Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Mont-Dore, 28 août 1774

du montdor de paris le 28 aoust 1774

j'ay reçu mon cher amy votre lettre du 9e du courant; j'y
réponds la veille de mon départ et je laisseray ma lettre a la
poste, en passant a clermont. je vous assure qu'au milieu de
mes douleurs, je sentis tres fort le chagrin que vous auriés de ce
contretemps surtout après la lettre positive que je vous avois écr=
ite en vous aprenant les couches de ma fille. mes douleurs rengré=
geant j'eus toute autre chose a penser qu'a envoyer chercher a
paris ce peste de harnois noir, que Me de pailly assura si affir=
mativement etre nécessaire pour ne pas manquer de respect a
vos villes. ce qu'il y a de singulier, cest que voyant le temps se
manger en vaines soufrances, ce fut précisément le voyage que
je vous devois qui me fit si facilement donner les mains a celuy
du mont d'or. une sorte de sentiment qu'il falloit cela, pour vous
prouver que mon mal n'etoit pas une minauderie; quelque
répugnance aussy a paroitre faire un voyage de plaisir, au risque
de faire courir après moy les lettres les plus importantes pour
mes affaires, en un temps ou vous scavés que je dois peu m'eloigner
des voyes consultatives, rogatives et décisives: tout cela ensemble
fit que j'obtempéray aux presses pour le mont d'or; car au fonds
je n'ay pour ces eaux que la foy la plus simple. elles m'ont été
fort salubres pour lestomac, elles me le sont encore, mais au fonds
je pouvois fort bien m'en passer. a l'égard des rhumatismes, touts
ceux de l'auvergne, du limousin, de la marche et provinces circon=
voisines y accourent; il s'y voit de belles guérisons, mais au fonds
le plus grand nombre y revient souvent. et si vous scaviés quel
endroit détestable, quelle malpropreté, quels lits, j'ay pris les 4 bains
ordonnés par le médecin qui devoient me rendre mes douleurs, si elles
<1v> n'etoient pas foncieres; elles ils ne m'ont rien rendu. je parts demain
après mes eaux prises, et si nous n'avons encombre, nous arriverons
en deux jours de clermont a montargis. les néges qu'on attend
sur ces montagnes, me font comprendre qu'il faut me retirer chez
moy. non que j'aye assés perdu la mémoire pour ne pas espérer
de retrouver l'automne dans les paÿs plats; mais l'été a été si sec
que l'automne pourroit ètre pluvieuse et froide; dailleurs je suis venu
avec du saillant et garçon que ces dames voulurent absolument que
j'amenasse, disant que cela soulageroit du saillant, dont la taciturnité
n'etoit pas suffisante pour continuels promenoirs, enfin il le fallut
et en tout ce voyage ou tout est fort cher a eté ruineux pour moy.
enfin mon cher amy vous m'avés donné deux mois, je veux vous les
rendre et me les donner a moy mème s'il m'est possible et il le sera
et je vous prie de croire que l'année prochaine a moins que je ne
sois mort ou perclus, je ne vous manqueray pas.

adieu mon cher amy, mille tendres et profonds Respects a Mes
vos soeurs et a toute votre maison. je ne scay si vous avés encore
dans votre voisinage, un jeune pce poniatouski qui m'a écrit de
morges. j'ay vu peu de jeunes gens qui promettent autant; dans
ma réponce, je luy ay recomandé de vous voir. il a grand besoin
de devenir oéconomiste; il en est fort loin, n'etant venu a moy
que sur les fins de son voyage a paris, comme pour voir la pièce
curieuse; mais il a du génie, du talent et de la volonté, et nulle
pente aux vices qui égarent et énervent la jeunesse. adieu mon
tres cher saconay, mon gendre veut que je vous salue de sa part
et je vous embrasse de tout mon coeur

Mirabeau


Enveloppe

a monsieur

Monsieur de Saconai en son
chateau de Bursinel, près Rolle
Par Geneve


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Mont-Dore, 28 août 1774, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/350/, version du 26.03.2018.
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