Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 20 décembre 1748

du bignon ce 20 xbre 1748

j'ay reçu mon cher amy votre lettre du 10 de ce mois, y joint ce singu=
lier mémoire qui est le plus surprenant que j'aye vu en ma vie, et
si en ay je beaucoup vu jadis attendu ma qualité d'acquèreur quand
je voulus avoir cette terre cy, et toutes les offres qu'on m'a faites de=
puis que mon mariage m'a fait gros terrien dans d'autres provinces
que la mienne. si 1 mot biffure si j'alivrois ainsy mes chateaux et jurisdiction
je ferois un pompeux etat de mes fonds, mais pour dire mieux je ny
entends prècisément rien et pas plus que s'il ètoit en allemand; cepen=
dant il me semble mon cher saconay que vous ètes si voisin de Rolle dont
je me souviens bien et qui ètoit le bercail a Mr du fresne qu'il vous doit
ètre très facile de scavoir ce que cela vaut de revenu et ce qu'on en
demande de capital, du Reste s'ils ne veulent pas vendre je ne scay pour=
quoy ils se font mettre dans la gazette, mandès moy a qui cela apar=
tient mon cher amy, quoyque au fonds je comprenne qu'il ny fau=
dra guères penser. vous m'avès fait grand plaisir de me marquer
qu'on trouvoit des fonds a acheter dans cet heureux paÿs toutes
les fois qu'on a de l'argent; je comprends que les hommes y sont com=
me partout ailleurs mais partout je m'accomode assès avec les hommes
une seule chose me tente sans cesse de fuir je vous l'ay dit cest le malheur
des paÿsans qui va toujours en augmentant et la dèpopulation re3-4 caractères écriture
accélèrèe en tout sens de façon que tout se plante en bois et que nous
allons demeurer seuls. je n'ay pas imaginé qu'on trouvat en ce paÿs la
des fonds que l'industrie put doubler, cela ne se trouve nulle part
<1v> hors pour quelques richards heureux et en ètat d'attendre lèvènement
et d'en profiter ou dans des objets très considèrables quand par hasard
il s'en vend, je n'ay jamais scu de façon d'augmenter mes fonds qu'en
n'èpargnant rien pour les mettre en valeur, en y faisant les plus grosses
entreprises et dèpenses, mettant enfin la non seulement mon superflu
qui est nul, mais tout ce qui naturellement devroit aller a la parure
et entretien de moy et de ma femme aux plaisirs &c, y ètant moy
mème avec une activité singulière dressant des gens qui me relèvent
&c, oh je crois mon cher amy qu'en tout paÿs et bien hors celuy de vig=
nobles dont jamais je ne feray un gros fonds dans ma maison, on tro=
uve avec cela a augmenter son hèritage, du moins a en juger par
le comtat d'avignon, paÿs dèlicieux et franc de toutes charges, quoyqu'il
soit très bien tenu jy connois bien des domaines que j'avantagerois
excessivement en prairies qui est la seule agriculture a laquelle je
me donne, objet simple en aparance mais que j'ay rendu très composé
par mon audace et industrie a conduire et attirer les eaux et par
plus de deux ans d'une pratique continuelle et active a l'excès, touj=
ours a la tete au moins de soixante paÿsans. pour revenir a notre
objet, vous m'avès fait un dèlicieux plaisir mon cher amy en me mar=
quant que dans le temps je trouveray toujours des fonds a placer
dans vos cantons; si je vis seulement vint ans encore je vous en feray
passer a ce que jespère assès considèrablement; je ne crains point l'i=
1 mot biffure mprobation dont vous me parlès, on est trop endormy au branle de
la roue dans ce paÿs la, pour prendre garde a si peu de chose et
dailleurs je ne pense point a mal, je dirois s'il le falloit mon motif a
tout le monde on ne paye point de dixième la et l'on en paye icy et
au pis aller enfin je n'attends rien de ce paÿs la et consèquemment n'en
crains pas grand chose. ce que vous me marquès de copet me paroit
beaucoup plus raisonable que ce diable de mèmoire mais de la façon
dont j'ay ouy parler de cette maison la, ç'en seroit autant et plus quil
<2r> n'en faudroit pour mon habitation, hors mon cher amy il ny a pas
aparence que l'ètat my soufrit un aumonier pour moy et mes gens
au moyen de quoy a moins que la distance de terre pontificale ne soit
tout a fait petite ce ne pourroit ètre que des courses et pour cela il
n'est pas besoin d'un palais tel que copet; rèpondès moy a cela mon
cher amy, car a cela près je ne serois pas étonné de payer 8000 lb de
rente 240000 lb pourvu que ce fut contrat en main. mais comme
vous dites mon cher amy nous avons des idèes un peu vagues a cet
ègard; toutes mes ressources prèsentes ne roulent que sur la vente
de mon hotel qu'a la vérité je ne donneray pas moins de 40 mille
écus, mais comme on n'achète rien argent comptant en entier il
y aura bien une partie a attendre au moyen de quoy je nauray
gueres que 20 mille ècus a disposer a la vèrité pour un excédent
je donnerois de telles cautions et hypothèques qu'on sen contenteroit
car outre les fonds de notre maison que tu connois et qui sont si a por=
tèe des paÿs de commerce on a assuré a ma femme par contrat de
mariage trente mille livres de rente en fonds de terre qui dont les fonds
seront transportès chex vous quand jen seray le maitre, mais tout cela
a ce que je crains ne sera pas bastanza pour gens d'un paÿs rond et
qui veulent voir leurs deniers, aussy ne pensois je a rien de semblable lors=
que je vous ay ècrit pour Rolle, jimaginay que ce seroit des jurisdictions
et peu de fonds hors les jurisdictions en france se comptent pour rien
et enfin je crus pouvoir y atteindre avec mes 20 mille ècus; notre pis
aller mon cher amy sera d'attendre et de placer a mesure que jauray
des fonds, il est vray qu'en faisant de la sorte on n'achette jamais
de considèrable; sur tout cela mon cher saconay je vous demande conseil
et assistance, je vous rèpète que 8000 lb de rente 80 mille ècus ne me parait
point un denier trop fort en bons effets et il entre moins de vignes que
de bois et prairies ou redevances, adieu mon cher saconay je suis pressé
aujourd'huy et vous embrasse de tout mon coeur.

jay cru que vous ne seriès pas faché de voir la relation cyjointe
que je tiens du major des gardes qui arrèta ce prince estimable
et fort aimable dit on.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 20 décembre 1748, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/145/, version du 16.05.2017.
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