Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 02 août 1777

de paris le 2 aoust 1777

je réponds a votre lettre du 28 juillet mon cher amy. vous
avés été malade et j'ay bien fait de n'en rien scavoir. cela me
fache beaucoup 1° pour la chose 2° parcequ'il ne faut pas que
les belles santés se dérangent, elles se trouvent nouées a la patience
et a lexpérience de conduitte. quand je vous vis icy je fus surpris
de votre régime de ne presque point boire et que du vin. je ne conce=
vois pas comment la craye ne se formoit pas et ne s'exprimoit ou
par la goutte, ou par Rhumatisme ou gravelle, cependant comme
tout alloit bien, et que quoyque nous soyions jeunes et beaux
il ne soit pourtant gueres plus temps de se refondre par précau=
tion, je crus que tout etoit bien et qu'il falloit attendre les aver=
tissements de la nature. les voila mon cher amy, il faut désormais
vous baigner quelquefois et vous laver a l'interieur sans vous noyer
afin de jouir de la santé sans laquelle la vie est a charge.

cette nouvelle seroit plus propre a m'amener a bursinel que toute
autre; mais imaginés que je ne suis seulement pas libre encore de
sortir de paris. a force de chercher des couvents j'avois enfin déter=
miné un du voisinage icy, ou il y a des dames en pension, des semi-=
folles, et puis le quartier de celles qui ont perdu le sens, et ou par
conséquent on scait gouverner. elles ne vouloient plus de celles du
second genre comme etant le plus difficile, une grosse pension et
l'ordre de l'archevêque qui connoit la personne et qui m'a servy
en digne pasteur avoient aplany les difficultés. j'ay eu l'ordre du
roy, fait meubler a fonds un apartement &c, et puis elle qui etoit
sortie de cette maison cy en femme raisonable a répondu qu'elle ne
vouloit pas obeir et qu'il faudroit l'arracher. les voila donc logés
a guillot le songeur, craignant un éclat &c et moy qui contois partir
quelques jours après qu'elle seroit dans son nouveau domicile et
<1v> parer aux 1eres difficultés de ce nouveau séjour par le moyen de
l'archevèque &c je ne scais encore ou j'en suis a cet égard, car cette
nouvelle scène est d'avant hyer. je l'apris du lnt de police, je vis hyer
Mr de maurepas, ils se verront, ils aviseront &c mais icy le courant
emporte, et les jours et les huitaines passent comme minutes, car les
choses mème faites se prolongent a l'exces par les cascades de délais de
chacun des employés. enfin voila ou j'en suis de ce coté.

d'autre part toutes mes affaires sont dans un tabut incroyable, attaqué
en provence par les créanciers de cet enragé, par les communautés
soulevées par un chicanneur qui voyoit sa belle, je retardois sur
tout sentant qu'il falloit avant tout se débarasser du principal.
quand a ces articles mon frère m'a promis de m'en soulager s'il ne
va pas a rome, mais délicat sur les détails et penible comme un
jeune homme il me consulte sur tout malgré moy, il attend les
réponses et si elles n'etoient promptes Mr le Mis auroit tort. mais
un article dont je n'ay pu le fatiguer est le plus important de touts.
ce sont mes fermiers qui sous prétexte de la non valeur des grains ne
m'ont plus payé; ne voulant pas effarer encor ceux la je manday dans
le temps seulement a mon agent d'aviser a ce que les danrées telles quelles
demeurassent. le temps coule, enfin verification vient d'etre faite et il se
trouve qu'en prenant pour bonnes toutes les danrées qui leur demeurent
et touts les relicats des souxfermiers, ils me doivent de la st jean derniere
20500 lb ou a moy ou aux consignations des revenus de ce fol saisis dans
leurs mains. ou perdu, ou nouveau proces en surplus contre ces gens lâ
en un paÿs ou la jurisprudence est si bien pour les présents que je viens
detre condamné a payer 1600 lb au boulanger qui fournissoit du pain a ce
ménage marié et a qui je payois 8500 lb de revenus qui sont saisis. en
voila pour la provence; en limousin les terres étoient dans le plus grand
desordre quand je les ay reçues. attaqué presque aussitost sur leur possession
je n'ay pu agir en maitre. comme on me scait équitable et paisible les
demandes me venoient de toutes parts, il y a multitude de fiefs &c l'on
attaque sur tout et me voila au bout des délais et il faut marcher a des
opérations d'ordre telles qu'elles effrayeroient un homme de 30 ans en un
paÿs ou il ny eut jamais de règle et ou les guerres civiles ou des actes
qui y ressemblent étoient encore en 1716. mon amy la nature et la
nécessité poussent tout le monde au travail, mais quand a moy elles
m'y trainent par les cheveux quoyque je ne me fasse tirer que le moins
qu'il m'est possible. pardon de cet enorme et ennuyeux article qui n'est fait
que pour vous faire voir combien je suis peu disponible.

<1r> je suis bien aise qu'enfin la besogne du traité d'alliance soit finie;
vous l'aviés a coeur et vous y avés travaillé en bon patriote ainsy avés
vous travaillé toute votre vie; ayés de la santé mon cher saconay et
vous serés toujours heureux faute de vanité, cest un des plus certains
débarras de la vie.

votre vieux bougc des montagnes  est le contrepied absolu a cet égard
et la vanité l'a damné pour ce monde et pour l'autre. son bon mot
sur l'empereur  ne vaut rien du tout 1° parcequ'il est plat, 2° parceque
les détracteurs de ce prince l'accusent d'orgueil et de présomption. les
princes pas plus que les autres ne scauroient plaire a tout le monde, si ce
n'est en effigie plaquée sur une pièce d'or. quand a moy je l'ay jugé
maitre de luy et des autres, susceptible de sensibilité, voulant le bien et
le voulant faire; avec ces conditions l'amour propre est un excellent outil.
j'ay ri intérieurement de la politesse républicaine de donner a un sou=
verain héritier d'anciennes prétentions les moyens de passer vite. je
suis étoné qu'il ait été voir haller et tissot il n'a vu icy aucun de nos
célèbres et vous jugés qu'ils la luy gardent bonne, quand a moy je trouve
qu'il a tres bien fait, mais qu'avoit il a aprendre de vos deux virtuose?
je ne scay si je vous ay marqué que j'etois sûr qu'il faisoit
le plus grand cas des principes d'administration de son frère
et qu'il prétendoit que ce qui se peut faire dans un petit état
se peut faire dans un grand. cette connoissance m'a causé une
grande consolation.

Me de cossé avec tout le feu dont elle est dévorée est une femme de beaucoup
de mérite et de réputation, elle eut tout ce que les hommes pensent devoir
faire le bonheur et il s'en faut bien qu'elle soit heureuse.

adieu mon très cher amy offrés mes tendres et profonds Respects a
Mes vos soeurs et aimés moy. je vous recommanday l'autre jour les enfants
d'un homme de bien notre vicomte d'aubusson je vous les recomande
encore et vous embrasse Mirabeau


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel
près Rolle en Suisse
Par Pontarlier


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 02 août 1777, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/571/, version du 31.01.2018.
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