,
Lettre à Frédéric de Sacconay, Marseille, 01 octobre 1737
de marseille ce 1er 8bre 1737
vous etes un véritable amy mon cher frederic
la prudence a devancé lage ches vous, et vous ny
avés dérogé qu'en votre amitié pour moy, cest
pourtant ce que je vous connois de plus cher a
mes yeux
l'infortune de genéve, pourroit bien etre le
point du changement de son etat en vertu de
mon amitié pour ses voisins je leur souhaite
de tomber entre vos mains en cas quelle ne
puïsse se soutenir elle méme, l'alternative ne
scauroit leur etre indifférente, soit par la différence
de religion de ses deux autres voisins, soit par
ce qu'ils sont chers, et que vous ne coutés rien
vous y avés des parents et des amis. ce sont
la de ces occasions a montrer son attachement
pour sa patrie, nous sommes dans l'age ou
les hommes sortent, et ce nest qu'en tentant
quelque chose de singulier, je pardle comm'un
aveugle des couleurs, mais ce nest qu'a un autre
moy meme et le motif ex me servira dexcuse
<1v> je contois partir au plutost pour paris, et il y a
aparance que jay mal conté, il va se faire icy un
embarquement de troupe lon ne scait pour ou
les uns disent pour la toscane, les autres pour la
corse, et comme la mienne, nest pas employée je
passeray volontaire, cela méloigne du point de vue
de ma fortune, il faut etre a la cour pour obtenir
mais je préfereray toujours de mériter, je pense
qu'un homme de guerre ne doit point négliger
les occasions d'aprendre qui cadrent avec son devoir
je ne m'en suis pas encore ouvert a ma mére, et a
dire vray scachant la tendresse quelle a pour moy
cela meffraye, mais elle a si longtemps vécu
avec lhomme du monde le plus incapable de
foiblesse, quelle sest accoutumée a renfermer
en elle la mére tendre, cela ne scauroit tarder
car la mer dants touts ces quartiers cy est impraticable
au mois de novembre, le premier embarquement
doit etre de six bataillons commandés par mr
de contade colonel d'auvergne, et en tout il sera
dit on de quatorze bataillons et de cinq ou six
escadrons, mr de maillebois le commandera
<2r> en chef et sous luy messieurs de lautrec et du
quaylar mareschaux de camp, mon métier comme
vous voyés mon cher amy fera désormais mon unique
attention, mais quand cet objet ne méloigneroit pas
de la province, le dégout que jay pour celle cy en seroit
toujours une raison suffisante, ce nest pas que cette
ville cy ou jay encore des établissements, et ou nous
sommes respectés par les anciennes obligations quelle
a a notre famille, ne soit différente du reste, un jour
que vous la viendrés voir vous conviendrés quelle
est unique dans le monde. mais enfin cest pécher
contre nature, que de faire de lhomme qui auroit
eu quelques talents un cocu résident et inutile a
la république, cet etat est bien grand pour que le
mérite particulier y perce, mais au bout de sa
carriere, syl n'a pas eu ce tumultueux bonheur, il
a celuy détre respecté dans sa sphère, et dailleurs
il porte avec luy sa recompençe
javois oublié de vous dire dans mon portrait que
je suis aprésent aussi eloigné de l'impieté que j'y
etois enclin autrefois, la cruelle chose que
ladolescence abandonnée a elle méme, il ny a
que vous qui ign soyés né homme
si Madame votre mére a des bontés pour moy, je puis
dire que jay pour elle autant de respect de vénération
destime et jose dire d'amitié que pour la mienne propre
que de merite bon dieu independammant de celuy de vous
avoir mis au monde
mesdemoiselles vos soeurs voudront bien recevoir
icy les assurances de mon respect et de mon
amitié
