Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 30 septembre 1778

du bignon le 30 7bre 1778

je reçois mon cher amy votre lettre du 15, et je vous diray que puisque
vous suportés si gayement votre grèle et ne m'en sonnés mot, je vous prie=
ray de m'envoyer un peu de votre y recette, car jen ay besoin et il grèle
sur moy de tant de cotés. et avec une complication et une continuité si
décidée et si rapide que j'en suis en vérité percé a jour. au reste il seroit
tard pour desirer d'etre aussy heureusement né que vous de toutes les ma=
nières; et mon cher frédéric si je scavois un avantage quelconque a vous
souhaiter et qu'il fut a ma portée je m'en dépouillerois volontiers pour
vous en assortir.

au reste j'en jouis aussy de votre bonheur parcequ'il est bien a vous com=
me a la providence et vous vous l'etes fait presque tout entier: Me de
pailly qui n'etoit point du tout de bonne humeur quand elle m'a écrit de
genève, et qui pour cela regrettoit de ne m'avoir pas écrit de businel ou
elle étoit fort contente, me peint en douze mots Me de chandieu de ma=
nière qu'il ny a qu'elle et Miss henriette byron qu'on puisse peindre de
la sorte. je vous assure qu'après avoir reçu sa lettre, me promenant a la
garenne avec mon gendre, par une tempète dequinoxe et après avoir déploré
le fait d'un coquin de marchand qui me prend 3500 lb d'argent envoyé de
chés moy et qui fait banqueroute, chose qui dans mes circonstances m'achève
tout a fait, j'ay dit avec sentiment d'un vray plaisir, et mon amy qui a des
filles charmantes cest pourtant un bonheur que cela
. elle a trouvé aussy Mr
votre cousin fort aimable; oh mon cher amy si vous scavés quelqu'un qui
veuille troquer un peu de cette humeur facile et propre a courir après les
douces illusions de la vie et a les atteindre, contre une forte pacotille de
bons sentiments sans oeuvres et de vastes pensées sans effet, je luy donn=
eray du retour et beaucoup.

oh par ma foy cest vous, que cet amy de l'académie veut dire, elle m'en
parle encor d'une manière amphibologique qui me dépaÿsoit tout a fait
mais votre lettre m'ouvre les yeux tout a coup. oh mon amy je n'entends
pas trop comment vous avés pu arranger le chateau en espagne de nous
reunir sur ce balcon, mais je scay bien que partout ou je me trouverois
avec vous et les votres je mestimerois fort heureux, et par conséquent lâ sur
votre terre natale au milieu de vos oeuvres et dans le plus bel emplacement
de l'europe, au milieu des moeurs qui me sont le plus analogues.

<1v> notre amie ne me parle que de vous et des votres et du cte de saconay et
nullement de gorani ny de l'absence de smith; elle n'avoit en tète que son
petit ingrat de duchèsne qu'elle demandoit aux echos d'alentour. quand a
moy par la mème raison que dans son autre voyage j'avois conté sur la plus
grande régularité luy connoissant un compagnon d'un caractere analogue
a sa profession de banquier qui exige lexactitude, je n'ay nullement conté sur
du chèsne cette fois cy attendu que le petit homme est exactement tout le con=
traire d'habitude et de profession; mais j'avois conté sur nombre d'occasions a
genève et je suis tout a fait abattu et déconcerté de scavoir qu'elle ny en a point
trouvé, car il est pourtant temps qu'elle revienne et pour elle et pour nous. vous
jugés combien a son retour je me feray dire les personnes et les choses. a la ver=
ité elle se loue de tout et de touts dans ce paÿs lâ et beaucoup de la maniere
dont elle est traitée dans la famille des martines, mais elle ne respire que vous
et les votres et votre maison &c.

au reste dites je vous prie ou mandés a Mr le cte de saconay, combien je
suis sensible a l'honneur de son souvenir; je n'oublie point la maniere éga=
lement honnète noble et ouverte avec laquelle il me reçut quand j'eus l'honneur
de le voir chés luy a lion, et toute occasion de profiter de ses bontés et d'une
aussy bonne compagnie me seroit infiniment gagréable.

vous me rapelés longo dont j'ay depuis deux mois une lettre sur mon bureau
sans luy avoir répondu; a la vérité si je l'eusse fait au premier moment je l'au=
rois un peu froté, car sa lettre étoit opiniatrément légère sur un certain article
que je n'aime pas du tout a voir traiter; sur lequel mème je suis effarouché
depuis que nos pires détracteurs voulurent nous faire confondre avec les encic=
lopédistes, de maniere que je trouve que cest me manquer que de tater avec moy
cet article car lequel mes principes doivent etre connus: mais en retardant, com=
me indépendemment de mes affaires qui m'accablent de lettres, j'ay de la besog=
ne, dont je veux me défaire pour quitter tout a fait le harnois; que cette
besogne embrassant un grand ensemble, demande de la 1 mot biffure suitte dans une
vielle tète pour ne pas radoter; que mes lettres courantes et chifonages me pren=
nent tout mon temps de maniere que quoyque je passe environ six heures par
jour dans mon cabinet, jay a peine deux matinées par semaine pour mon travail;
la lettre de longo qui demande des détails est demeurée. je la feray pourtant un
de ces jours et il en sera quitte a meilleur marché que si je luy eusse écrit sur le
temps.

vous faites très bien mon bon amy et un véritable acte de devoir filial de
mettre en ordre les mémoires de votre illustre; la manière dont vous vous en
acquités est précisément celle qu'il faut; un écrivain auroit gaté toute la besogne
<2r> on a de reste des mémoires limés et énervés par des puristes qui n'ont
d'ame que dans la plume, mais ce qui est toujours intéressant, cest l'origi=
nalité de tout homme qui a assés de caractère pour étre luy, et a plus forte
raison celle d'un grand homme dans sa partie et dans celle de ses devoirs. dail=
leurs qui nous feroit de notre père un apollon ou un hercule, nous enverrions
le portrait a l'antichambre; cest sa réalité que nous voulons. vos hotes énon=
ceront seulement les circonstances et le point de vue d'ou il a vu les choses, et
votre opération ne doit étre que de mettre en ordre des papiers peu soignés
par celuy méme qui les rédigea.

adieu mon digne amy offrés mes tendres Respects a toutes vos dames, recevés
les compliments et Respects de mes enfants en ne m'oubliés pas, car je vous aime
bien Mirabeau


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Saconai en son chateau
de Bursinel près Rolle en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 30 septembre 1778, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/599/, version du 19.03.2018.
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