Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Auxerre, 16 juin 1732

d'auxerre ce 16e juin 1732

je ne vous ecrivis pas hyer mon cher amy parceque vous
n’auries pas plutost receu ma letre que vous recevrés celle cy
d’autant mieux qu’il faut amasser certains nombre de
fadaises amusantes pour ecrire car quand je vous dirois que
je vous aime cela est bientost fait dit et vous en etes persuadé
pour mes pensées et mes differents mouvements que nous
avons convenu de nous dire toujours tout comme si nous
etions dans le meme lieu l’agitation du voyage ne me permet
pas de me connoitre comme si j’en avois le temps sa liberté
pourtant ne laisse pas que de déranger mes moeurs a ce
sujet la je vous conteray un petit cas de fornication dans
lequel je tombay hyer au soir a l’auberge ou nous logions
il y avoit une grosse gagy de servante que je persecutay
etant seul après soupé dans la salle a manger elle me dit
quelle alloit raporter des verres et qu’elle remonteroit je
l’aurois attendue longtemps si l’ayant veu entrer dans une
etable a vache je ny fusse descendu je ly trouvay et moitie
figues moitie raisin beaucoup plus l’un que l’autre je l’emportay
ce nest point un conte fait a plaisir je m’amuse asses en
route hyer a sens je fus tout emu en passant par la place
revenant de voir la cathedrale je vis passer en desabillé une
jeune demoiselle qui me parut parfaitement ressamblante
a la maitresse que vous scavés je connus bien par les mouvemens
<2v> que je sentis que l’amour n’est pas eteint toutes les fois que
l’on se l’imagine je m’aretay et comme ceus qui etoient avec
moy s’aperceurent de mon emotion je leur dis que comme jétois
a jeun je me trouvois mal jentray dans l’auberge mais cela
fut asses tost dissipé si j’avois de la vanité elle seroit bien flattée
de la manière dont je suis traité mais croix impose de façon
que tous les autres me respectent en tout a table pour les chambres
il ny a sortes de politesses qu’ils ne me fassent quand etant
arrivé nous allons faire un tour ils semblent etre ma cour et
les gros paysans otent au cordon noir le chapeau du plus
loin qu’ils le voyent du reste dans le coche mes airs d’opera
quelques vers du glorieux des traits distoire un air imposant
et quelques fois les minauderies que vous me connoissès me font
passer parmy eux pour un prodige d’esprit et d’enjouement
du moins parmy les anglois pour les françois pour les deux anglois
ils le disent mais ils je n’en repondrois pas toutes sotises que je
vous dis mais que peut il sortir d’un vase que ce qui y est

a propos de sotises voicy quelques vers que vous jay fait depuis
que nous nous sommes quittés ils ont furieusement la mine voyag=
euse mais vous les prendrès syl vous plait tels qu’ils sont

un fanfaron en compagnie
temoignoit estimer fort fille
fille qui n’eut jamais servie
et l’aimer jusques a la mort
jen scais une dit sylvie
montrès reprend le fanfaron
votre epée toute la vie
de pucelle aura le nom

ma fois plus je les lis et plus je vois qu’ils ne valent rien
<2r> du tout mais ils sont ecrits nous passons par le plus beau
pays du monde a propos la premiere fois que vous m’ecrires
mandés moy si neuchastel n’est pas allié de la suisse il me sembloit
vous l’avoir entendu dire et la dessus jay decidé mais un
anglais en a appellé peut etre croirés vous que jay cédé
oh que nani vous me connoissés trop il m’a proposé un
pary vous scavés que jopiniatre jusques la mais nec plus ultra
(ces trois mots me font souvenir que je suis bien honteux d’etre si
amy d’un homme qui ne scait pas le latin) pour revenir donc
a mon histoire je crains de parier horsmis avec ceus que je
puis ne pas payer si bien que je me suis retranché sur ma
conscience qui ne me permettoit pas de faire un pary dont jetois
sur, il pretend qu’il est allie du roy de prusse je croi voulois
ecrire a smyt et a st thropès mais je crains de nen avoir pas
le temps dis leur toujours que la captaine et l’impertinent
les salue tu embrasse vous m’entendes adieu.

le cher de mirabeau

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Auxerre, 16 juin 1732, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/172/, version du 14.05.2013.
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