Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Bordeaux, 30 mars 1739

de bordeaux ce 30 mars 1739

si jaimois aprésent mon cher fréderic la ou tu imagine
je taurois répondu avec plus de précipitation, mais je
suis guéry, quand je tay dit quil y avoit des situations
qui n'etoient faites que pour moy, javois quelque espéce
de raison, car les connoisseurs ont toujours dit que cette
femme ètoit unique dans le monde, d'ailleurs javois dans
lidée quelque chose qui m'etoit arrivé a bayonne, qui
est extremement singulier, et que je te conteray un jour
je suis mème, actuellement dans un cas presque nouveau
je tay dit qu'une jeune personne et aimable, mattacha
par sa naÿveté et la bonté de son caractère, mais pour
prendre la chose de plus haut, je parus icy avec èclat
dabord, je ne scay a quel propos on my trouva de la figure
car a de lenbompoint de la couleur, et des cheveux mieux
près, je suis tel que tu m'as vu, comme cest icy le règne de
l'hyperbole, je fus charmant, mon talent comme je te lay
mandé est fortifié et me fournit souvent des choses heureuses
les génies du paÿs semparèrent de moy, et me pronèrent
dans le méme gout, enfin juge par la mode dont javois eté
dabord a lausanne, a dix sept ans, malade nud, aigre,
<1v> et sortant de lacadémie, de ce que je devois etre a vint et trois
bien sain, ayant taché dacquèrir pour la societé, et par
dessus tout cela des habits et de largent, arrivant de la
campagne, ou bien des gens etoient venus parce quelle nest
qu'a trois lieues de la ville sur le chemin de la poste, ils
avoient fait des descriptions de ma personne, je passay
encore quinze jours a la ville dans la triste occupation
que je tay décrite, et ja le peu d'attention que cela me
laissoit pour tout le reste laissoit le temps au charme
de se dissiper, et jallois devenir concitoyen, lorsque de
propos dèlibèré, mètant jetté comme je te lay mandé dans
des societés de plaisir, je voyois bien des facilités, lorsque mais
cette jeune personne, mattacha par sa sincerité, jetois
si rebatu du contraire que je ne cherchois que cela, celuy
qui my prèsenta, m'avoit dit qu'elle len pressoit depuis longtemps
la croyant donc prevenue en ma faveur je luy dis que je la
trouvois aimable, elle me demanda si je disois vray et len
ayant asseuré, elle me dit quelle m'aimoit sur ce quelle avoit
ouy dire de moy a la campagne, que m'ayant vu au concert
elle avoit toujours demande a l'homme en question qu'elle scavoit
lié avec moy de m'y présenter, enfin nous nous explicames
avec la méme confiance sur toutes nos façons de penser, et
nous trouvames daccord, je la conduisis avec la mème
facilité a m'accorder tout, a me le demander, enfin a
agir de niveau, enfin cela me raprochoit nos premiers
<2r> temps ou je crois que l'amour se faisoit comme cela, et
ce qui te surprendra cest que cette fille n'etoit point décriée
et que jy trouvay, toutes les marques que lon peut demander
de la personne la plus neuve, dans la suitte de ce commerce
cent preuves de bonté et dingénuité my ont attachè, cepandant
elle loge chex une soeur, mariée qui aime a la folie lhomme
qui ma présenté dans cette maison, jay vu les ptemoignages
du commerce le plus particulier, elle n'a qu'un an plus que
sa soeur et a bien moins desprit, cepandant tirant avantage
de sa rudesse et de la bonté de lautre qui dailleurs a sa mére
dans la maison, elle nous tracasse et nous empèche de nous voir
et par principe d'honnète homme je nose prendre pied sur ce
que jay vu, vint fois pour me faire laisser en repos, ce cas
nest pas une catastrophe, mais nay je pas raison de dire quil
est singulier

quand a la présidente, je la regarde toujours comme la meilleure
f... que lon put trouver mais je nay plus ombre de sentiment
pour elle, il marriva avant hyer une chose rare avec elle, comme
lon luy dit tout ce qu'on veut, je luy avois tant dit de sottises
et si caractériséee que quoyqu'elle dise qu'elle n'a4 caractères biffure pas de
tempéramment elle etoit toute en feu, enfin elle vint au point
de me dire quelle croyoit qu'on avoit raison de sen faire donner
quand cela faisoit plaisir, mais qu'autrement il ne valloit pas la
peine de se tracasser, mais luy dis je vous ne scavés ce que cest
bon reprit elle un mary, nest il pas un homme, et nest ce pas toujours
cela, bon dis je un verre deau ou de vin de champagne, cest toujours
boire, la dessus je luy fis des descriptions dignes dun satyre sur
la façon dont je la chifonnerois, enfin je luy dis votre mary
est a la campagne servès vous de moy comme d'un muet, si je
ne vous trouve dans cette nuit du tempéremmant, ce sera tout
comme si je ne vous avois jamais vue, si au contraire, vous men
aurès lobligation, elle rit, bon dit elle, mes femmes qui sont dans
ma chambre seroient bien étonnées, ne vous embarassès pas dis je
jay trente louis sur moy, et je vous en rèponds, la dessus je
p1 mots dommage le chemin de sortir de lapartement elle m'apela, et
depuis le début de la ligne dommagemps la dit un mot a loreille a un laquais, il sortit
<2v> et elle me dit tubleu mon drole comme vous prenès la bale
au bond, et qui vous auroit crutel, bon luy dis je ce nest
point moy cest uniquement linstrument de vos plaisirs
mais vous n'aviès que cela a me dire, je sortis, mais arrivant
a lappartement, j'en trouvay la porte fermée, jeux beau dire
que je venois chercher quelque chose les femmes rioient et ne
repondoient rien, ne pouvant pas demeurer la, je rentray dans et je
trouvay que les parties finissoient moyennant quoy je ne pus
plus parler, je ne conte pas ratraper loccasion, mais je ne
m'en soucie pas, adieu mon cher imite ma confiance et parle
moy de toy dans tes moments de loisir, mes respects a
tout ce qui tapartient, que de folies mais je nècris qu'a toy

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Bordeaux, 30 mars 1739, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/58/, version du 31.05.2013.
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