Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur les causes de la décadence et des progrès des sciences et des arts, par W. McDowall », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [juin] [1772]-[juillet] [1772], p. 113-124

Sur les causes de la decadence
et des progrés des Sciences et des
Arts. Par Monsieur McDowall

Tous les Auteurs dont j’ay lû les ouvrages, et voulant
rendre raison de la décadence des Arts, des sciences du commerce
<114> Commerce et du Gouvernement, dans les Païs qu’ils ont
examinés, ont toûjours, selon moi, trop pesé sur des
causes accessoires, et ont trop peu réfléchy sur la nature
des Arts, du commerce, du Gouvernement, et sur les
suites necessaires de leur perfection.

Je veux, Messieurs, dans les observations suivantes,
en mettant de côté toutes les circonstances étrangeres,
me borner à examiner, si les Arts, les manufactures,
et le gouvernement d’un état ne sont pas limités dans
leur avancement, et s’ils ne tombent pas naturellement
en decadence, quand ils sont parvenus à un certain point
de perfection.

1° C’est au progrès graduel de nos appetits et de nos
besoins que les Arts et les manufactures doivent leur
avancement. L’homme n’a pas plûtôt possedé l’objet
de ses desirs, qu’il court après un autre; Et ainsi par un
effort continuel pour ameliorer la situation, il parvient à la
découverte et à la Culture de ces Arts, qui lui procurent
non seulement le necessaire, mais encore les commodités
et les agrèmens de la vie.

2° Une autre circonstance qui inflüe beaucoup sur
le progrès des Arts et des manufactures, est cette habitude
d’industrie que les hommes acquierent par l’exercice
de ces occupations, que leurs appetits et leurs besoins
leur ont fait entreprendre. Une personne qui s’est
engagée, pendant long tems dans l’exercice de quelque
emploi particulier, s’en acquitte avec une habileté,
une aisance, et une adresse, qui paraissent mer=
veilleuses à ceux qui n’ont point eu l’occasion d’acquerir
les mêmes habitudes. En prenant un gout decidé pour
sa profession, elle s’est parfaitement accoutumée à
cette manière de Vivre, à cette attention Continuelle,
à cette extrême contrainte, et à l’exercice Vigou=
reux des facultés que cette profession exige. Elle trouve
<115> trouve de plaisir dans l’occupation même, independamment
des avantages qu’elle lui procure; Et lorsque elle est parvénüe
à son but primitif, elle est souvent excitée à étendre encore
son Talent, et à l’avancer, autant que ses facultés le lui per=
mettent, par le moïen continuel de l’industrie, qu’elle a déja
acquise et qu’elle perfectionne.

Il n’est point d’Art, quelque Laborieux et difficile qu’il
soit, qui ne devienne par une longue habitude, facile &
même agréable à la personne qui le professe. Un maître
d’Ecole diligent, qui travaille presque sans cesse, et dont l’oc=
cupation nous paraît si ennuyeuse, s’en acquitte ordinai=
rement, non seulement sans peine, mais même avec
plaisir et ardeur, et ne se trouve Jamais plus heureux, que
dans l’exercice de son Emploi. Nous pouvons même dire, que
plus son emploi est resseré, plus son application est sevère et cons=
tante, plus aussi et dans la même proportion son attachement
à sa profession est plus vif; Parce que le petit nombre des
idées qu’il possède, l’Oblige de retourner plus souvent au
même Cercle d’amusement, et le rend encore plus Esclave des
habitudes particulières de sa profession. C’est pourquoi
il y a peu d’hommes d’affaires qui, ayant quitté leur
profession pour mieux vivre à leur aise, et couler leurs
Jours dans une tranquilité parfaite, qui paraissent Jouir
en realité de ce contentement qui avait flatté leur Espé=
rance. Privés de cette occupation habituelle, que leur
profession leur fournissait, ils ne trouvent plus d’objets
capables d’exciter leur attention, et de leur procurer
assés d’amusement. Dans la plus part des Villes commer=
çantes, J’ay rencontré plusieurs personnes dans cette situ=
ation; battant le pavé, et regardant ouvrant des grands
yeux sur tout ce qui se passe, ils montrent sur leurs
visages cette langueur d’Esprit qui les oprime.

3° La mode et l’exemple ont aussi une Influence
considerable sur l’avancement des Arts et des Manufactures. Les
<116> Les hommes cherchent toujours à imiter leurs semblables
dans leurs plaisirs, et dans leur manière de vivre. Ainsi dans
un Païs où l’Industrie est à la mode, chaque individu s’encourage
à suivre l’usage generale, et à se conformer à l’esprit domi=
nant du siècle. Il voit que par son Art, ou par son Talent il
peut se procurer les agremens que ses compatriotes recher=
chent, et qu’ils croïent être absolument necessaires pour amelio=
rer leur sort. Il remarque par ce moïen qui peut se consilier
l’estime et l’approbation de tout le Monde. Mais que s’Il
mène une vie Oisive, il sera exposé au mépris et à
l’Indignation publique.

Ces circonstances sont de puissants motifs pour animer
les hommes à surmonter leur paresse naturelle et à
poursuivre avec Chaleur le but auquel ils veulent
atteindre.

D’un autre côté quand le Peuple devient oisif, la conta=
gion de l’exemple se communique, et produit un goût
pour l’oiseveté qui étouffe l’Industrie. On se décourage
aisement, dans un emploi Laborieux, quand on voit
qu’il est contraire au goût general, et qui ne donne pas
la reputation. On préfère plûtôt d’adopter le Sistème
de la mode et d’affecter ce mépris du Travail qui a
déja gagné tous les états et qu’on regarde come honorable.

D’Après ce que Je viens d’exposer, il paraît que le
progrès naturel de nos besoins, l’habitude qui rend
industrieux, et qu’on acquiert en remplissant sa prof=
ession, aussi bien que l’Influence de la mode, et de
l’exemple sont les causes qui nous excitent à la Culture
des differents Arts, et selon que nous apercevons
dans un Pais le rapport et la reunion plus ou moins
complette de ces circonstances, nous pouvons Juger que
son commerce, ses Arts, et ses manufactures
parviendront à un plus ou moins grand degré de
perfection. C'est

<117> C’est pour cela que dans les siecles de Barbarie, on voit les
Arts languir, et que les Genies propres à les Cultiver restent dans l’inac=
tion. Le premier sentiment de l’homme est celui de pourvoir à sa
subsistance, Et les peines qu’il essuïe pour se procurer le Simple
necessire, le détournent du Luxe et de l’aisance. Tant qu’il est
reduit à cette scituation, il n’est pas en état de faire des dé=
couvertes capitales, d’avancer les Arts et le Commerce. Le tra=
vail auquel il est Sujet, Quoi que tres rude d’aïlleurs, n’est pas
d’une nature à fixer continuellement son attention, et à
étendre ses idées. Pressé par la faim, il s’arme pour la
chasse, ou il va chés ses voisins piller ce qui lui est necessaire.
Et après avoir éprouvé bien des fatigues il se livre entierre=
ment au Repos et à l’oisiveté.

La force de la Coutume et de l’exemple jointes à Ces
circonstances, le confirment et l’entretiennent dans cette
Espèce d’apathie à laquelle il est naturellement porté.
Un dégoût general pour l’Industrie se conserve et domi=
ne parmi tous les ordres de l’état. Être oisif c’est affi=
cher le bon ton, et tout emploi qui demande beaucoup
d’Application est rejetté avec mépris. Nec arare
terram, (dit Tacite des Germains) nec expectare
annum, tam facile persuaseris, quam vocare hostes
et vulnera mereri
. Pigrum 1 mot biffurequinimmo et iners videtur
sudore acquirere, quod possis sanguine parare. Quotiens
bella non incunt, non multum venatibus, plus 1 mot biffureper otium
transigunt, dediti somno ciboque; fortissimus quisque, et
belli conissimus nihil agens; delegatâ domus, et penatium
et agrorum 1 mot biffureaurâ feminis semibusque, et infermissimo cui=
que ex familia ipsi 1 mot biffurehebent, mira diversitate naturæ;
cum iidem homines sic ament inertiam, et oderint quietem.

Ainsi les hommes sont ordinairement restés pen=
dant long tems dans l’ignorance avant que d’avancer
dans les Arts, ou dans la Science du Gouvernement. Tel
<118> Tel a été le sort des Americains, des Tatares, et
de ces Nations qui habitent les côtes meridionales et occi=
dentales de l’Afrique.

Mais après plusieurs generations les hommes font des
progrès beaucoup plus rapides. Dès qu’ils commencent à
gouter les Agrémens, et les commodités de la Vie, leurs
besoins s’étendent à proportion; Ils recherchent alors les
emplois les plus pénibles pour les satisfaire, et l’Industrie
est redevable de ses accroissemens à l’Esprit dominant du
siècle. L’histoire de quelques nations modernes me fournit
une preuve de ce que J’avance: Elles ont fait pendant ces
deux derniers siècles des découvertes beaucoup plus rapides
que dans tous les siècles precedens.

On peut dire neanmoins que ces progrès sont limités
par la Nature de ces mêmes causes qui y ont contribué.
J’ai déja remarqué, que la profession qu’on avait
embrassée attachait par elle même, et qu’on la continuait
indépendamment du premier but. Ainsi l’Industrie et
l’application font naître la frugalité au sein même
de l’abondance, et nous font renoncer à ces plaisirs,
par la crainte même de ne pas nous en assurer la Jouissance
qu’elles peuvent nous procurer. D’un autre côté, c’est un fait
aussi certain, que plus nous satisfaisons nos besoins, plus
nous contractons des habitudes nouvelles. Celui qui se
plonge dans le Luxe, ne court qu’après le plaisir, son
Esprit est incapable de se fixer à quelque chose de solide,
et il tombe insensiblement dans un état oisif et dissipé.
Aussi voïons nous qu’un homme de plaisir est rarement
appliqué aux affaires, et qu’un homme d’affaires
fuit les plaisirs qui pourraient le dissiper trop. Les
differentes scituations des hommes leur ont fait contracter
autant de differentes habitudes, souvent opposées les
unes aux autres. L’Indigence est la mère de l’Industrie.
C’est elle qui invente et qui fait tout valoir: Les richesses
<119> Richesses au contraire, entrainent avec elles le gout de l’indo=
lence et des plaisirs. Un Artisan qui a gagné une brillante
fortune, ne renonce pas à son état, ou s’il vient à l’abandonner
dans les infirmités de la vieillesse, les habitudes de l’œconomie ne
perissent qu’avec lui. Mais le fils élevé dans la possession des Tresors,
qu’il n’a pas amassés par son industrie, mène une vie toute op=
posée à celle de son Père. Dans l’indifference pour des richesses, qu’il
ne craint pas de perdre, parce qu’il ne sait pas comment elles s’acquie=
rent, il devient Oisif, et ne connaissant pas la peine d’acquerir, il
repand avec prodigalité les biens que son Père lui a laissés.

Un Païs où le commerce fleurit, abonde bientôt en richesses.
Le Citoyen oublie alors l’Industrie; n’étant plus pressé par l’indi=
gence, et l’état d’oisiveté, suite funeste du Luxe, a pour lui
les mêmes attraits qu’avait autres fois le travail, pour la
generation précedente. Cette alteration dans les mœurs
n’est peut être pas assés sensible dans les commence=
mens, pour en faire soupçonner la decadence.
Car pendant que les riches restent dans l’Inaction, il y
en d’autres qui gemissent dans l’Indigence; Les uns pour
pour n’avoir Jamais amassé, d’autres pour avoir dissipé
follement leur fortune. On peut supposer que ceux là
ont autant de penchant pour l’industrie, que les prémiers
en ont pour les plaisirs; Et que si les Arts et le Commerce
sont negligés par les uns, ils seront cultivés par les autres.
Mais pour que nous puissions avoir une idée parfaite
de l’influence du Luxe universellement répandu
dans une Nation, il faut considerer les effets qu’il
produit sur l’esprit dominant du siècle. Il faut
considerer que les hommes se laissent facilement
éblouïr par tout ce qui a de l’éclat, qu’ils copient le
ton et les manières de ceux qui brillent au dehors,
soit par leurs dépenses, soit par les distinctions de
leur état. C’est pourquoi l’oisiveté et la dissipation
des grands gagnent l’esprit du Peuple, corrompent ses
<120> ses mœurs, et finissent par détruire l’industrie et la
frugalité, auxquelles leur scituations les porte naturellement.

Chacun a été le témoin des effets malheureux produits
par les grandes richesses. Les mœurs d’un seigneur oppulent
peuvent être observées dans ses Domestiques qui con=
tractent ses habitudes, ses airs et ses manières, et qui les
repandent souvent dans le village, qui a le malheur de
leur être voisin. Si nous examinons les villes et les Villages
de la Grande Bretagne, où l’Industrie règne le plus,
nous trouverons que rien n’en a plus facilité les
progrés que leur éloignement de ces grands seigneurs,
auxquels ils étaient redevables de la Protection dans les
tems du Gouvernement feodal.

Les mœurs Dominantes des Capitales de l’Europe,
où les Nobles et les riches se rendent en foule, peuvent
aussi servir d’exemple à l’observation précédente. C’est
là que nous apercevrons l’oisiveté, et la dissipation,
le mépris de l’industrie, et de la frugalité, Les airs
de la magnificence et les élegans caprices de la mode,
qui sont en quelque manière confondus dans tous les
rangs.

On peut se convaincre facilement que les richesses
multipliées, multiplient aussi les desordres chés Le
Peuple en general. La contagion de l’exemple ne
sera pas seulement renfermée dans le voisinage d’un
Riche seigneur, ou dans l’Interieur d’une grande Ville,
mais il se repandra par tout le païs, et infectera
tous les habitans. Ce relachement des mœurs a
premierement influé sur les sciences et sur les
Arts liberaux, qui sont les plus susceptibles d’être
affectés par des circonstances critiques. Ils tombent
ainsi qu’ils se font élevés. On neglige les études qui
demandent beaucoup d’application et de peines,
et l’on se contente d’éfleurer les matières sans les approfondir
<121> approfondir; on se dégoute même de cette Litterature, legere &
frivole; Et l’on se livre ensuite aux plaisirs des sens.

Les Arts Mechaniques degenerent par des causes sembla=
bles, l’habileté et l’adresse, avec lesquelles on les Cultivait,
diminuent aussi insensiblement. Plus les habitans d’une
contrée sont effeminés dans leurs mœurs, plus les Artistes
negligent leur Profession, et se trouvent alors obligés de
rencherir leurs ouvrages, afin de pouvoir subvenir à
leurs besoins. Par cette raison ils ont beaucoup plus de
difficulté dans le débit; Tandis que leurs voisins plus
indigens, mais plus industrieux, peuvent livrer leurs
marchandises à un prix plus bas.

C’est ainsi que les arts, les manufactures et le commerce
dégenerent, et qu’ils perdent le degré de perfection qu’ils
ont acquis.

Quand les Arts et les Sciences sont attaqués par
ces ennemis, il n’est pas possible de dire Jusques à quel
point elles seront affaiblies; Car on conserve souvent
l’habitude de l’oisiveté, lors même que les causes qui
l’on fait naître, ont cessé d’agir; Et le dégoût du
travail qu’on contraite dans le sein des richesses, sub=
siste, même dans l’Indigence. Dans ce cas, la difficulté
de renouveller les mœurs d’une nation paraît insur=
montable, par la quantité des obstacles qui se presentent.

Jettons les yeux sur le Tableau que nous offre à
cet égard l’histoire, et nous découvrirons aisement, que
le luxe et l’abondance entrainent après eux des effets
funestes, qu’ils ont été les principales causes de ces
grandes revolutions dans la litterature, les Arts,
les manufactures, et le Gouvernement des differents
Païs.

La decadence generale des Arts et des sciences qui ména=
çait déja Athènes sous le Regne d’Alexandre, et
qui devint tres sensible dans les siecles suivants, est ordinair...
<122> ordinairement attribuée aux differentes revolutions
du Gouvernement, auxquelles cette ville fut sujette.
Il est à présumer cependant que cette decadence fut
düe plûtôt aux mœurs et aux dispositions du Peuple.
L’Argent circulait alors chés les Athéniens par l’immensi=
té des Mines qu’ils possedaient, et par un commerce
fort étendu, ces trésors avaient introduit parmi eux
un gout immoderé pour le Luxe, pour les spectacles
et la dissipation. Par cette raison leur ardeur à Cultiver
les sciences et le commerce se ralenty, independamment
de leur sujettion à une domination étrangère.

Nous pouvons attribuer à la même cause la
décadence des Arts et des sciences chés les Romains, dans
les derniers tems de leur existence. Leur Domination
étendue les mettait en état d’acquerir des richesses
immenses, et les entretenait dans un Luxe et une
dissipation inconnus chés toute autre Nation. C’est
ce qui affaibly leur force et leur industrie, et corrom=
pit leurs mœurs, sans qu’on puisse en accuser la mauvaise
forme du gouvernement sous lequel ils vivaient. Ainsi
le genie Litteraire commença a decliner dans Rome
sous le Regne d’Auguste, et n’a jamais pû recou=
vrer son ancienne splandeur, malgré les encoura=
gemens des plus habiles Princes, qui aïent jamais
paru dans le monde.

Dans le periode suivant nous pouvons appercevoir
une décadence semblable dans les Arts mechaniques
Et après une suite de quelques siecles ce Peuple
Tomba dans cet état d’ignorance et de Barbarie
où il s’était trouvé dans ses commencemens dans
les Arts et les sciences.

Les revolutions qui arriverent en Italie sous le
Pontificat de Léon X peuvent être attribuées à la
même cause. Les Villes commercantes de l’Italie avaient
<123> avaient fait seules pendant quelques siècles le commerce principal
de L’Europe, et fournissaient à la plûpart de leurs voisins les articles
les plus riches, et les plus lucratifs de leurs manufactures; De cette
maniere leurs richesses devinrent tres considerables, et dans la
découverte du Nouveau Monde, ils retirerent la plus grande
partie de l’Or et de l’Argent qui fut apporté en Europe; Parce
que ces Villes étaient les seules capables de fournir les mar=
chandises, que les possesseurs de cet argent voulaient achetter.

Cette rapide augmentation de richesses réplonge en peu
de tems les Etats Italiens dans les excés du Luxe, qui détrui=
sirent bientôt leur industrie et les empechaient de mettre à
profit les avantages qu’ils avaient sur leurs voisins dans l’Art de
la Navigation.

Les autres Païs de L’Europe ne nous offrent pas encore
l’occasion d’observer des Revolutions semblables dans leurs
manufactures et dans leur commerce; Quelques uns au
contraire, semblent à cet égard dans la Scituation la
plus florissante; Et malgré les richesses immenses qu’ils
ont accumulées: ils n’épargnent pas leurs peines et leurs
soins pour acquerir de nouvelles richesses. Je doute
cependant que le Luxe excessif de ces nations ne porte
pas bientôt ou n’ait pas déja porté quelque atteinte aux
sciences et aux Arts liberaux; Quoi qu’il n’ait pas encore
affecté les Arts mechaniques, que nous cultivons par
des motifs, et selon des principes plus uniformes. Il est
Aujourd’huy generalement avoué, qu’en France et en
Angleterre, la Litterature et le Genie ont beaucoup
dégenéré depuis le siecle de Louis XIV, et de la Reine
Anne. Les derniers Ouvrages qui ont parû dans ces
Nations, font entrevoir une decadence reelle dans la
Litterature, et nous forcent à reconnaître, que les
scavans abandonnent les recherches Laborieuses de la
Philosophie, pour ce scavoir leger et superficiel, qui
demande peu d’application et d’assiduité. Ce n’est pas la
<124> la science solide, mais brillant de l’Esprit que l’on recherche
Ne doit ont pas attendre qu’une semblable alteration
dans les mœurs, deviendra dans la suite plus generale
et s’étendra à la fin jusques sur ces Arts et ces professions
professions, qui sont les sources principales des
richesses et de l’opulence.

Comme J’ay déja trop longtems abusé de vôtre
attention, Je n’entrerai point dans le détail des effets que
produisent le Luxe et l’oppulence, sur le gouvernement
d’une Nation. On peut Juger qu’ils seront les mêmes que
sur la Littérature les Arts et le commerce.

Après tout il est bien difficile de fixer les Tems aux=
quels ces circonstances 1 mot recouvrementcomenceront à operer. Les
mêmes richesses ne produisent pas toûjours les mêmes
effets. Il y a des Climats où les habitans sont plus
enclins au Luxe et à la dissipation que dans les
autres.

Ceux qui ont acquis des richesses à la Longue et par
des peines Multipliées, tardent plus à devenir oisifs
et corrompus; que ceux qui sont redevables de leur
oppulence à un coup de fortune, et qui ignorent les
difficultés et les Embaras d’amasser.

Ainsi l’oppulence qui a introduit l’oisiveté en
Espagne, n’a pas eu les mêmes effets en Hollande
ou dans la Grande Bretagne.

Voila quelques observations sur un sujet qui me
paraissait neuf et interessant. Pensés, Messieurs, que
celui qui vous parle est un Jeune homme et un
Anglais, et vous pardonnerés les fautes de son stile,
et le manque d’agrement dans sa maniere de l’exprimer.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur les causes de la décadence et des progrès des sciences et des arts, par W. McDowall », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [juin] [1772]-[juillet] [1772], p. 113-124, cote BCUL, IS 1989 VII/4. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1402/, version du 08.02.2024.
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