Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 30 mai 1782

du bignon le 30 may 1782

pour etre mon cher amy dans le cas de n'avoir rien a me reprocher
sur laffaire de mon fils, qu'il mène comme un fol qu'il est, je fais partir
mon gendre le Mis du saillant pour aller s'il se peut réparer toutes
ses sottises.

il a exaspéré tout le paÿs, et révolté les juges, qui selon nos loix ver=
moulues, et nos moeurs et usages qui le sont encore davantage, sont les
maìtres de sa tete, et se promettent, j'en suis averty de toute parts, d'en
faire un exemple mémorable. au reste on m'en avoit bien averty a paris
il y a lontemps, avant qu'il en fut question, et cela les magistrats et les
ministres, qu'il se garde surtout de se remettre c'etoit la voix de touts.
je le luy recomanday fort en partant, et que ce ne fut qu'au dr jour et
avec pleine certitude. il dit d'or quand on le tient, il fait d'ordures des
qu'il est en voye.

dès longtemps mon gendre me prioit de l'envoyer, mais le fol et son plat
courrier d'avocat, abondoient si fort dans leurs affirmatives, se moquoient
et abondoient si ardemment, que je jugeay que ce seroit tirer en deux
sens oposés, qu'il falloit craindre d'éveiller un somnambule, et qu'il falloit
attendre qu'ils reçurent quelque échec. ce temps est arrivé, leur deux
1ers incidents, dont un étoit réellement preferable et mème favorable
ont été perdus avec dépends; il est temps maintenant. je fais partir
mon digne gendre pour une conduitte toute oposée; il entend les plaids
et les affaires, et n'en a jamais perdu, mais il entend surtout l'esprit de
conduitte, et c'est ce dont nous avons besoin. il part muni de toutes lettres
de recomandation des puissances, et va surtout concilier les petits, il faut
faire sa tâche jusques au bout. si vous scaviés par les détails, après quoy
je cours, et quel bijou il s'agit de sauver, vous me plaindriés hélas
bien davantage.

<1v> au reste il faut lâ maintenant deux revirements absolus de parties
1° un accomodement avec les parties civiles, 2° ramener les juges et s'en
assurer autant que possible, car l'affaire est maintenant en leurs mains
comme sur un fait aussy escentiel, il ne peut s'éloigner du tribunal, que
l'affaire ne soit consommée, et que dans le 1er arrangement mème il y
des délais pour que lauthorité, accorde, et cautionne les suretés
convenues, aux parties, du saillant pourroit bien avoir un temps mort
de séjour, en suposant le succès; auquel cas mon cher il conte vous aller
voir a bursinel; je l'ay assuré qu'il seroit bien reçu, et que j'enviois fort
cette partie de son oeuvre, si elle a lieu.

vous parlés mon cher saconay sur l'affaire de genève en véritable
partie; au moyen de quoy je ne vous rapèleray pas ce mot du docteur
vénérable, a qui je lisois quelque rapsodie légale de ma composition
ou je mettois fort haut la peine du sang, il emmargea cet article de ces
mots l'autheur se rapèlera que d'ordinaire ce sont les battus qui ont tout.
cet axiome d'un vieux plébeien docteur en médecine, adressé a un chate=
lain de race militaire et de mon age, me fit rougir et me persuada:
mais je vous diray seulement de vous garentir 1° de lesprit militaire qui
tend toujours a trancher le noeud gordien, 2° du mépris pour des horlogers
car il n'est courage 1 mot écriture contre l'enthousiasme et le désespoir. genève
n'échapera pas de tomber soux l'aristocratie, car cest la marche naturelle
des choses; je me souviens de le leur avoir mandé dans le temps; 1 mot écriture
encor de n'etre pas assés foncièrement étofés pour valoir la peine de
lesclavage, car cest le terme du gouvernement populaire. l'aristocra=
tie donc s'établira dans genève, mais il s'agit de la maniere, et vous
touchés au moment décisif.

si j'etois aussy disponible que la providence a voulu que je le fusse
peu, je n'aurois pas voulu mourir sans avoir conversé en écolier
avec vos bonnes tètes de berne; il n'en est point en europe dont j'aye
meilleure opinion, pour raison. elles vont maintenant etre a lépreuve;
vous allés vous trouver en congrès avec des satellites 1 mot biffure volontaires
car les chefs militaires des nations ne sont autre chose. ils ne regarderont
<2r> le traité constitutif que vous avés a faire, que comme une capitulation
car c'est lâ tout leur optique; je vois d'icy leurs hochements de tète (et cela
des meilleurs) quand on voudra leur parler ménagements. cependant si les
choses ne se terminent avec humanité, tolérance et droiture, tout le blâme
futur en demeurera sur les suisses, car on attend d'eux seuls ce genre de
sagesse, constante et solide, je vous en avertis, et la postérité juge bien.
quand a vous mon cher, si l'amitié m'authorise a vray dire, vous parlés déja
en commandant des forces nationales, et si c'est lâ le ton de votre sénat, il fau=
dra des brevets et des cordons a vos banderets, comme il faut déja des titres
et des présentations a la cour, pour des notables de vos contrées; en ce cas
gare les défuntes républiques; au fonds il sembleroit que ce seroit moins
a moy qu'a un autre d'en porter le deuil.

adieu mon cher amy, votre compatriote amène jusques a dijon mon
gendre dans sa voiture; je n'ay que faire de vous les recomander. j'offre mes
Respects chex vous, et vous embrasse tendrement

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle
en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 30 mai 1782, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/704/, version du 14.09.2020.
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