Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 09 mars 1758

de paris le 9 mars 1758

quelque satisfaction que je doive ressentir mon cher saconay, de
m'entendre louer par un amy qui m'a senty avant que de me
connoitre, qui m'a discipliné dans l'age ou j'étois indisciplinable,
dont la famille m'a sauvé la vie par ses soins hospitaliers, et dont
l'amitié est mon plus ancien trésor et le plus prétieux attendu lestime
que j'ay pour son ame et pour son coeur; malgré le plaisir dis je
que me font ses éloges motivès, et malgré la juste impatience que je dois
avoir de luy en témoigner ma reconnoissance, je ne vous écrirois
pas si promptement, connoissant les mesures qu'exige votre
indolence épistolaire, si je n'avois une grace a vous demander.
c'est a l'occasion de la continuation de cette tracasserie concernant
vos régiments avouès; elle intérésse beaucoup quelqu'un a qui je
suis fort attaché et a qui je dois l'étre, et je vous demande en grace
de me faire avec exactitude les details de ce qui se passera de
public a ce sujet, car vous sentès bien que je ne demande, ny ne
croirois pouvoir obtenir d'indiscrètion, mais tenès moy je vous
prie au courant de ce qui est fait pour étre scu.

ne soyès point surpris mon très cher si je prends la libérté de
raisonner sur cet article. ma cèlèbrité dont j actuelle dont je fais
grand cas relativement aux gens, mais grace a dieu sans m'en
estimer d'un cheveu d'avantage au contraire, me met souvent
a mème de raisonner sur des objets qui passent d'autant plus
<1v> mon intelligence que la plupart demandent les notions du courant
auxquelles je n'ay aucun droit, pour en raisonner; mais on m'at=
taque par des mémoires, des questions et des consultations, dont
je ne me tire que par le moyen des principes que je me suis fait
sur toutes les choses usuelles autant qu'il m'est possible, et il
en résulte quelquefois des idèes dont on me scait gré. il n'en a
pas été ainsy des raisonnements que je vous fis l'annèe passèe sur
la question délicate qui vous a agitès; cepandant vous n'avès pas
tout a fait improuvé non plus mes raisonnements quoyqu'en
les débatant. je recommance donc ne fut ce que par exercice.

je vous avoue que si j'eusse été ce que vous desirès j'aurois taché de
vous épargner cette tracasserie, et représenté que puisqu'il restoit
des régiments en france c'étoit se chercher des affaires que de mettre
celle cy en question; mais il n'est plus question aujourd'huy de ce
fait la; je n'examine plus les antécédants dont je ne connois la
solution que par le fait, et je vous prends au point actuel.

sur quoy fondé dirois répondrois je aux mémoires en question les puissances
intéressèes nous font elles des reproches. ce n'est point aux puissances
étrangères a reclamer la teneur de nos capitulations qui ne sont
faites que pour nous. si nous avons dans des temps critiques cru
devoir nous en relacher c'est que nous avons senty que la lettre
doit se preter quand l'esprit change. aux temps de nos capitulations
nous etions les seules troupes soudoyèes ce qui a donné lieu au
proverbe point d'argent point de suisse mais aujourd'huy l'on
y pourroit ajouter point de françois, point d'allemans &c. du
<2r> moment que les souverains ont trouvé moyen d'avoir des armèes
de nationaux, c'est une attention de leur part plutost qu'un don
de la notre qui les astraint a leurs traitès avec nous; et plus cette
attention et la confoedération se perpétuent, plus la méfiance et
la roideur de notre part doit aussy diminuer. il ne faut point icy
nous considérer dans la mème cathègorie que les princes qui
vendent leurs troupes: ce sont leurs bestiaux, nos sujets a nous
sont libres, nous les authorisons a servir telle et telle puissance
soux la foy de nos traitès, mais nous ne tirons aucune rétribution
de leur sang, leurs officiers font partie de l'état parmy nous et
notre attention paternelle craindroit de les rendre dèsagréables
dans les services auxquels ils se consacrent en les astraignant
a des formalitès sans substance. nous n'avons point enfraint
les exceptions de nos capitulations, mais quand nous l'aurions
fait, faut il comparer les temps ou six mille suisses ramenoient
dans sa capitale un roy poursuivy par ses sujets révoltés avec
ceux ou douz cent hommes avouès dun canton font partie de
150 mille nationaux. vous nous rapelès notre neutralité ou
pour mieux dire notre fraternité universelle, cest le sentiment
le plus vivant en nous et qui fait taire touts les autres; sans
cela que seroient dans nos conseils une puissance marchande
et qui hait le militaire, et une puissance guerrière qui veut
que ses soldats n'ayent d'autre patrie qu'un camp, auprès d'un
voisin qui le premier nous reconnut pour indèpendants, nous
rechercha, nous illustra tant par la paix et concorde que par la
guerre et la désunion, sont ce les cours de londres et de berlin qui
firent avouer a munster notre liberté par la fière germanie.
nous honorons touts les souverains, mais ceux qui nous chèrissent
nous le témoigneront par leur confiance et leur tranquillité et
sentiront que 2000 hommes de plus ou de moins ne sont pas ce qui
dècidera dans une guerre qui met en armes un million d'hommes.
des ombrages et des murmures et des plaintes en pareil cas, auroient
plus l'air de vouloir nous troubler par des partialitès que de nous
<2v> marquer de la considèration.

je raisonne sans doute comme une cruche mon cher amy, car pour
trouver abondance de raisons, il faudroit scavoir vos capitulations
et tout enfin ce que j'ignore 1 mot biffure de l'ètuy diplomatique dont j'avoue
que j'ay toujours différé a de m'instruire jusques a huitaine avant
le jour ou je serois jetté dans la bouteille a l'encre politique; mais
mon très cher cecy pourroit étre bon en ce que quand on est dans un
mauvais pas relativement au stricte, il faut en sortir par les
généralités, et surtout en toute chose publique quelconque abrèger
les questions qui peuvent aboutir a partialisation.

revenons a mon pauvre livre; il ny a point de tètes au monde dont
je fasse plus de cas que de celles de berne, car celles de venise, sont
plus routinèes au dedans, mais corrompues, moins instruites en grand
et plus cantonnèes dans un coin de l'europe. vous devès juger par lâ du
plaisir que je ressents en aprenant le succès qu'a eu mon ouvrage
auprès de ces bonnes tètes; c'est pour moy un grand encouragement;
et une des plus grandes faveurs que je pusse recevoir, seroit que ceux
de vos cantons ou la bourgeoisie vient dites vous d'etre communiquèe
aux ètrangers voulussent m'en honorer; il n'en est aucun je vous jure
qui soit plus zélé amateur, et plus respectueux admirateur de votre
nation que moy je vous assure, et les suisses qui sont a paris le scavent
bien. je vous envoye a ce sujet la copie d'une petite ode qu'ils me dem=
andèrent l'annèe passèe. on avoit fait d'indignes vers sur la tracasserie
dont nous parlions cy dessus, on y fit une plus mauvaise réponce, je fis
celle cy en un temps ou depuis 12 ans je ne faisois plus de vers. il ny
a nulle aparence que j'aye jamais l'employ dont vous me parlès atte=
ndu qu'il est aujourd'huy considèré comme place lucrative, et que
je ne suis point âpre a cela: mais si quelque jour j'ay un peu de
liberté j'iray embrasser mon amy et revoir les pénates de l'humanité
ne fut ce qu'en allant chex moy.

on fait icy une assès belle èdition de l'amy des hommes, qui est
aujourd'huy contrefait partout; je me serois fait scrupule d'y
changer une virgule pour ne pas et de tromper 1 mot biffure les acheteurs précédents
mais il y aura une adjonction d'un second volume in 4° il roule
entièrement sur des matières oéconomiques de la france, cepandant
vous y trouverès des traits généraux de politique. adieu mon cher
amy mes respects a vos dames et donnès moy des nouvelles de l'affaire en question.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 09 mars 1758, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/233/, version du 18.05.2017.
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