Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 04 avril 1749

du bignon ce 4e avril 1749

jay reçu par deux courriers consécutifs mon cher et très cher amy la lettre
que vous mècrivites en partant pour copet et celle que vous m'avès ècrit
au retour; il seroit inutile de vous exprimer ma sensibilité sur tant
de peines que vous vous donnès pour moy et sur l'affection et exactitude
avec laquelle vous vous y portès. a vous dire vray mon cher amy, aux
scrupules près de vos antagonistes qui me paroissent singuliers, je les
trouve raisonables et cest nous qui sommes fous de songer a une besogne
au dessus de nos forces, car l'intèrest les termes, les payements, 1 mot biffure
&c tout cela est infiniment plus avantageux quon ne le trouveroit
en france; j'en dirois de mème du prix, suposé que ce que vous me dites
que létat est bas porte sur la totalité, car des effets nobles en paÿs de
droit écrit en france s'achetent au trois pour cent. il ny a que ces
terribles laods dont on a toujours remise du tiers en france et quelquefois
de plus. en provence 9000 lb de rente s'achèteroient 100000 écus et nous avons
par dessus touts ces meubles, car quand aux bestiaux agrais &c cela ne se
dètache point de la terre; autre chose dont lexpèrience icy m'a fait connoitre
l'avantage cest la solidité et étendue des batiments oeconomiques. je vois
cepandant que cette terre n'est pas de lespèce de celles de provence et qu'elle exige
habitation, mais ce n'est pas un embarras pour moy qui ay très fort rèsolu dy
habiter. ce n'est pas que je sois d'un grand secours a loeconomie, j'ay des gens
d'affaires habiles et zèlès, mais je suis si dispersè quen qu'eussay je davantage je
n'en aurois pas auprès de moy, hors aucun mème n'est agriculteur, et parmy
cette nombreuse maison qui m'environne je manque absolument par ce point
la. quand a moy je ne prends gout qu'aux préz et encore ny scay je autre chose
que les ètendre, enclorre, écouler, y amener de leau, les arracher les buissons
conduirre des fumiers et semer sans cesse trèfles et graines de foin. cepandant
avec vos conseils et mon activité nous viendrions a bout de tout.

je joins icy une lettre que vous ferès passer si vous le jugès apropos sous envelope
a Melle lochar. cest de la plus plate èloquence que j'ay faite il y a longtemps mais
le fonds y est et on est si interrompu d'offices en ce temps cy que cela joint a mes
travaux me fait recommencer une lettre a dix fois. vous ny verrès a peu près que
les mèmes raisons dont vous vous ètiès servy; et a dire vray je ne comprends pas
<1v> que ces gens la n'ètant pas pressés d'argent puissent imaginer de fonds ny publics
ny autres plus agrèables qu'un revenu exact a leur perte hypothèqué sur une très
belle terre, dautant que le temps que nous leur demandons n'est pas considé=
rable et jaccepteray volontiers les dix ans comme aussy l'article des payements
vèritablement mon but une fois moy connu sera toujours de prolonger le dit
temps car il ne se trouve nulle autre part un si petit interest et vous sentès
que mariant mes filles &c si je ne le faisois argent comptant je payerois
le 5 et il vaudroit mieux employer là son argent. l'argument que vous
me faites mon cher amy qu'il vaut mieux dèplacer tost que tard paroit simple
mais il nest pas selon ma scituation. oté mon hotel et cette terre dont je ne
puis avoir de l'argent du soir au matin, les fonds que je pourrois deplacer sont
en provence, qui sont les meilleurs de notre maison comme ètant en paÿs dètats, en
paÿs de commerce, en paÿs de droit ècrit &c et touts rassemblès, au lieu que ma
femme en a d'assurès en valois, a paris, en poitou, dans la marche, en limousin
et en pèrigord et en angoumois; cest donc cette dispersion que je desire rèunir; ai=
nsy vous voyès mon cher amy que le temps nest pas pour moy attendu que les usu=
fruitiers vivent, et que dailleurs cest maintenant qu'il faut acquèrir, et quand
il s'agit de vendre, les choses ne sont pas si prètes. je ne perds cepandant pas
espèrance; les deux points auxquels nous devons butter sont 1° diminution du tejusqu'à la fin de la ligne reliure
et je suis toujours bien aise de celle de 4 a 5000 écus qu'on vous à soux entendu, car
ces diables décus genevois me paroissent si gros que cest toujours beaucoup; 2°
sil se peut celle de l'argent contant, mais pour le present votre seule besogne
est de les voir venir. pour moy je vais remuer ciel et terre pour trouver et je vous
manderay a mesure que j'auray des nouvelles. il y a deux articles de votre lettre
qui demandent explication; l'un est le laods de ces sortes de fonds ne se tirent
qu'au 9 ou au 10
est ce de la terre est ce de la montagne que vous voulès parler
au pis aller toujours cest une diminution, ainsy que lestimation du mobilier et
le 5 pour 100 pour les èpingles; dans vos calculs mon cher amy vous n'avès jamais
compté cela pour rien. autre article jay vu un homme d'affaire de Me de copet qui
luy a offert 2000 écus de sa terre par annèe, hors les vignes sont des fonds qu'on ne
peut jamais arranter
, cela veut il dire que les vignes n'etoient pas comprises
dans cette offre; si cela nest pas, cest fort au dessous de ce qu'il dit dans le mèmoire
qu'un bourgeois en offre 8000 lt. en outre mon cher amy vous ne me mandès pas si
l'entretien de tout cela vous a paru devoir aller haut; mais vous me mandès tant de
choses que je suis honteux dètre si importun. je n'iray donc pas pour le prèsent
mon très cher vous embrasser, quand a mon homme si je l'envoye ce n'est pas
pour qu'il ajoute rien a mon instruction, mais cest que la prudence exige dans
les grandes opèrations de mettre ses soux ordre de son party, car obeissance ou
zèle sont deux; hors comme il est d'un paÿs de vin, jay pensé que toute cette
vinaterie qui m'a frapé dans le mèmoire luy donneroit dans la vue et que
partant de la il en iroit d'un pied plus franc a mes arrangements qui vèrita=
blement sont d'un genre effrayant pour des gens du second ordre. adieu mon
cher saconay je tembrasse comme je t'aime.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 04 avril 1749, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/153/, version du 16.05.2017.
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