Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 11 janvier 1772

de paris le 11e jr 1772

excusés mon retard cher amy sur le temps actuel ou l'on est
accablé de lettres. le plus grand et presque le seul inconvénient
de lage, c'est le racornissement du temps. que dieu vous donne
a vous et aux votres, toute satisfaction dans l'année ou nous allons
entrer, la santé surtout de l'ame et du corps, et sur le tout que sa
haute et paternelle volonté soit faite.

si je ne me trompe smith a l'humeur douce, la tète saine, mais
pas absolument achevée; il en sera de mème de son ouvrage. ce
qu'on apèle des philosophes dans les temps civilisés, gens qui ne
sont que des rognures des tètes pensantes, aux siècles de labeur et de
nécessités, ont communément deux manies qui les froissent éga=
lement; l'une est de croire bonnement pouvoir inventer quelque
chose; l'autre de s'échafauder méchaniquement sur tout ce qu'ils
trouvent épars ça et lâ, et que d'autres ont pensé avant eux. la
science oéconomique et sa doctrine sont également préservées de
l'une et de l'autre de ces 1 mot biffure erreurs. nous n'inventons rien 1 mot biffure et
ne recomandons que la soumission et lobeissance aux loix de lordre
naturel; nous n'empruntons rien non plus de ceux qui nous ont pré=
cédé dans letude de la saine politique; 1 mot biffure nous admirons ceux
qui par la justice du coeur, la force et la justesse de coeur lesprit ont apro=
ché des résultats de létude des loix naturelles, d'autant plus qu'ils
ne partoient pas des vrais principes, mais s'ils nous édifient 2 caractères biffure
2 caractères biffure nous enrichissent ny ils ne nous détournent pas; ce sont des rognons
d'une mine dont nous suivons exactement le filon; en un mot qui=
conque a une fois bien le pied sur les avances de la culture ne doit accuser
que son génie tourné a quelques autres objets, s'il ne parcourt
et n'embrasse touts les cas que peut offrir la politique. mais il ny
a pas a se détourner, toute diversité ne sauroit ètre que dans
l'accent, et nullement dans le langage, d'ou suit que si l'ouvrage
<1v> de smith est singulier par le fonds, ce ne sera qu'un hermaphrodite
quand a ce qui est de montrer le défectueux de toutes les légis=
lations passées, j'ay comme désigné cette carrière dans les lettres
sur la dépravation de l'ordre légal: si elle est sagement remplie
par un esprit ennemy de toute hypothèse, en garde contre son
imagination, cultivé par des connoissances sûres et réglé par
une saine critique, ce sera un ouvrage excellent, et la maniere de
smith qui sent un esprit tranquille et accord ajoutera encore a
son mérite.

ce qui me fache très fort cest quil n'ait pas connu mes leçons oéco=
nomiques, qui l'auroient peutètre guidé, mais assurément soulagé.
il parut tel au margrave que ce fut celuy qu'il daigna généaloriser
et presque transcrire. je vois bien quil n'a aucunement paru chez
vous, puisque vous l'avés cherché en vain. au fonds cest un peu votre
faute a vous autres; vous voyés dans les éphémérides annoncer un
ouvrage de l'amy des hommes avec la note du libraire &c et vous
ne daignés pas indiquer a vos libraires d'en faire venir quelques uns.
celuy lâ surtout qui n'est qu'un petit volume, en disant un mot dans
vos sociétés, vous en auriés fait débiter plusieurs exemplaires, et cest
toujours cela de semé. jen fais porter encor un exemplaire chez
les srs lullin, j'en mettrois plusieurs si j'en avois en ma puissance
mais je n'en ay aucun. dites aussy si vous avés reçu les deux derniers
volumes des oéconomiques.

quand au cte gorani le voila party du bon pied, laissons le aller;
sa manière de traiter du luxe 1 mot biffure, montre qu'il n'en est pas ou il pense
dans la science, et que cette question parfaitement adhérente a tout
le reste n'est pas éclaircie dans sa tète. a cela près son ouvrage sur
l'impost est fort bon et dans les vrais principes. adieu mon cher
amy, que j'embrasse de tout mon coeur, mille et mille profonds et
tendres Respects a Mes vos soeurs

Mirabeau

Mr de gentil est icy ou le pauvre homme n'a pu encor atteindre sa
femme; je l'ay vu deux fois chez Me de pailly, il eut peine a me recon=
noitre, et quand a moy je l'aurois plutost reconnu au dedans de sa
tète qu'au dehors.


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur de Sacconai en
son chateau de Bursinel
Par Berne en Suisse


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 11 janvier 1772, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/317/, version du 26.03.2018.
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