Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Changements aux règlements de la Société / Sur les suicides », in Journal littéraire, Lausanne, 14 décembre 1783, p. 155-156v

<155> Assemblée du 14e Xbre 1783

Présens MM. le Juge, Levade, Vernéde, de Montagny
Verdeil Bridel Secretan Doct. Gely Secret. Secret.

La Societé s’est occupée de Mess les Etrangers, Deliberé
qu’on s’en tiendroit au premier arreté du livre des Loix fol. 3
en y ajoutant que les Membres qui pourroient desirer d’y
amener quelque personne que ce soit devront l’annoncer
le Dimanche auparavant, pr avoir l’agrément de la Societé.

La Societé a décidé qu’elle attribuoit à Messr les sous
Bibliothecaires voix et seances dans ses Assemblées sur toutes
les Matières à l’exception des points de régie qui concernent
les fonds de la Societé, et cela pr tout le tems qu’ils seront
en charge.

À l’egard de l’heure de l’Assemblée on a décidé que
la salle seroit ouverte à deux heures et que la séance
s’ouvriroit à 4 heures précises.

La Question du jour etoit celle ci. A quoi doit on attribuer la
frequence des suicides
.

Monsr Vernede a lu un Memoire dans lequel il dit qu’il n’y a
rien de plus etonnant que l’Action d’un home qui de propos
deliberé se prive de la vie d’une manière violente. En effet
dit il pour se porter à cet exces il faut avoir dompté cet
instinct naturel cette loi gravée dans le coeur par la bonne
Providence qui leur fait desirer et chercher leur Conservation.
A l’instinct il ajoute la raison qui doit nous attacher à la
vie par la consideration des biens des douceurs qu’elle nous procure
De plus des liens qui paroissent augmenter le prix de
l’existence par les charmes de l’amitié, le tendre interet qu’ins=
pire une famille à laquelle on est utile et même nécessaire;
Nos obligations envers la Societé la Patrie. Toutes ces
Considerations deja fortes par elles memes sont encore appuiees
par la Religion qui nous apprend que l’homme n’est point le
Maitre de s’oter la vie qu’elle est un Depot, un don, et que Dieu
en déffendant le meurtre nous deffendoit aussi le Suicide.
Cette action devient encore plus etrange si l’on considère que
<155v> que c’est le moyen le moins propre de passer tranquil=
lemt et avec confiance dans l’Eternité plus ou moins
redoutable pr tous les hommes.

Malgré toutes ces raisons qui doivent augmenter
l’amour de la vie, Les suicides sont fréquens. On
demande avec raison quelles en sont les causes.

Mons. Vernede, les attribue au derangemt de l’esprit
occasionné par la mauvaise disposition du corps. Il
ne pretend point diminuer l’atrocité de ce crime ni
excuser ceux qui s’en sont rendus coupables.

Quoique son opinion puisse n’être pas absolumt vraye
Ce sont ses expressions Il croit pouvoir l’etablir par
les raisons suivantes

1° que le suicide paroit affecté à certains Pays come
l’Angleterre la Hollande où l’air mal sain les alims
trop succulens les boissons trop fortes servent à exalter
des caracteres energiques, des passions violentes, soutenues
par l’oisiveté et le luxe.

En Hollande, dit Mr Vernede ce sont des Gens aisés
auxquels l’air epais la mauvaise nourriture, le
manque et d’exercice donne une humeur sombre
et des idées outrées et fausses sur la Religion; pendant
que les suicides sont i7 caractères recouvrementgnorés dans la Provence le Langued.

2 Ce n’est pas toujours le malheur ou des circonstances
facheuses qui poussent les hommes à cet acte violent.

3 Parmi ceux qui se tuent il y a dit Mr Vernede autant
de croyants que d’incredules, si donc le Corps n’influoit
pas sur l’esprit les gens de bien ne se Donneroient pas
la mort.

On connoit l’influence du corps sur l’ame, on sait
ce que peuvent sur elle, les malheurs, les mauvaises
habitudes, les occupations forcées, le manque d’exercice
de recreation, d’où viennent les maladies.
Mons. Vernede conclud que suivant son opinion
si elle est fondée les Suicides sont plus à plaindre
qu’à blamer et sont plus du ressort de la Medecine
que de la Morale.

Monsieur Verdeil a appuié cette opinion.
1 ligne biffure
3 mots biffure. C'est dans les Grandes Villes qu'on
peut

<156> Il a voulu la prouver par la quantité de Suicides remarquéscommis à
Londres et le petit nombre de ceux qu’on remarque à Paris,
quoique il y ait plus d’irreligion à Paris qu’à Londres.

Mais Monsieur Levade qui tenoit par cette dernière
opinion
 attribue les Suicides à l’irréligion a observé
que la Police cache exactemt la connoissance des Suicides
faits à Paris au lieu qu’à Londres on en fait gloire et que
des là même on ne peut pas conclure que le climat ou d’autres
raisons physiques en soient des cause particulières.

L’idée de Mr Levade attribue les Suicides à l’irreligion et au
peu de foi qu’on donne au dogme de l’immortalité.
Il etablit une différence entre les Suicides des anciens et les
Suicides Modernes. Les premiers avoient leur Cause dans
l’Orgueil, l’amour de la Gloire, le désir de se faire un nom
et de passer à la posterité avec le merite d’une action éclatante
et étonnante. Le Secretaire croit que parmi ces motifs il pouvoit
y en avoir d’autres come celui le soupçon d’une autre Vie.

Avec l’orgueil et l’amour de l’indépendance Caton paroit avoir été
animé de cette idée suivant ce qu’Addison lui met dans la bouche
avant qu’il se donna la mort. La traduction est de Voltaire

Hatons nous de quitter une prison funeste
Je te verrai sans ombre ô verité celeste
Tu te caches de nous dans nos jours de sommeil
Cette vie est un songe et la mort un Reveil.

Voila donc une idée un motif qui suivant Mr Levade n’influeroit
point du tout dans notre Siècle si c’est l’irréligion le peu de croyance
à l’immortalité qui porte des gens à s’oter la vie. Il veut encore
que la curiosité les y pousse qquesfois pour savoir plutot par eux mêmes ce qu’on
doit attendre après la mort. C'est donc à la 2 mots biffure
début de la ligne biffure de ce dogme.

Monsr le Juge ajoute le luxe qui dévore les fortunes qui fait que
malgré l’inegalité des biens chacun veut briller come son voisin
on se ruine et quand il n’y a plus de ressources il est le plus desespoir
porte à des exces et puis au Suicide. L’exemple y peut entrer
pour beaucoup. On se croit autorisé par les actions d’autrui.

Mr le Docteur Secretan a cité un beau trait d’un Major
du Roi de Prusse qui frappé par le Roi, à une revue des troupes
recula et dechargea un de ses pistolets aux pieds de son Maitre
et de l’autre se cassa la tête. C’est ici l’honneur
<156v> qui fait commettre le suicide. Mais tout en admirant
ce trait on se demande qu’est ce que l’honneur.
Il ajoute La lecture de mauvais livres, de ce livre qui exaltant
l’imagination échauffe le cœur, nous approprie au
lecteur les circonstances qu’il renferme, on se croit
dans les mêmes situations, on commence à approuver
on loue celui qui a eu la force d’ame de se tuer on
devient acteur à son tour. Mr Secretan en a cité
le trait d’un jeune home dans une situation très
honnête très agreable que la lecture des souffrances de Werther
ont réduit à cet état. Il croit aussi qu’un homme
ennuié de la vie se croyant inutile à lui même et
aux autres pourra sans beaucoup d’efforts se résoudre
à s’oter la vie come un joug un fardeau incommode.

Et Mr le Juge croit qu’en mettant à part les motifs
tirés de la Réligion il seroit difficile à décider si le
Suicide n’est seroit pas naturel dans une telle situation.
Il y auroit, dit il beaucoup de raisons pr et contre
et d’ailleurs on ne connoit pas assés toutes les
raisons particulieres et possibles qui peuvent agir plus ou m. sur
les différens caractères pour déterminer leur degré de force.

Mr le Juge Il attribue beaucoup à l’irreligion et pour finir
il a cité un ancien Bill d’un Parlement d’Angleterre qui
paroit avoir eté dans la même idée puisque pour remedier
aux fréquens suicides qui se commettoient dans ce
Royaume il ne crut pas trouver de meilleurs remedes
que d’exhorter tous les habitants de la Grande Bret.
à croire en Dieu.

Sans doute Messieurs j’aurai tronqué vos idées
mal rendu vos avis, Mais mes occupations mon
peu d’experience et mes efforts meritentdemandent votre
indulgence.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Changements aux règlements de la Société / Sur les suicides », in Journal littéraire, Lausanne, 14 décembre 1783, p. 155-156v, cote BCUL, Fonds Constant II/35/2. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1378/, version du 23.02.2024.
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