute celles de cette
annee, dont presque personne n'a été exempt ou de maniere ou d'autre
et je vous prie de ne me pas laisser ignorer son rétablissement. au reste
Me de pailly aime les deux dames vos filles autant que vous les aimés
vous mème; elle n'a point assès déloges, et très complets, pour Me de
chandieu, et de tendre complaisance pour la charmante Melle marianne
vous avés pris plaisir a les faire, mon bon ami.

on vous fait des procès a vous pour vous donner le plaisir de les gag=
ner, et a moy ma moindre peine est encore de les perdre. ce que j'en dis
n'est pourtant pas par envie je vous en avertis. chacun se fait son sort,
vous n'auriés jamais fait des enfants a celle qui m'a donné les miens
et par conséquent ne les auriés jamais eu tels; car ce sont eux qui ont
fait toutes les explosions de leur mère. quoyqu'il en soit on a tort de dire
<1v> qu'un mauvais quard d'heure est bientost passé; cest selon a quoy l'on
l'employe, il n'en fallut pas tant pour dire le terrible ouy qui depuis
40 ans me pouchasse, qui n'a detruit de toute maniere et qui me suivra
par dela le tombeau. dites moy pourtant quand vous aurés gagné
votre procès. le premier m'auroit paru moins infaillible: il est bien des
lieux ou la qualité de parent ont éte interprétée d'estoc et ligne, mais
celuy cy est jugé par l'arrest précédent.

je vous remercie mon digne amy de l'intérest que vous prenés au cher
et je n'en doute pas. celuy la est toujours malade ou blessé et se moquant
de l'un et de l'autre; je luy ay recomandé de faire de son mieux pour ne pas
donner d'indigestion aux solles car il est gros comme un muids; au reste
il echape a tout. les hazards qu'il cherche, il est fait pour faire fortune
vous prendres le mot dans le sens qu'il vous plaira, il n'en récusera
aucun, et s'il périt, du moins sera ce en faisant le métier d'un honnète
homme.

je crois en effet que vos contrées ont plus perdu qu'elles ne pensent a cette
guerre. ces terribles fonds perdus qui n'ont point du tout porté sur nos
provinces, faute d'argent et de confiance, et dont le mal ne se fait pas autant
sentir a paris véritable boite de pandore, doivent avoir plus influés sur
vos moeurs et sur vos principes que vous ne pensés. genève y est pour des
sommes, aussy le desordre y est il a son comble, et le moyen que qui renonce
a tout esprit de famille, puisse conserver quelque portion desprit public.

je vois peut etre dans 2 mots écriture plus d'importance a cette fievre gene=
voise que vous n'en voyes vous autres, bonnes et usagères tètes, qui
etes sur les lieux et en connoissés toutes les conditions. je vous ay dit
souvent a quoy aboutiroit l'insurrection actuelle.

a légard des fortifications, arlequin voyant samson qui emportoit les
portes de sa ville, luy donne les clefs afin que lun aille avec l'autre.
ce n'etoit pas contre les anglois, ny les espagnols que genève s'etoit forti=
fiée, c'etoit contre ses voisins, oh puisquils sont dedans il est desormais
inutile de mettre la main devant quiconque voudra desormais une ville
fortifiée ou la clef de vos vallées, vous obligera d'en batir une toute
ouverte a copet, mais fortifiée de touts les privilèges qui peuvent
attirer la fabrique, les arts et le trafic.

mais que dis je des privileges? j'ay scu par hazard que vous mettés
de forts droits sur nos danrées et nos marchandises; oh Mrs vous
devenés fiscaux, vous trouverés bon que je vous prédise que cette tâche
d'huile vous fera briller a la genevoise avant qu'il soit longtemps.

<2v> oh mon cher saconay; le hazard a fait que notre dame amie nous
a conté qu'un jeune Mr roguin, je crois, de lausanne avoit pris son
portrait a la silhouette, et lui avoit promis de le reduire pour le mettre
sur de la porcelaine dont elle vouloit nous donner une tasse et qu'on fait
a nion. elle partit tout a coup pour pailly sur la demande de mon en=
ragé fol, qui vouloit la venir voir a lausanne, et tout cela a manqué
si cela pouvoit se resoudre, combien je vous serois obligé.

adieu mon bon amy, l'on vous fait icy mille tendres compliments
j'y ay une bonnette agee de 17 ans fille ainée de du saillant qui
est un bien bon sujet j'offre mon respect a touts les votres
et vous embrasse tendrement

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en son
en son chateau de Bursinel près Rolle 
en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 25 octobre 1782, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/709/, version du 14.09.2020.
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