Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 17 avril 1751

de paris ce 17e avril 1751

votre dernière lettre mon cher saconay a été un peu retardèe
sur mon bureau contre mon ordinaire, mais les temps de la
semaine sainte compliquès d'un jubilé font pour les gens qui
ont ègard a lextèrieur un temps perdu (du moins pour ce monde
cy) et qui arrière toutes affaires et correspondances; d'ordinaire
en ce temps la je renonce a courir le monde mais du moins les
promenades entrelardent les offices, soulagent la tète et replacent
les hypocondres, cette annèe cy ce nest depuis 5 mois qu'innondations
sur innondations déluges sur déluges et pluyes sans discontinuation
au moyen de quoy lon n'a pas eu le secours de ces sortes d'intermèdes
et il a fallu rester chex soy; forcé de vapeurs j'ay été a sceaux
pour y passer quelques jours comptant enfin sur le proverbe des
balénes mais point la pluye ne m'a pas quitté; ètre la pour voir
ces beaux dehors fin innondès et au dedans buzes autour d'un cav=
agnole, cadrilles piquets &c ce n'est pas la peine et j'ay regagné la
ville 1 mot biffure toujours en tète a tète avec jèrèmie qui ne sort
point de ma poitrine, en peu de mots voila mon histoire mon cher
amy et celle de mon retardement.

je voudrois bien je vous assure et donnerois beaucoup pour cela, je
voudrois dis je de tout mon coeur que le règime ordonné par mon
<1v> docteur put causer quelque soulagement a Melle votre soeur, le
détail de son état est ègalement touchant et effrayant et feroit cet
effet la, quand mème on ne connoitroit pas la personne affligèe, jugès
quand au contraire; mon docteur est assurèment un homme très sage
et que je connois pour tel par expèrience, si son règime est aprouvé et
qu'il faille en demander la continuation, il me le faudra mander.

notre ambassadeur étoit homme desprit, il est bien en lieu a devenir
homme de bon sens et çelon ce que vous me marquès il me paroit
qu'il le devient; ces deux choses reunies forment des hommes rares
en ce temps cy du moins dans les monarchies ou le pouvoir est pres=
que toujours dans len des mains que de gens que la première de ces qua=
litès effraye, ou éblouit de façon a en tout espèrer et tout attendre
de façon qu'on éloigne ou qu'on prémature les talents, deux façons
de les rendre nuls et quelque fois nuisibles a la patrie.

je sens mon cher amy combien vous devès avoir a coeur que Mr
votre beaupère faire son chemin, tant a cause de votre intèrèst per=
sonnel que parce que vous pouvès craindre que votre mariage mème
ne luy ait nui, du moins il m'est revenu quelque chose d'aprochant
de cela et je vois bien qu'il ne me revient pas tout, notre amitié est
trop affichèe pour cela et je suis a cet ègard comme un mary sur ce
qui concerne sa femme; le meilleur moyen dans les choses d'icy bas
qu'on croit devoir poursuivre cest d'agir comme pouvant tout
et de se resigner comme ne pouvant rien, le prècepte est aussy bon
qu'ancien, et plus on aproche de cette pratique plus on s'èpargne de
<2r> peines et de mècomptes, hors tout le bonheur d'icy bas n'est presque
que privation de maux. adieu mon très cher amy, mes Respects
a votre èpouse et comptès toujours sur Mirabeau


Enveloppe

Monsieur
Monsieur perrault a genève
pour faire tenir a Mr de saconay
genève


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 17 avril 1751, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/189/, version du 03.04.2017.
Remarque: nous vous recommandons pour l'impression d'utiliser le navigateur Safari.