Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée V. Des avantages de la religion pour la société », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 15 décembre 1742, vol. 1, p. 46-64

 Ve Assemblée

La cinquième Assemblée s’est tenue le 15e Decembre
Elle a été composée de Messieurs Seigneux Bourguemaistre
DeBochat Lieutenant Ballival, Polier Recteur, Seigneux
Boursier, D’Apples Professeur, le Baron DeCaussade, Sei=
gneux Assesseur, DeSt Germain Conseiller.

Monsieur le Comte a prononcé le Discours suivant.

Discours de Monsieur le Comte a Mr le Recteur PolierMonsieur le Recteur, vous avez bien tenu ce que vous
m’aviez promis, en me parlant il y a aujourdhui huit jours
des avantages que la Religion procure, dès cette vie, à un
homme qui en suit les préceptes. Vous avez raporté vos ré=
flexions à ces deux points. 1° L’idée de la Religion & ce
qu’elle exige. 2° Les avantages qu’elle procure.

La Religion consiste à croire en Dieu & en Jesus Christ,
à chercher Dieu, à le servir, et enfin à espérer de lui la vie
éternelle; vous m’avez bien montré en détail ce qu’empor=
tent ces trois Articles.

J’ai senti combien il est agréable d’aquerir des connois=
sances sures et utiles, telles que celles de la Religion, que
cette étude procure la tranquillité d’esprit, & qu’en cher=
chant Dieu on trouve tout ce qui peut rendre heureux
qu’on s’attire l’estime et l’approbation des hommes, qu’on
détruit ses passions, qu’on conserve sa santé & ses biens;
qu’en travaillant à imiter Dieu, on devient semblable à
lui, & on s’assure le témoignage de sa Conscience.

Vous m’avez fait comprendre qu’un Souverain qui
suit cette conduite doit s’attendre à jouïr plus particu=
lierement de tous ces avantages: ce que vous m’avez prou=
vé par l’exemple des Rois pieux du Peuple Juif.

a Mr le Boursier Seigneux.Monsieur le Boursier vous m’avez fait remarquer que la Re=
ligion Chrétienne rassembloit en elle tout ce qu’il y avoit de plus
solide, de plus pur & de plus utile dans toutes les Sectes des Philo=
sophes, et que c’est pour cette raison qu’elle fit de si grands progrès
dans son commencement parmi les Philosophes mêmes.

a Mr le Professeur D’Apples.Vous, Monsieur, vous m’avez montré que la Religion a don=
né aux hommes une connoissance plus parfaite de Dieu et de ses
/p. 47/ Perfections; qu’elle leur a appris à connoitre leur origine,
leur destination, & les rélations qu’ils soutiennent avec les
autres hommes.

a Mr le Conseiller De St Germain
a Mr le Lieutenant Ballival DeBochat
L’idée sous laquelle vous m’avez peint la Souverai=
neté, vous Monsieur De St Germain, m’a paru bien bril=
lante; Et vous, Monsieur DeBochat, vous avez donné le
correctif nécessaire à l’idée flatteuse que je me faisois de
gouverner un jour.

a Mr DeSt Germain
à Mr DeBochat
Vous m’avez représenté un Souverain au sein des plai=
sirs; et Vous, Monsieur, chargé d’affaires.

Vous me l’avez montré coulant ses jours dans la joïea Mr DeSt Germain
à Mr DeBochat

et dans la volupté; Et Vous, Monsieur, vous me l’avez
montré occupé du soin de rendre justice à chacun, de fai=
re observer les Loix au-dedans de son Etat, & à se faire
craindre au dehors.

Vous m’avez fait voir une Cour empressée à favoriserà Mr DeSt Germain
a Mr DeBochat

et à augmenter les plaisirs du Maitre; et Vous, au con=
traire, environné de personnes qui cherchent à surpren=
dre sa crédulité, sa bonne foi & sa vigilance.

Vous me l’avez peint occupé seulement du soin dea Mr DeSt Germain
à Mr DeBochat

varier ses plaisirs; Et vous, Monsieur, devant etudier les
caractères & les talens de ses Sujets.

a Mr DeSt Germain
à Mr DeBochat
Enfin, Messieurs, vous vous êtes parfaitement acor=
dés à me montrer, vous Monsieur, que la Religion pro=
cure les véritables plaisirs; et vous Monsieur, que l’atta=
chement à la Religion diminue les peines & le travail d’un
Souverain, ce que vous avez prouvé par l’exemple de Nu=
ma, qui eut un regne long, heureux et tranquille, parce
qu’il fut religieux.

Vous, Monsieur, vous m’avez bien montré que lea Mr l’Assesseur Seigneux.
Souverain a Dieu pour son Maitre, que comme il veut
que ses Sujets suivent son exemple, il doit aussi avoir
Dieu pour modèle de sa conduite: par là il n’usera point
tiranniquement de son pouvoir; au contraire, il sera jus=
te, bienfaisant, miséricordieux.

Monsieur DeCaussade vous m’avez bien convaincuà Mr le Baron de Caussade.
que la plupart des vices proviennent de la mauvaise
/p. 48/ éducation, du mauvais exemple des Gouverneurs et des Maitres,
de la familiarité qu’on a avec les Domestiques, gens pour l’ordi=
naire vicieux, et vils esclaves des passions de leurs Maitres.

Enfin, Messieurs, plus je vous écoute, plus je sens les avan=
tages d’une excellente mémoire; qu’il me seroit utile de retenir
tout ce que vous avez dit sur la question proposée, et que je
serois heureux d’avoir vos réflexions gravées dans le cœur!
Je pourrois me flatter de posséder les avantages que vous
m’avez détaillés, si j’avois le bonheur d’être toujours parmi
vous. En m’instruisant vous me convaincriez de la nécessité
de mes devoirs, des véritables avantages, de la solide gloire,
du bonheur réel, et des plaisirs parfaits que la Religion pro=
cure pendant tout le cours de la vie à un homme qui en
suit les préceptes.

Après ce Discours on a mis sur le tapis la Question que
Monsieur le Comte avoit proposé il y a huit jours, Des avan=
tages de la Religion par raport à la Société.

Monsieur le Boursier Seigneux qui devoit parler le prémier
a ouvert la conversation par le Discours suivant.

Discours de Monsieur le Boursier Seigneux, sur l’utilité de la Religion dans la Societé Civile.Messieurs, J’envisage trois choses dans le sujet de cette
Conférence. 1° La nature de la Société Civile,
2° L’insuffisance des moïens humains pour la rendre heureuse.
3° La nécessité indispensable de la Religion pour assurer son bon=
heur.

La Société Civile est un assemblage d’hommes vivans
en commun sous les mêmes Régles, dans la vue de se rendre
reciproquement heureux.

Il s’en faut bien que ces Hommes ne soient parfaits et que
le bonheur qu’ils recherchent ne résulte nécessairement de leur
caractère.

Ornés de Facultés excellentes, ils ont aussi des pen=
chans dangéreux et de violentes passions. Ils ont des besoins
qu’ils multiplient, & des desirs presque sans bornes.

Libres, ils sont portés à abuser de leur Liberté, et à
se soustraire à tout ce qui sent le joug.

Intelligens, mais rarement éclairés, parce qu’ils
/p. 49/ cultivent peu, & qu’ils écoutent moins encor la Raison
qui devroit leur servir de guide.

Passionnés pour le Bonheur, mais sujets aux
plus funestes méprises dans le choix des moïens qui le
procurent.

Foibles et Imparfaits; mais sentant rarement
leur imperfection, & souvent aussi audacieux que si tout
leur étoit possible; aussi présomptueux que s’il ne leur
manquoit aucune lumière.

Enclins à aimer leurs semblables, mais pleins
d'un amour propre encor plus vif, ne balançant jamais
à se préférer eux memes, si non lorsqu'ils sentent qu'en
faisant le bonheur des autres, ils assurent parfaitement
le leur propre.

Les Hommes tels que je les dépeins, se proposent
de s’unir avec leurs vices & leurs vertus: leur but est de
se rendre heureux; ils prennent des précautions pour y
parvenir. Examinons si elles sont justes & suffisantes.

Ils élisent un Chef qui les protège et qui les diri=
ge: Mais ce Chef est homme comme eux; Il oublie sou=
vent sa condition naturelle, et le but de la superiorité
qu’on lui attribue.

Ils se font des Loix: mais ils réussissent mieux
à les faire qu’à les observer. Ces Loix ne sauroient tout
prévoir, ni tout empécher. Elles sont sujettes aux équivo=
ques et aux interprétations. On les applique mal, ou on
leur échape.

Ils arment ces Loix de peines et de recompenses,
pour répandre tour à tour l’émulation et la crainte: Mais
souvent une fausse compassion les désarme: Souvent aus=
si l’intérêt et le plaisir les méprise.

Ces mêmes Hommes se trouvent unis par les liens
du sang, ou forment entr’eux de nouveaux engagemens
d’ou résultent de nouvelles rélations: mais ces liens sont
plus ou moins respectés selon le caractère, les penchans,
et l’éducation. Ceux qu’ils contractent eux mêmes se
/p. 50/ ressentent bientôt de leur inconstance. Ils se lassent fréquem=
ment de ce qu’ils ont desiré et cherchent d’éluder la Loi que
leur contract leur impose, dès qu’elle leur semble trop dure,
et souvent même par simple caprice.

Quelquefois ils appellent à leur secours, le Principe de
l’intérêt public, que chacun subordonne au sien propre,
ou, celui de l’intérêt particulier qui bien entendu devroit
tendre au bien général: Mais chacun l’expliquant à sa ma=
nière, rien n’en peut fixer les incertitudes.

Qu’inférerons nous de tout cela, Messieurs, si ce n’est
l’insuffisance des moïens que les Hommes emploïent pour
guérir les maux qui les troublent, et les divisions qui les agitent.

Je cherche à leur défaut un moïen dont le Principe soit
également juste, sensible et respectable pour tous les hommes.

Il faut que ce Principe soit irrésistible, Que son Auteur
soit parfait et immuable, en sorte que ni le Principe, ni ses
Conséquences n’aïent aucune variation à craindre.

Il faut que ce Principe porte ses vues & son aplication
au delà des craintes et des espérances mortelles.

Il faut qu’il offre des dédommagemens capables de
l’emporter sur tous les sacrifices que nous pouvons faire en
le suivant, ou qu’il fasse craindre des maux qui balancent
tous nos plaisirs.

Il faut que ce Principe agisse sur le cœur, en y gravant
un respect profond pour son Auteur, avec un gout et une pré=
férence déclarée pour tout ce que cet Etre aime et aprouve.

Il faut enfin qu’il soit tel qu’il importe à l’Homme et à
tous les Hommes une obligation parfaite, et à laquelle aucun
Homme ne puisse se soustraire, si tant est qu’il l’ose.

Ou trouverons nous, Messieurs, ce principe simple, actif
et commun à tous, ce principe si vaste & si respectable? Après
m’être tourné de tous côtés, je le vois, enfin, dans la Religion.
Reduisons le en peu de paroles.

Ce grand Principe est la croïance ferme d’un Dieu
tout Parfait qui nous a créés, et de qui nous dépendons.

Celle d’une Ame immortelle qui a tout reçu de Lui,
/p. 51/ destinée à Lui rendre compte, et qui a tout à craindre ou
a espérer de cet Etre auguste.

Celle d’une Vie à venir, ou cette Ame doit trouver pour
jamais et sans retour sa peine ou sa recompense.

La Religion est le Système qui étend et qui dé=
montre ces Vérités avec toutes celles qui doivent régler
nos mœurs et fonder nos espérances.

Persuadez à l’Homme qu’il dépend absolument de
Dieu, qu’il tient tout de Lui; qu’il a tout à en attendre.
De cette seule persuasion naitront l’obéissance, le dévoue=
ment, et les efforts pour se le rendre propice.

Il respectera dans les Souverains, ses Lieutenans; dans
les Pasteurs ses Ministres, dans chaque Homme son image.

Tout ce que Dieu autorise, tout ce qui l’honore, tout
ce qui étend sa gloire le remplira de vénération.

Il chérira tout ce qui maintient ou qui perfectionne
l’ordre que Dieu aime.

Il regardera toutes les Vérités de la Religion, comme
autant de raïons de la Lumière éternelle, comme l’ali=
ment de son Ame.

Tous les préceptes de sa Loi lui paroitront inviolables,
dès qu’il pensera que c’est la Sainteté d’un Dieu qui les dicte.

Persuadez de même à l’Homme l’immoralité et la
destinée éternelle de son Ame, vous lui présentez un pers=
pective immense qui fait disparoitre le Tems: vous détrui=
sez en un instant tout le poids des peines qui le rebutent,
et tout l’attrait des plaïsirs qui le corrompent. Rien ne
l’émeut, rien ne l’entraine que ce qui peut rendre son Ame
à jamais heureuse. Rien ne l’intimide que ce qui peut
lui arracher de si grandes espérances.

Entrez dans les preuves des Perfections sublimes de
l’Etre infini, vous êtes saisi d’admiration. Entrez de mê=
me dans les preuves détaillées et continuelles de son Bon=
té, de sa Miséricorde, de sa tendre Affection pour ses Cré=
atures: Sondez un peu la beauté et l’excellence de ses Pré=
ceptes; leur raport avec la Nature de l’Etre tout Parfait,
/p. 52/ leur exacte proportion avec celle de votre Ame, combien ils sont
propres à la rendre parfaite et heureuse. Dès lors ce n’est plus
seulement votre Esprit qui est convaincu; c’est vôtre Cœur
qui est gagné par les motifs les plus doux et les plus touchans.

Ce Principe tiré de la Religion est sans contredit supé=
rieur aux Loix et à la plus despotique autorité; les Souve=
rains et les Loix ne peuvent régler que l’extérieur; la seule
Religion sait régir le Cœur.

Tout le Pouvoir humain va à peine et d’une façon très
limitée jusqu’aux éfets; la seule Religion corrige la Source qui
les produit. Dès qu’elle soumet la volonté de l’Homme à celle
de Dieu; dès qu’elle le porte à régler avec plaisir ses vues et
ses intentions sur celles de son Créateur, Ordre, Sagesse, Bon=
heur, Harmonie; tout en découle.

Tel est le grand Principe de la Religion qu’en gouvernant
la pensée & le sentiment, il donne aux Loix les plus sages le
crédit et l’efficace dont elles jouïssent.

Sans elle on leur échaperoit toujours, avec la Religion on ne
pense jamais à leur échapper.

Sans elle les Rois seroient foibles au milieu de leurs Gardes, et
peu afermis sur leur Trône.

Sans elle les Traittés les plus solennels seroient sans cesse
éludés.

Sans elle tous les Hommes vivroient dans de continuelles
allarmes.

Elle seule donne une solidité entière à tout ce qu’elle au=
torise, et attache à toutes les rélations de la vie une douceur et
une sureté parfaite.

Elle seule fait suporter les peines, les dégouts, les sacrifices
qu’imposent ou qu’exigent les devoirs qu’il faut remplir.

La Religion seule peut donner de la consistance aux établis=
semens humains, lorsqu’ils sont conformes à ses maximes.

Pour bien sentir la supériorité de ses avantages, on n’a
qu’à les comparer avec ceux qui naissent des moïens humains,
quelques considérables qu’ils puissent être. On verra combien
la Religion gagnera à ce paralelle.

/p. 53/ Les Loix humaines gouvernent par la crainte; & la
Religion par l’amour qui est un motif infiniment plus
actif, et plus étendu.

Les Loix humaines peuvent commander le devoir: mais
la Religion peut seule le faire aimer, et inspirer le desir
de le remplir.

Les Loix humaines supposent les Hommes méchans, et
les laissent tels. La Religion les rend meilleurs & les anime
sans cesse à le devenir.

Si la Religion ne change pas tous les Hommes, elle
seule peut les changer tout à fait, et en change en éfet
plusieurs.

Si elle ne fait pas disparoitre tous les vices, elle en di=
minue beaucoup le nombre; elle leur met un frein que
tous les Souverains réunis ne pouroient y mettre.

La Religion prévient le libertinage d’Esprit, la profa=
nation, l’impiété, qui, en manquant de respect pour Dieu,
conduit si naturellement à en manquer pour les Souverains.

La sévérité des Loix peut bien forcer les Hommes à s’abs=
tenir du mal; mais elle ne sauroit les porter à faire le bien.

L’abstinence du mal fait déja à la vérité la sureté
principale des Hommes: mais c’est la pratique des vertus qui
fait toutes leurs douceurs.

Quelle autre autorité que celle de la Religion donnera
à l’Homme cette résignation parfaite à la Volonté de Dieu,
ce respect profond pour toutes les voïes de sa Providence?

Cependant un Homme pénétré de ces sentimens sera
toujours satisfait de son Sort, et ne fera aucune entreprise
criminelle pour en sortir.

Cet Esprit d’aquiescement n’assure-t-il pas le Prince de
la fidélité de ses Sujets, et chaque Individu de la tranquil=
le possession de ses biens?

Combien d’attentats, de troubles, de divisions ne cause
pas l’orgueuil, la vanité, l’ambition?

Cela étant à combien de maux ne met pas remède
l’humilité, que la Religion seule peut inspirer?

/p. 54/ Les Loix permettent avec raison tous les moïens légitimes
à ceux qui ont été offensés pour s’en procurer satisfaction, ou pour
châtier les aggresseurs. Mais il n’est pas possible d’en faire usage
sans que l’animosité se fortifie.

La Religion offre un moïen plus court & plus sur; c’est de par=
donner. Quelle de ces Loix étouffe le mieux la discorde?

Quelles Loix répandent autant de calme, que la bonté, le
support, une débonnaireté habituelle, une compassion tendre et
officieuse, une charité ardente?

Quoique nous aïons dit que les Loix humaines pourroient
empécher le mal, il est impossible qu’elles le fassent jamais
qu’imparfaitement. Elles en préviennent au plus les excès,
mais non les dangereux acheminemens.

Les Loix Civiles défendent le meurtre: mais interdisent
elles le ressentiment et la haine qui dispose à nuire de mille
manières?

Elles retiendront sur le larcin grossier: mais s’expli=
quent-elles sur mille détours subtils, ou il ne regne pas
moins de mauvaise foi?

Elles puniront la calomnie: mais elles laissent im=
punie la médisance, et ne peuvent rien sur l’envie dévo=
rante qui en est la source.

Elles flétriront de quelques peines les commerces vagues,
les excès de licence, d’intempérance & même de luxe; mais
inspireront-elles aux Hommes cette pureté de cœur si es=
timable; cette modestie si rare qui gagne les cœurs; cette
tempérance soutenue, qui use avec une constante modé=
ration des biens & des plaisirs qui lui sont permis?

Elles interdisent le Prodigue; mais exercent-elles la
même sévérité sur l’avare?

Et pour indiquer l’article le plus sérieux, les Loix
qui punissent le blasphéme & le parjure, punissent-elles
l’esprit de profanation, l’indifférence de Religion, le mé=
pris du Culte public, de la Parole de Dieu; tant de discours
indiscrets, qui sont des crimes, dès qu’ils violent par quelque
endroit que ce soit le respect sans bornes qui est du à sa
Majesté suprème?

/p. 55/ Je pourrois étendre beaucoup ces détails; mais ce que je
viens d’exposer suffit pour montrer que la Religion est
la vraïe et la seule gardienne des Loix, de la vertu, de la
Liberté et de la Paix.

Cela prouve encor que la plus saine Politique des
Souverains seroit d’inspirer le gout de la Religion à
leurs Sujets: d’avoir soin qu’elle leur fût enseignée pure=
ment, et qu’on en gravât profondément les maximes
dans leurs cœurs.

Ce n’est pas assés pour les Souverains que leurs Loix
soient sages, selon les régles de la Politique: il faut qu’elles
le soient aussi selon les maximes de la Religion. Elles seront
toujours imparfaites, si elle n’en respirent la sainteté; si
elles ne tendent à l’affermir, si elles ne soutiennent les
Droits de Dieu, préférablement aux leurs propres.

Après de telles réflexions rien ne seroit plus convain=
cant que l’exemple. Entre deux Sociétés dont l’une vivroit
dans l’anarchie, et l’autre seroit gouvernée par des Loix
très sages, nous sentirions aisément la superiorité de cette
dernière; et entre deux Sociétés dont l’une seroit conduite
par la seule sagesse humaine, et l’autre par les maximes
du Christianisme, il y auroit autant de distance qu’entre
le Ciel et la Terre.

La Société Civile seroit parfaitement heureuse, si
la Religion étoit parfaitement pratiquée. Elle ne sera donc
heureuse qu’à mesure que ses Membres approcheront de
cette exacte pratique.

Concluons donc qu’à tous égards la Religion est la
source du vraï bonheur des Sociétés, et que selon le langage
de l’Ecriture, Bienheureux est le Peuple duquel
l’Eternel est le Roi
.

Ceux qui objectent que la Religion est une ruse de
la Politique se jettent sur leurs propres armes. Ils convien=
nent par là même que la plus saine Politique ne peut
rien fournir de meilleur au Genre humain.

En éfet ceux mêmes qui décréditent la Religion ne
/p. 56/ sauroient s’en passer pour être heureux. S’ils ne la cultivent
pas pour eux mêmes, ils sont forcés de souhaitter qu’elle regne
chez les autres.

Il n’y eut jamais d’erreur si fertile en heureux éfets. Il
n’est pas au pouvoir d’un Principe faux d’en produire de pareils
si l’on ne peut nommer un seul inconvénient qui résulte de la
Religion; il faut convenir que sa source est la vérité et la
pureté même.

La confiance réciproque est le sçeau du repos public; rien
n’est capable de la faire naitre et de la rendre solide comme
la Religion. Je ne puis vous nuire, je ne puis nuire à la So=
ciété, parce que la Religion que j’ai dans le cœur me le défend.
Quelle sureté pareille offre l’Irreligion?

L’Homme est un composé de dignité et de vice. Sans dignité
il ne seroit pas à portée de ce que la Religion a de grand, et
sans vices, il n’en auroit pas besoin.

Sentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.Le bonheur de la Société, a dit Monsieur DeBochat, consiste
dans la sureté qui y règne & dans les douceurs dont on y jouït.
La sureté y sera aussi grande qu’elle peut l’être, si chacun rem=
plit ses devoirs avec exactitude, s’il y a de bonnes Loix, pour re=
primer les désordres et le vice, & si ceux qui sont chargés de fai=
re observer les Loix, y veillent avec soin, s’ils punissent ceux
qui les violent, pour arrêter le mal dans sa source, et pour l’em=
pécher d’entrainer ceux dont le cœur n’est pas encor corrompu.
Lon goutera les douceurs de la Société, si ceux avec qui l’on vit
sont empressés a se rendre réciproquement tous les services
dont ils ont besoin, s’ils se rendent de bons offices, s’ils vont
les uns les autres au devant de leurs desirs, s’ils entretiennent
entr’eux un commerce dont l’amitié soit le lien. Mais qu’est-ce
qui produira ce double avantage? Sera-ce l’utilité particulie=
re? Non sans doute. Ni ce motif, ni les peines & les recompen=
ses, ne suffiront pas pour engager le cœur, et pour le porter
à remplir dans toute occasion, ses devoirs. On peut cacher ses
fautes, on peut échaper aux peines si elles sont découvertes: on
a d’ailleurs si peu de soin de recompenser, qu’un homme qui vivra
dans une Société ou l’on n’aura point d’autre motif, que celui
/p. 57/ qui est tiré de l’utile, ne pourra avoir aucune esperance solide
d’être en sureté, et d’être à l’abri des insultes que des hommes
méchans et envieux pouront lui faire. Il ne poura pas non
plus compter de jouïr des douceurs de la Société, qu’autant
que chacun trouvera son avantage à lui rendre service, et
dès là quelle consolation peut-il avoir? ou plutot dans quelles
inquiétudes ne doit-il pas être continuellement par la crainte
d’être abandonné, s’il vient à tomber dans le malheur? Mais
la Religion nous fait craindre de plus grands chatimens que ceux
que les Hommes peuvent infliger, elle ote l’espérance d’échaper
à la peine si on manque à son devoir, parce qu’elle assure
qu’on est toujours sous les yeux d’un Dieu qui voit tout, et
qui étant parfaitement juste, veut donner à chacun la
peine qu’il mérite. Elle assure aussi des recompenses si on
remplit exactement tous les devoirs de sa vocation, parce
que le Maitre à qui nous avons à rendre compte n’est sus=
ceptible ni d’oubli, ni de passion, et qu’il est infiniment Puis=
sant et Bon. Elle engage aussi tous les Hommes, a être com=
plaisans; officieux, généreux, bienfaisans les uns envers les
autres par la raison que Dieu nous en impose l’obligation,
et que nous avons des recompenses infinies à attendre de
lui, si nous suivons cette conduite. La Religion donc gagnant
le cœur, & nous assurant qu’aucune action ni bonne, ni mau=
vaise ne sera mise en oubli, et que Dieu qui connoit les
cœurs veut que nous soïons remplis d’amitié & de bienveuil=
lance les uns à l’égard des autres. La Religion, dis-je, établit
solidement le bonheur de la Société; et elle seule peut
procurer cet avantage.

Si la Religion produit de si heureux éfets ce n’est que lors
qu’elle est simple, pure, sans mélange, en un mot telle qu’elle
vient de Dieu: mais la Religion défigurée par l’ignorance et
par la superstition produit les éfets les plus dangereux; c’est
la superstition qui a armé les Chrétiens les uns contre les au=
tres, & qui les a porté à emploïer le fer & le feu pour dé=
truire ceux au bonheur de qui ils devoient travailler. C’est
ce dont on a vu aussi beaucoup d’exemples parmi les Payens.

/p. 58/ Il semble même que la superstition de l’Eglise Chrétienne l’a
emporté en cruauté sur l’Eglise Payenne, car jamais la Re=
ligion ne s’est arrogé le Droit de déposer les Princes comme
a fait la Religion Catholique Romaine; jamais elle n’a éta=
bli des Dogmes aussi pernicieux ni aussi tiranniques que l’a
fait cette dernière, dont tout le systhème va à détroner ou
à ruïner les Princes & les Peuples.

Il faut donc se faire de justes idées sur la Religion, préve=
nir les illusions ou il est facile de se laisser entrainer; car
quand une fois l’abus de la Religion a commencé dans la So=
ciété, il sait prendre tant de formes, se cacher sous tant de
faces qu’on ne peut remédier à ces maux qu’en remontant
à la source, ce qu’il est très difficile de faire.

Si la Religion produit le bonheur de la Société, comme
on vient de le prouver, ce n’est que lorsqu’elle est épurée
& dégagée de la superstition. D’ou il suit évidemment qu’il
n’y a que la Religion Protestante qui puisse produire ces
heureux effets; elle seule a secoué le joug de la tirannie, a
banni la superstition & fait profession de ne recevoir pour
règle de sa foi & de sa conduite que la pure Parole de Dieu.

Sentiment de Mr le Conseiller DeSt Germain.On objecte, a dit Monsieur DeSt Germain, que la Religion
n’a pas toujours produit le bonheur de la Société, qu’elle a été
la source de plusieurs guerres très sanglantes &c. Reponse.
Ce n’est pas la Religion qui a produit ces désordres, mais le
masque de la Religion, c’est l’ambition, l’avarice & autres pas=
sions des Princes qui se sont servis du prétexte de la Religion
pour opprimer les Peuples, pour étendre leur Domination, ils
ont regardé comme ennemis tous ceux qui ne pensoient
pas comme eux en fait de Religion, & sur ce frivole prétexte
ils se sont crus autorisés à leur faire la guerre et à ne rien
épargner pour les assujettir, ou pour les opprimer. On en voit
un exemple dans l’Empereur Charles Quint qui aïant entre=
pris la guerre contre les Protestans disoit en Allemagne que
ce n’étoit pas une guerre de Religion, mais qui l’assuroit en
Italie, pour se gagner le cœur des Peuples remplis de supers=
tition & d’ignorance, & pour s’attirer la faveur du Pape.
/p. 59/ Qu’on considère aussi les Croisades qui ont été entreprises
avec un si grand appareil de Religion, & auxquelles elle ser=
voit de prétexte. Qui ne voit aujourdhui qu’en les entreprenant
les Princes ont agi directement contre leurs intérêts? qu’elles n’é=
toient que l’éffet de l’avarice & de l’ambition des Papes qui cher=
choient à éloigner les Princes de leurs Etats & à les affoiblir pour
augmenter leur Domination.

Deux considérations serviront encor à faire sentir les
influences que la Religion a sur le bonheur de la Société. Les
Chrétiens ont des défauts, ils ont des passions, ils ont des vices.
Dans cet état de corruption ou ils sont plongés qu’est-ce qui
peut les assurer d’une bonne foi réciproque? Qu’est-ce qui
servira de garant de la fidélité d’un Magistrat dans l’e=
xercice de son Emploi? Qu’est-ce qui obligera chaque in=
dividu à tenir ses promesses, ou à déclarer la vérité pour
terminer les procès et les différends qui surviennent entre
les Membres d’une Société? L’on n’a aucun moïen a mettre
en usage dans tous ces différents cas que le Serment. Mais
quelle force aura le Serment sans Religion? Aucune. Le
serment étant donc d’une absolue nécessité pour le repos
la tranquillité et le bon ordre de la Société, et le serment
n’aïant aucune efficace que celle qu’il tire de la Religion,
il s’ensuït que la Religion procure de grands avantages
à la Société. L’experience confirme ce que nous venons
de dire, car le respect que l’on a pour le serment est si
grand que quoique les hommes soient fort corrompus, on
a peu d’exemples de faux sermens & de parjure.

Si les Hommes entrainés par leurs passions commettent
bien des fautes durant le cours de leur vie, s’ils se rendent
coupables de quelques injustices, on voit le plus souvent que
ils sont agités par des remords cruels aux approches de la
mort; ces remords ne sont pas infructueux; ils les portent
à réparer les désordres de leur conduite, à restituer le bien
mal aquis, à découvrir des projets pernicieux &c. D’ou vient
ce changement heureux, c’est de la pensée qu’ils vont bientôt
paroitre devant Dieu clairvoïant, qui leur fera rendre
/p. 60/ compte de leurs actions, & dont la Sainteté & la Justice leur
assigneront un sort proportionné à leurs œuvres. Mais cette
pensée c’est la Religion qui la fournit. La Religion donc est
très avantageuse à la Société. L’on pourroit citer plusieurs
exemples de ces conversions, et de ces restitutions que la Re=
ligion produit aux aproches de la mort: je ne citerai que ce=
lui de Monsieur DeBretigni Gentilhomme de ce Païs. Pendant
le tems qu’il commanda une Compagnie Suisse au service
de la France, il trouva le moïen de faire passer sa Compa=
gnie pour complette, quoiqu’elle ne le fût pas, et d’en tirer
la païe sur ce pié là. Etant près de mourir, il fut touché
d’un vif repentir de sa faute, et ne croïant pas pouvoir en
obtenir le pardon, à moins qu’il ne restituât au Roi de
France ce qu’il avoit tiré de lui de trop, il calcula aussi
exactement qu’il lui fût possible ce à quoi pouvoit mon=
ter la païe des passevolans qu’il avoit eu; et il envoïa
cette Somme au Roi, qui ne voulut pas l’accepter, et qui dit
en la lui renvoïant qu’il voudroit que tous les Capitaines
de son Roïaume eussent autant de délicatesse que lui.

Sentiment de Mr le Professeur D’Apples.Comme la Superstition produit des éfets si différens de
ceux de la Religion, et que cependant on les confond souvent
l’une avec l’autre, il faut, a dit Monsieur le Professeur D’Ap=
ples, connoitre les différences qu’il y a entre la Religion & la
Superstition pour ne pas s’y méprendre. Voici les prïncipales.
La Superstition aime les ténèbres, les cachettes, l’ignorance, elle
n’aime point l’examen, et elle ne peut le soutenir. La Religion
au contraire, soit la naturelle, soit la Chrêtienne, aime la
lumière, et l’examen, et elle le recommande; plus elle est re=
cherchée, examinée, plus elle paroit belle. La Superstition
aime la pompe et le faste, c’est par là qu’elle cherche à faire
impression sur le cœur; mais la Religion aime la simplicité.
La Superstition est accompagnée du faux zèle, de la cruau=
té, de la persécution; mais la vraïe Religion supporte les
foibles, elle aime la tolérance, elle est un moïen de réunion
par la charité. On voit par là qu’autant que la Religion
vraie et pure est propre au bonheur de la Société, autant aussi
/p. 61/ la Superstition, ou la Religion mélée de superstition y
est opposée. C’est elle qui a donné l’idée de l’Inquisition et
qui en a procuré l’établissement sous Ferdinand V, dit le
Catholique, Roi d’Espagne; et il n’est personne qui ne sache
combien ce Tribunal est contraire à la sureté de chaque
particulier, à la douceur de la vie; en un mot combien il
est tirannique et antichrétien.

Sentiment de Mr l’Assesseur Ballival Seigneux.Pour faire sentir combien la Religion contribue au
bonheur de la Société, je ne la considererai, a dit Monsieur
l’Assesseur Seigneux, que du côté des connoissances & des pré=
ceptes sans toucher aux Dogmes. Avant que la Religion eut
été révélée les hommes avoient peu de connoissances, soit
sur ce qui regarde la Divinité, soit sur leur sort à venir,
soit même par rapport à ce qui regarde la vie présente,
cela paroit par l’exemple des Législateurs, qui, quoiqu’ils fus=
sent de grands Génies, quoiqu’ils eussent beaucoup réfléchi
sur ce qui étoit propre à procurer le bonheur de la Société,
n’ont pas laissé d’établir des Loix très imparfaites. La Reli=
gion apprend à connoitre l’Etre suprème, elle engage à lui
obéir par tous les motifs les plus puissans sur le cœur de l’hom=
me, l’amour, la reconnoissance, l’espérance et la crainte. Les
Loix humaines ne font qu’empécher le mal, mais elles ne
vont pas jusqu’à engager à faire le bien. Elles laissent dans
leur force plusieurs passions funestes aux repos des hommes;
mais la Religion porte par tout son efficace, elle éteint les
sentimens de vengeance, de jalousie; d’envie, elle gagne le
cœur, elle le soumet à son empire, elle veut qu’on étouffe
ses passions, & qu’on fasse du bien même à ses ennemis.

Monsieur le BourgueMaistre Seigneux a ajouté, qu’ilSentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.
étoit surprenant que la Religion toute destinée au bonheur
de l’homme, qui a une si grande efficace sur son cœur, comme
on vient de le montrer, il est surprenant, dis-je, que cette Re=
ligion fasse si peu d’effet. Cela vient sans doute de ce qu’elle
est peu connue, par ceux là même qui en font profession, cela
vient encor du caractère dur et grossier de bien des gens, qui
n’agissent que par la crainte des peines présentes, ils sont
/p. 62/ insensibles au noble motif de l’amour et de la reconnoissance
& ne sont point touchés des maux qu’ils ont à craindre pourvû
qu’ils soient éloignés.

Il a répondu à cette objection par laquelle on charge la Re=
ligion d’avoir produit beaucoup de désordres, de guerres &c. dans le
monde, en disant que chacun s’est fait une Religion à sa mo=
de, et conforme à ses inclinations; les passions des Docteur de
l’Eglise n’ont pas cessé sitôt qu’ils ont embrassé la Foi; ces
passions auroient produit les mêmes désordres s’ils fussent de=
meurés dans l’ignorance, ou tout au plus ont-elles eu occa=
sion d’éclater par le rang que les Docteurs occupoient, et par=
ce qu’ils ont fait servir la Religion de prétexte pour autoriser
leurs passions, leur orgueil, leur ambition, leur avarice, ou
leur sensualité.

Sentiment de Mr le Recteur Polier.Monsieur le Recteur Polier a proposé plusieurs objections
qu’on fait contre la Religion et y a répondu. Les voici.
1e Obj. Le plan de la Société fondée par la Religion, est une Soci=
été en idée; jamais il n’y en eut de telle. Les avantages & le
bonheur de la Société ne sont pas le fruit de la Religion, ils
sont plutôt une suite des vices qui y regnent; le luxe, la
bonne chère &c sont des avantages très réels pour la Société,
la Religion ne les procure point, c’est le vice. C’est là la pre=
mière objection des Libertins. Réponse. Pour répondre a cette
objection, il faut montrer en détail tous les avantages que la
Religion procure à la Société, qui ont été détaillés ci devant
en grande partie, et prouver ensuite que ce sont de véritables
avantages, et que ceux que le vice procure à la Société ne
sont pas tels, que ce ne sont que des avantages faux et trom=
peurs. Le luxe, par exemple, n’est point nécessaire au main=
tien de la Société, elle peut s’en passer. Le commerce et les
arts ne contribuent qu’à la prospérité apparente de la Socie=
té: une Société qui en seroit privée seroit plus heureuse. Je
ne pousse pas toutes ces considérations, & je n’en indique point
d’autres, parce que chacun peut le faire.

2e Obj: La Religion Juïve établie de Dieu, a-t-elle rendu le
Peuple Juif plus heureux, dans le Desert, dans la terre de
/p. 63/ Canaan, sous les Juges, sous les Rois, ils n’ont pas été plus
heureux dans le temporel. Ils ne suivoient pourtant point
d’autre Loi que celle de la Religion, que celles qu’ils avoi=
ent reçeu de Dieu. Il faut excepter Salomon sous le regne
de qui le Peuple fut plus heureux, parce que les arts, le
commerce & l’abondance fleurirent extrèmement. Réponse.
Quoique Dieu eut donné des Loix à son Peuple, il ne s’en=
suit pas qu’il les ait pratiquées: l’histoire nous apprend au
contraire qu’il les a violées très souvent, & que ça été là
la source de tous leurs maux; leurs guerres, leurs oppressions,
la famine, les maladies, tout cela étoit une suite de leurs
désobéissance; au lieu que dabord qu’ils rentroient dans leur
devoir, ils jouissoient de la paix, de tranquillité, d’une san=
té ferme & d’une heureuse abondance. Dieu en leur don=
nant ses Loix, n’avoit pas voulu les contraindre par la for=
ce à leur observation, mais les laisser en liberté: afinqu’ils
aprissent par leur propre expérience, combien peu ils avoient
de force et de lumières pour se procurer le bonheur.

3e Obj: Jésus Christ, disent encor les Libertins, qui est venu éta=
blir la Religion Chrétienne n’a pas voulu se méler de refor=
mer les abus de la Société. Réponse. Il est vrai qu’il n’est
pas venu reformer les abus, ni prescrire les devoirs de Ma=
gistrat, &c. Mais il est venu établir des principes, qui remet=
troient la Société dans son lustre, s’ils étoient réduits en pra=
tique. Si la Religion Chrétienne n’a pas paré aux désordres
de la Société, comme on suppose qu’elle auroit pu le faire,
on ne doit point lui en imputer la faute, mais uniquement
aux passions des hommes qui ont abandonné la Religion,
Les passions des Princes, leurs dérèglemens, leur ignorance ont
introduit plus de désordre dans la Religion qu’il n’y en avoit
auparavant. Constantin le Grand introduisit la pompe dans
le Culte extérieur, par là il en diminua la solidité et la
bonté: On crut que c’étoit l’essentiel de la Religion, on s’y ar=
réta, et on négligea les vertus qui combattoient les passions
& les préjugés. Sous quelques Empereur la Religion fit plus de
progrès, elle eut plus de Sectateurs, mais moins de vrais fidèles
/p. 64/ parce qu’ils eurent plus à cœur l’extérieur de la Religion que
ce qui en fait l’essence. Nous concluons donc que ces objec=
tions n’ébranlent point la vérité qui vient d’être établie, c’est
que la Religion procure des avantages infinis à la Société,
qu’elle en est le fondement, et qu’elle en fait tout le bonheur.

Sentiment de Mr le Baron deCaussadeJe ne combattrai pas ici, a dit Monsieur le Baron De
Caussade, l’opinion de Mr Bayle qui soutient qu’une Société
d’Athées pourroit subsister, pourvu qu’on y multipliât les Loix
pénales; mais chacun sera obligé de convenir, et Mr Bayle lui
même qu’une Société qui seroit conduite par la Conscience
dont tous les Membres feroient profession de croire un
Dieu, et une vie à venir, que cette Société, dis-je, seroit
plus durable, plus tranquille & plus heureuse que celle qui
ne seroit composée que d’Athées; ce qui fait déja voir avec
évidence que la Religion procure un grand avantage à
la Société.

Les désordres qu’on a attribué à la Superstition sont
plûtôt des éffets d’un manque absolu de Religion, ils sont
plutot dus à un entier Antichristianisme; ainsi on ne peut
ni on ne doit en rendre la Religion Chrétienne responsable
puisqu’ils sont entiérement contraires aux maximes qu’elle
recommande. Peut-on attribuer à la Religion de Jesus Christ
l’horrible massacre de la St Barthelemi, ni la fureur du Pape
Grégoire XIII qui pour marquer combien il approuvoit ces
abominations fit frapper une médaille pour en conserver la
mémoire, & pour faire connoitre à la Postérité l’esprit
antichrétien dont il étoit animé? Qui reconnoitroit dans
la conduite de ce Pape l’esprit et les maximes de Jésus
Christ? Tous ces désordres ne prennent leur source que dans
l’envie qu’on a de s’agrandir, desir qui devient si violent qu’il
fait oublier toutes les règles de la Religion.

Tout Souverain doit être en garde pour empécher la Supers=
tition de faire des progrès, il est plus aisé d’empécher le mal de
s’introduire que de le chasser.

Je finis en assurant que la Religion est tout aussi utile à une
Société qu’à une famille seule, pourvû qu’on la suive.

Note

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Etendue
intégrale
Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée V. Des avantages de la religion pour la société », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 15 décembre 1742, vol. 1, p. 46-64, cote BCUL 2S 1386/1. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/394/, version du 24.06.2013.
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