Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Versailles, 26 février 1738

de versailles ce 26e fevrier 1738

jay peur mon cher frèdéric que tu ne sois malade car
il nest pas naturel que vous a lausanne ou a la
campagne vous manquiés dexactitude, pour moy qui vous
ay répondu sur le champ de paris

lon ma chargé comme votre meilleur amy de vous
mander de vous attacher a une nommée Mademoiselle
boissier ou quelque nom comme cela, elle a dit on cent
mille écus dargent content, vint mille livres de rente
viagère et cinquante mille écus de fond, du reste un
caractère dit on capable de faire votre bonheur, jay
fort répondu de la bonté du votre, et que si vous aviés
voulu je vous aurois èpousé, cest une nommé Madame
copet du paÿs de st gal je crois qui m'en a parlé et a gens
plus agès que moy cette dame a une soeur nommée Melle
lochar vous devès connoitre tout cela que lon m'a dit
aimable vous etes prudent et sage je ne fais que servir
décho, je voudrois vous voir fort heureux et vous étes
né pour cela mais cest assés parler mariage dont
on me rompt tant la téte a moy que je ne sais ou jen
suis, jay tant de brah brouha dans la téte, et de sortes
<1v> de passions qui se combattent qu'une femme achèveroit de
me rendre fou,

vous devés m'avoir grande obligation de m vous écrire dans ce
moment car cest peut etre le plus critique de ma vie
le cardinal se mouroit, tout étoit attentif et dans un mouvement
inexprimable, point du tout cette promotion tant attendue
éclot, jugès quel mouvement cela a donné a tout le monde
il y a vint et deux régiments vaquants et il y a environ
deux cent cinquante demandants, je fais de mon mieux
mais mr le cardinal fait tout et nest visible pour personne
moyennant quoy moy qui nay jamais espère je me vois tout
a fait tondu, ce nest pas la ce qui m'agite le plus, je vois
d'un coup doeil que la multiplicité détres est telle en france
quil ny a rien a faire, pour ceux qui obtiennent jugès de
ceux qui n'obtiennent pas, dailleurs quand je serois en grade
la cour offusque tout et je ne suis point bon courtisant2 caractères biffure
cepandant je veux me faire un nom faire quelque chose
acquèrir des connoissances enfin n'etre pas toute ma vie
un courtisan oisif pour devenir ensuitte un viellard inquiet
désoeuvré et isolé, tout cela me fait sentir que je seray
selon les apparances obligé de me donner ou je verray jour
d'avancement, jay dix ans de service, du talent et un
acquit infiny dans mon mètier, un nom connu dans le
militaire de toute l'europe, et du bien, vous pourriès me
rendre service en me mandant ce que cest que celuy des
princes d'italie surtout celuy du roy de sardaigne, et de
celuy de naples, je trouveray des ressources dans lun et dans
l'autre, si pourtant vous pouviès my etre utile par des
connoissances, répondès moy surtout cela, icy lon vous
tient esclaves, je suis dans un mince employ cepandant
<2r> on ma refusé la permission daller en corse et en hongrie
et quand on demande de l'avancement on vous dit que tout
le monde attend tout comme vous: jay bien un grand dessein
dans la téte et qui est déja mème sur le chantier, mais les
gens qui sont entendus dans bien des parties de ce dont il
sagit et qui me machent le tout pour ne pas aller a
létourdie, parcequ'il faut des fonds considérables et des
négotiations avec la moitié touts les princes qui confinent
a la medittérranée ces gens la dis je vont doucement, ce
sont gens de poids par leurs richesses leur crédit et leur
bon sens, il faut qu'ils en ayent beaucoup car ils ne me
trouvent pas fou, et vous voyès que des gens ordinaires
ne pourroient tirer que cette consèquence, mais ils vont
lentement et ne m'assurent jamais de rien, il n'est pas nécessaire
cela syl reussissoit m'occuperoit bien tout entier, et mon frére
aussy qui est un homme de main si jamais il en fut,
mais il nest pas mauvais d'avoir plusieurs cordes a son
arc, je vous détailleray le projet en question dans la premiere
lettre que je vous écriray, m car cela seroit trop long icy
a propos de ce frere voy ce que cest que la réputation quelque
jeune qu'on soit quoy que grand et gros comm'un colosse il na
que vint ans mr de maurepas qui est le maitre absolu dans
la marine, la fait enseigne de vaisseaux, des galeres ou il etoit
chose tres difficile, mais le drole luy dit qu'il serviroit sur les
vaisseaux de france, ou de malte, mais jamais sur les galères
mr de maurepas luy acorda ce qu'il demandoit le plus gratieusement
du monde il luy demanda syl etoit vray comm'on le luy avoit dit
qu'il scut l'italien, lespagnol, l'arabe, et toutes les vulgates
des bords de la meditteranée, il répondit qu'il les avoit scues
mais qu'il oublioit tout a paris en aprenant a se friser, le
ministre luy dit prenès garde dy aprendre car je scais
que bien des femmes, trouvent a leur gré ce grand chevalier
<2v> habillé de noir, mr dit lautre je ne les aime pas, le ministre
qui est polisson et que cet entretien amusoit luy dit mais qui
foutreses vous donc, l'ame1 caractère écriture a l'envers aux anglois quand
le roy me le permettra, repondit le cher, il faut que tu saches
que les grands ennemis de nos marins sont les anglois, cette
réponce a fait un bon conte et il est a merveille auprès de
son ministre, tu dois juger a tout ce que je ten ay dit si
jay l'a un bon segond, enfin mon cher rèponds moy sur tout
ce que je taye mande, et particuliérement, sur le service des
deux princes en question ou de ceux de ce pays la, voy, tu
as des connoissances étendues quatres yeux valent mieux que
deux, et je conte que nos coeurs sont touts deux commils
ont eté, je veux bien, ne te pas faire partager le bon sens
adieu cher amy mes respects a qui de raison

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Versailles, 26 février 1738, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/43/, version du 27.05.2013.
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