Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 19 juin 1777

de paris le 19e juin 1777

votre lettre du 10 mon cher amy m'a pareillement fait une
grande joye, car n'ayant pas reçu de réponce, ny Me de pailly
ny moy a la nouvelle a vous donnée du gain de mon procès
nous commencions a etre en peine de vous et ne scavoir ce que
cela vouloit dire. enfin vous vous portés bien et moy je halète
après la queue de mes affaires qui toujours est la plus difficile
a écorcher. pour vous tenir au courant de mes affaires, voicy
la suitte.
Me de p. et mon gendre dont l'affection et la capacité me sont égale=
ment, connus sont gens de bon conseil et excogitant cent sortes de
remèdes a chaque chose, ma méthode a moy est toute autre; je
n'aime point a courir aux branches, mais a la racine. le principe
de touts mes fleaux quand a l'actif est dans ma détestable fille
qui fut chercher sa mère et luy faire prèter pour me venir plai=
der, qui attira son frère pour cette affaire qui l'a fait décreter en
provence, qu'il l'a suivy a lion, et fomenté jusques a ce que le crime
de pontarlier ait été consommé, qui l'a volé ensuitte, est venue icy
joindre sa mère, ne la voyoit plus et étoit liée avec gens de sac et
de corde. je l'ay toujours suivie de loeil et n'ay jamais pu remuer
cette famille apathique et déspèrrée, enfin elle etoit lâ. je voulois
au moins la faire partir au moment de la catastrophe pour se rendre
a son couvent de lion, d'autant que son tenant et suivant qui ne vit
icy que de brigandage a menacé ma vie. notre amie y fut oposée et
me dit de consulter mon gendre; la chose n'auroit rien couté au
moment ou je demanday les ordres, il ne voulut absolument pas, me
dit que ce seroit une st barthélemy, et m'assura que sitost qu'elle
verroit l'affaire décidée elle prendroit son party d'elle mème.
j'obtempéray. point du tout, pendant le peu de jours que je fus
a roissy pour laisser aérer ma maison, cette femme demande la
permission de voir sa mère et lobtient, se fait donner un pouvoir par
<1v> sa mère qui n'en a plus, a elle fille mineure et en puissance de mary
pour veiller a ses droits et actions, fait révoquer l'avocat et touts autres
pouvoirs par elle donnés, et me fait signifier le tout. en mème temps
elle s'accole d'une parente telle qu'on en trouve toujours, souleve,
ameute la ville déja scandalisée, sollicite, cherche de grands parents,
voit les ministres et demande que sa mère soit décemment, puis offre
des plans d'accomodement, conspire en un mot, devient un personage
et tourne de son coté la faveur publique qui me plaignoit opprimé
qui me blame oppresseur prétendu. au pr signal mes conseils furent
fort marris, et moy aussitost en avant de leur aveu; mais je me
doutay que j'avois perdu les avantages de position et qu'il ne me
restoit plus que ceux qui sont inséparables de la nature des choses.
en effet je trouvay l'esprit des gens en place tout changé; heureusement
j'avois indubitablement prévu que dans certains temps et lieux les
mesures d'ordre et de vigueur étoient fort difficiles a maintenir
car tout milite contre, de maniere que je n'ay pas été tant alterré
ma force dailleurs vient du fait mème de mes fleaux. les délits de
celle cy sont touts par pièces probantes: je demande quoy? en ma
qualité de tuteur naturel de ma fille mineure son mary étant foible
de tète, qu'elle soit renvoyée au domicile qu'elle s'est choisie de concert
avec son mary, et quitte un séjour ou elle déshonore sa famille et la
mienne, et auquel elle n'est authorisée par qui que ce soit. surtout
le reste qu'on veut englober avec cecy, je dis que je laisse le ministère
le maitre, mais j'insiste dabord sur cecy, qui est parlant, et bien, ma
premiere demande est du 2 juin et j'en suis encor lâ, et heureusement
que j'ay eté averty a temps des projets de propositions et que gens en place
s'etoient comme chargés de me les faire; j'ay prévenu la chose en décla=
rant que je n'avois plus rien a traiter et faisant avouer la chose
qui parle de soy. mais me voila, uniquement butté a ce que cette
femme parte; et en la suposant partie, il faudra encor que l'autre l'on
ait un couvent de province pour l'autre afin d'oter d'icy tout ce
brouillard d'intrigue et de turbulence, et puis que j'avise a ce que le
troisième soit bien écroué. c'est ainsy mon cher amy que je suis
encor maintenant tout en lair, et que je ne seray jamais par=
faitement a terre.

en attendant vous jugés combien ces circonstances et celles de l'extra=
dition de hollande de ce scélérat sont couteuses, et personne ne
m'aide, et marignane qui a plus d'intérest que moy a ce qui concer=
ne ce dernier, ne me paye seulement pas ce qu'il me doit, et mon
pauvre séjour a la campagne qui m'etoit a touts égards si nécessaire
est ainsy mangé, et voila la vie, du moins de certains ètres.

<2v> en mème temps je n'ay pas négligé mes autres affaires. j'en ay sans
nombre parceque tout s'etoit soulevé a la fois: l'année passée mème,
la plus cruelle de toutes, j'en finis quelques unes avantageusement, et
j'espére qu'il en sera de mème celle cy. j'en ay une multitude en provence
sans celles de mon enragé de fils qu'il faudra pourtant finir conscienci=
eusement et mème selon l'honneur. mon frère m'auroit bien servy a
cela pour la poursuitte, mais le voila qui s'enva a Rome pour celle
de sa protestation qui pourtant y a fait effet. il est juste que le
moins important cède au plus.

quand au milieu de cela vous me dites de ne plus penser qu'a mes
affaires et non a mes études &c me croyés vous de fer ou d'aiman
comme me mandoit un de mes amis; et quelle tète y tiendroit si elle
etoit toujours plongée dans les contradictions, et reduite au conger
pour toute nourriture dans les temps d'attente indispensable et
les intervalles de patience? allés laissés moy faire, je ne suis pas un
grand philosophe, mais j'ay la politique de ma tète comme un autre
et elle ne se détend pas a aller voir tabarin.

mandés moy seulement par ou je pourray vous faire tenir
deux exemplaires de mon dernier ouvrage, le supplément
a la t.d.l.
un pour vous et un pour Mr de chabot, et
peut ètre le manuscrit d'un nouveau pour la typographie de votre
société de berne.

mais quand vous me demandés ce qu'on veut faire de vérsoy et de sa
reconstruction &c vous avés trouvé le moyen de m'arréter. peut ètre
est ce le party patricien de genève qui veut couper la correspondance
avec les bernois, ou bien qu'on voudroit que vous achetassiés le morceau
de terre pour n'avoir plus de question. au fait cher amy de ma
part j'ay renoncé a la politique et vous vous tirerés de cette affaire
sans moy. au reste si vous achetés versoy achetés fernet aussy et
le viellard  qui y dessèche, ne fut ce que pour en faire de la mort aux rats.

adieu mon très cher et très digne amy portés vous bien, remerciés
pour moy vos dames que j'aime et respecte tant et la chère Melle
marianne, et le bon daniel, et aimés moy comme je vous aime, et
vous ferés bien. adieu. Mirabeau


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Sacconai en son
chateau de Bursinel, près
Rolle en Suisse
Par Geneve


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 19 juin 1777, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/569/, version du 31.01.2018.
Remarque: nous vous recommandons pour l'impression d'utiliser le navigateur Safari.