Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 03 avril 1778

de paris le 3 mars avril 1778

il est certain mon cher amy que mon frère qui joint a la fermeté une
activité extraordinaire dans loccasion, a pris maintenant par la racine
le noeur gordien de mes tribulations principales. cette femme turbulente et scé=
lerate est renfermée, et gardée avec beaucoup dexactitude pour l'interceptation
des correspondances &c &c; mais elle luy donne bien de la peine: vous ne scauriés
croire a quel point elle pousse l'insolence l'orgueil et la méchanteté; en général ce genre de fols
est unique dans son espèce. quand a celle cy il n'est pas question de son traitement,
sa pension est fixée dans son couvent et elle ne la touche pas. je vous ay raconté
dans le temps, comme quoy on a retenu ses requètes, soin qui me rapela de la
campagne a la fin de l'année passée, dans le temps ou je croyois pouvoir y
prolonger mon séjour; comment j'ay soumis toute cette besogne au g. des sceaux
et au procureur général, sauf deux conditions qu'ils ont aprouvées; comment
ils ont fait tenter auprès de cette femme par son propre conseil qu'elle avoit
demandé, et qu'il n'en a tiré qu'exaltation de tète, faveurs et demandes folles &c.
l'effervescence a redoublé dans ces drs temps a la nouvelle de l'interdiction
de ce fol et de la cloture de sa femme; elle s'est montée (d depuis ce temps (car
leur grand champ de bataille est toujours d'etre protecteurs) a demander la liberté
de son fils et de sa fille. maintenant le point ou nous en sommes est qu'elle a tout
a coup fait passer une lettre circulaire a la porte de chacun dem des membres
du parlement ou elle demande leur protection &c ensuitte a paru une autre
requète a la tournelle criminelle qui va etre renvoyée a la grand chambre et
qu'il faudra encor juger; tout cela demande patience et pourvu qu'il ne m'empèche
pas ou ne me retarde encor cette année le temps d'aller a la campagne, ce ne sera
de demy mal. je commence a craindre néanmoins que mon plan principal de
finir par un arrangement ou je luy fasse le bien et a elle et aux siens d'acheter qu'elle
fasse donation de ses biens selon la loy, ne puisse avoir lieu. auquel cas, si une
fois j'en desespère je ne la ménageray plus, et je me mettray dans le repos possible
mais il faut voir jusques au bout.

patience coute moins mon cher amy après de longues épreuves: le mal est que tout
va bien lentement quelque peine qu'on se donne, et que le temps qui nous fut donné
ne nous attend pas et va toujours. il me faudroit une double vie pour sortir de
toutes les inextricabilités ou m'ont plongé ces gens lâ, et des plans alongés qu'ils
me forcent de faire. mes affaires en provence sont comme je vous l'ay dit, dans un
cahos effroyable. poiré que j'y avois envoyé, a finy avec les fermiers par un résili=
ment en prenant touts leurs relicats dont il ny a pas un tiers de valable, ils
m'ont cédé pour 26020 lb d'effets verreux, sur 52132 lb qu'ils me devoient, et les
26115 lb restantes en obligations dont il ny a rien a tirer; au moyen de quoy
la banqueroute est bravement de 50000 lb pour moy, chose qui m'attendoit sur mes
vieux jours. joignés a cela le temps qu'il faudra a un régisseur tout neuf a la chose
au paÿs, au langage mème, pour se mettre au fait d'une telle régie de terres tant
<1v> abondonnées dans ces derniers temps. vous me dirés qu'il faut poursuivre ces
fermiers tant affronteurs; et mon amy si vous scaviés ce que cest que les procès!
imaginés en une province concentrée, un jeune homme de l'ordre des plus notables
manifeste une démence déja connue, en attentant sur luy mème, dès le mois de 7bre.
un homme d'une fermeté et activité en affaire dont vous n'avés pas d'idée est apelé
dès le 1er 9bre et serre pour son interdiction, elle ne le peut ètre prononcée dans
sa ville qu'en janvier, et en dr ressort on est encor après, tandis que le prévenu
est plus fol que jamais en présence et n'a pas un seul instant de raison. allés après
cela vous embarquer dans des proces.

j'en ay comme vous scavés, de suscités avec mes communautés, que mon frère
va suivre, et puis les affaires et dettes de ce forcené, ou ses créanciers ont profité
du desordre. d'autre part dans ces terres du limousin, que de puis 30 ans la grand-=
mère de touts ces fols menoit en usufruitière dévorante, chicanneuse, processive
usurpatrice et qui ne payoit point; elle avoit 100 procès on la laissoit; et parceque
j'ay fait justice dabord, tout le monde me demande. la raison de l'incertitude ou l'on
me mettoit sur ces biens avoit fait patienter; mais depuis le procès jugé, ils s'ennuyent
ils voyent que je prète le flanc. pour me mettre en règle, il faut des terriers et des
dépenses que je ne voulois pas faire, tant que ces biens seront en lair; encor pressé
de toute parts faudra t'il bien s'y résoudre, et faire le bien malgré soy. mon amy,
nabuchodonosor changé en bète, ne fut pas dans ses sept années autant persé=
cuté des mouches que je le suis; aussy travaillay je bravement et autant du
poignet que jamais; mais vous mon cher qui n'aviés que faire de tout cela, voila
pour vous aprendre a venir crier sous les fenètres d'un pauvre homme, Mr vaillant
si vous ne dormés pas, faites moy un de ces petits contes
.

il se pourroit bien mon compère que vous me disputassiés pour me faire parler.
auquel cas, je n'ay pas le temps. autrement seroit il possible que vous me fissiez
les objections que vous me faites? vous ne me croyés pas du tout homme a mettre
tout a coup la cave au grenier; cependant philosophique, le père aux préambules
y a luy mème plus qu'hésité; mais ce qu'il n'a pas scu faire c'est se chatrer a
profit; cest enlever pièce a pièce et avec édification et sans relache une multi=
titude de droit qui se nuisent les uns aux autres; et touts ensemble au fisq, et
tout a lheure et par leur effet visible. cest de saisir l'ensemble politique sans
jamais le separer de la partie oéconomique, d'attaquer l'oisiveté par la liberté
du travail, les abus par les moeurs, les moeurs par l'émulation, l'émulation
par loéconomie. que signifient ces petites difficultés rétrécies, le prix est souvent
déterminé par un valeur réelle, mais par une valeur de fantaisie
: il seroit mieux
en ce genre de dire d'habitude, mais cela est bon pour deux ou trois marchers.
de quoy s'agist il en fait d'harmonie sociale? de la balance des objets de premier
besoin. ceux lâ n'ont point de valeur de fantaisie, mais de nécessité: cette nécessité
porte sur deux points a scavoir de la part de l'acheteur moyen de payer; de la part
du vendeur, frais de production. en otant les droits intermédiaires sur la consom=
mation
sur le transit &c car tout se réduit a ces deux vésicatoires, vous rapro=
chés les moyens de payer; de dix pas, tandis qu'en regettant le fardeau sur les terres
<2r> vous n'avés reculé les frais de production que d'un; cela se voit par le calcul, in=
dépendement du raisonement qui nous fait voir les abus, les exterriens des intér=
médiaires, les disproportions &c &c. voila mon amy la vérité et la vie; le rapro=
chement des consommations a la production est tout le jeu de la machine sociale et
politique; voila tout, quand vous me parlés après cela d'un renversement subit, cest
comme un architecte qui voudroit faire sortir une maison entiere de la terre parcequ'il
en a vu sur les décorations de l'opéra; mais une pierre après l'autre tout se fera
parceque le secret est découvert et qu'il ny en a point d'autre, et vous aurés tort et
j'auray raison, et les dents en ce temps lâ ne nous feront plus de mal.

butré me mande a la fin qu'il a envoyé mon manuscrit a berne a un Mr le
baron de vildeck qui est son amy pour estre remis surement a la société typo=
graphique, je vous le recomande mon cher amy.

l'abé ou le Mis longo, me marque qu'un de ses amis vray dictionaire ambulant
a séjourné chez vous et que vous avés ajouté quelque mots a une lettre que son
compatriote luy écrivoit, il me répète ses regrets de n'avoir pas arrété chez vous
et ajoute qu'il croit son concitoyen plus dévoué a voltaire qu'a vous.

si le plan de notre amie a lieu comme je le pense, son voyage ne sera que pour
l'automne; le sejour de pailly qui dans cette saison plait fort a sa famille, et dont elle
connoit le logement et la compagnie luy a fait peur. dailleurs comme cest les acci=
dents de santé qui la déterminent; ils en seront plutost atteints en automne. voila
ce qu'elle m'a dit de ses dernieres résolutions

adieu mon cher amy, mes tendres et profonds Respects a Mes vos soeurs et a Mes
vos filles, et quand vous voudrés vous recréer loeil a voir une petite représentation
du passetemps de feu sisiphe avec sa roche, venés a moy et a mes affaires. adieu
je vous aime et embrasse tendrement Mirabeau

on a par inadvertence donné cette année la commission d'huile
double, desorte que monsieur desaconai doit en avoir recu deux
barils au lieu d'un; comme l'huile n'est pas si bonne gardée d'une
a l'autre, monsieur desacconai, trouvera peut être a s'en
defaire, ce qui ne doit pas être difficile, attendu que beaucoup
de gens seront fort aise de trouver de l'excellente huile
a bon compte arrivée sans soins et sans embarras; auquel
cas on joint ici la note du prix du second baril qui lui sera arrivé 

il pese 53 livres et coute tous frais faits 44 lb 3. 6


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 03 avril 1778, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/586/, version du 06.03.2018.
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