Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 07 octobre 1774

du bignon le 7 8bre 1774

quoy que j'aye en chemin mon cher amy une lettre que je vous ay
écrite depuis peu, je réponds a la votre du 22e du mois passé, ne
fut ce que pour vous remercier de la notte sur le préssoir bien détaillée
qui y est jointte, et dont vous m'annoncés un modele. graces vous
en soyent rendues mon cher, car vous serés cause que j'en gratifieray
mon bignon qu'au fonds j'aime chaque jour davantage, ne fut ce que
parcequ'on s'attache a ses oeuvres, et que le travail engage le travail:
la vie est trop courte pour faire en totalité une terre et pour en jouir;
mais comme tout ce que j'y fais, qui chaque année est considérable, est
solide, mes successeurs en jouiront, et puis ce sont avances foncieres,
c'est le devoir.

mon vilain est encagé; sa femme est d'un caractère fort aimable
et fort solide et presque a souhait absolu; je ne scay mème pourquoy
je dis ce presque: son fils est en bonnes mains. croyés que par les
procédures et dépositions, il a eté clair que sa soeur l'avoit mené sur les
lieux et chez cet homme &c &c. tout cela ne doit plus moccuper que
par des détails indispensables, et je ne vous en parleray cher amy
desormais que lors des époques marquées

comme je n'ay pas reparu dans ce paÿs depuis vous, je ne suis
pas plus avancé que vous sur les notices, courantes, et vous sentés
qu'on ne peut guères par lettres; continuer de vous mettre au fait de ces
choses comme vous l'avés été. on m'a assuré que l'ancien ministre ra=
pelé etoit a peu près le maitre comme on peut l'ètre quand quand
quant... on dit aujourd'huy que la négotiation avec les anciens magis=
trats l'embarasse, on le seroit a moins. a légard du turgot il va
des pieds comme de la tète. vous aurés vu l'arrest pour les grains, les
8' pour livre suprimés, la caisse de poissy dont vous nous avés tant
ouy parler aussy, on rembourse toutes ces charges rongeuses de la
halle, l'arrest a paru pour la construction du canal de bourgogne;
chaque jour me mande t-on il paroit une déclaration favorable au
peuple. je vous ay mandé que du pont avoit ordre de revenir. nous
allons avoir deux gazettes oéconomiques, par semaine et deux volumes
<1v> d'éphémerides par mois: a la vérité c'est l'abé qui me mandoit cela
et promettre est un ...on a fait rendre au cher abé terray cent mille
écus qu'il avoit touché des fermiers gaux pour le bail futur qui com=
mence en 8bre, ce don a passé en usage, mais il étoit anticipé; Mr
turgot a fait porter cet argent au trésor Royal; on poursuit la corres=
pondance de la défunte compagnie des bleds; quand a moy je mébahis
de voir tant de bonnes choses, et puis je dis au pis aller ce sera
toujours autant de fait.

le st-pré qui a eté renvoyé est ce certain brochet de st-pré qui avoit
le detail des bleds et dont vous nous avés tant ouy dire de choses; il n'a
rien de commun avec st-prix intendant du languedoc. on a rendu
ce détail a d'albert que vous avés vu diner chez moy. au reste mon
amy si le bon régime peut tenir dans ce paÿs cy et se tirer de des=
sous l'énorme masse de décombres qu'il y a ranger et a remplacer
chose qui me paroit comme impossible, au présent du moins, vous
en tirerés et imiterés ce que vous pourrés; mais prenés garde que
toute la marche se dirige a attaquer ce que les villes apelent leurs
privilèges, qui ruine les campagnes et elles par conséquent; tatés
vous le poulz ensuitte et voyés ce que vous en pourrés tenir. lés=
prit
de république cet esprit si peu réfléchy et combiné avec les plans
de la nature, tandis qu'il est si profond et si vainement étudié
relativement a la méfiance, aux inconvénients civiques, aux con=
trepoids et autres foibles palliatifs, l'esprit de république dis je
est ce qui a perdu les nations, depuis qu'il fut inventé par les
grecs, intronisé par les romains, et qu'on eut fait une science et
une maniere d'etre, d'une idée simple et fille de la déraison et de
la tirannie des chefs, idée qui ne pourroit etre que d'interim. il a
etably la supériorité necessaire des villes sur la campagne, ce qui
est mettre la charue avant les boeufs. il est impossible qu'un sénat
soit équitable s'il devient puissant. cecy vous paroitra un Blasphème
vous qui voyés l'esprit de justice présider a vos conseils généraux;
mais obligés vos patres conscripti a donner, d'ou ils sont, des loix
a la normandie, a la norvége, a la hongrie, au royaume de
naples, et vous verrés si le salus populi suprema lex esto ne
sera pas bientost le point d'apuy de leur politique, et si ce peuple
<2r> dont le salut doit etre la suprème loy, ne sera pas le peuple domi=
nant, le peuple régnant, le peuple de bérne enfin, et si dans cette
fausse conscience l'intérest de la domination ne sera pas l'interest
public: de la l'afoiblissement des membres, la défiance des préposés
&c &c. il est impossible qu'un senat se soutienne s'il est foible. de
la mon amy benissés vos montagnes, comme venise ses lagunes, comme
gènes sa roche et sa nullité, comme la hollande ses digues; mais ne
contés pouvoir saisir de tout le régime de l'ordre naturel, que ce qui
est de l'article de la liberté et encor par parcelles, et jamais pouvoir
atteindre au sommaire, qui consiste en unité: vous en scavés assés
mon cher sur le tout pour n'avoir pas besoin que je vous en dise
davantage.

Me de pailly reçut vrayment votre lettre a paris; depuis ce temps
il faut touts les jours qu'elle vous réponde; son temps critique com=
mence a l'assaillir et a l'incommoder beaucoup tant au phisique
qu'au moral.

c'est vrayment ce pauvre petit la fruguelaye que vous avés vu
chez moy qui est mort d'une fievre maligne. quand dieu donne des
enfants dans sa colère, indépendemment de la résignation pure
et simple, encor y a til par comparaison avec d'autres angoisses
de quoy le remercier.

mille tendres et respectueux remerciments je vous prie a Mr
de chabot; je vous assure que le plaisir de l'embrasser entre
pour beaucoup dans ceux que je me fais du voyage projetté
pour lannée prochaine.

adieu mon cher amy toute cette maison cy vous embrasse et salue
bien tendrement mes Respects a la votre

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel près Rolle
en Suisse
Par Geneve


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 07 octobre 1774, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/354/, version du 26.03.2018.
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