Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 08 avril 1748

du buignon ce 8e avril 1748

j'ay reçu a deux courriers l'une de l'autre mon cher saconay vos
deux lettres du 14e et du 24e du mois passé; par le mème cour=
rier qui m'aporta la 1ere ou vous me paroissiès encore fort incer=
tain du succès de notre affaire japris de saintonge qu'elle avoit
reussy et que le sr du vergier ètoit installè; je me faisois un plaisir
de vous l'aprendre et sil avoit fallu un motif pour me rendre
diligent a rèpondre celuy la auroit fait cet effet; mais je fus retenu
par le desir que j'avois de pouvoir vous dire quelque chose sur la
question que vous me faisiès sur une matière intéressante et poli=
tique; je m'adressay tout aussitost a quelqu'un de l'amitié duquel
je suis certain et sans luy dire l'usage que jen voulois faire je l'ay
mis sur cette matière; j'en attendois la rèponce mais elle se fait
trop attendre et je reçois votre seconde lettre par laquelle vous
m'aprenès avec une vèritable joye d'amitié ce que je scavois dèja
mais ce dont je vous dois mille remerciments vu l'intérest que je
prenois a la chose et d'autant aussy qu'il vous en coute un beau
chien que je n'imagine pas que vous eussiès donné a Mr de lonzac
pour ses beaux yeux. je vous en Rends donc mille graces mon cher
amy, si l'amitié telle que la notre scait bien faire les choses elle
scait bien aussy les aprètier. on me mande que la ditte espèce
d'homme, fait a quelque dèvolutaire une donation entre vifs soux pension, en ce
cas je vous prie mon cher amy pour ne pas laisser votre bonne oeuvre
imparfaite de le prier que suposé qu'il fit quelque arrangement qui
<1v> luy subrogeat quelque autre il se souvienne de spècifier que laditte
charge seroit conservèe au sr du vergier du moins pour un temps
et la chose ne seroit pas difficile a obtenir, car ce sont les plus
honnètes gens du monde paÿs; voila mon dernier article sur cette affaire
du succès de laquelle je vous remercie encor mon cher amy.

si l'injustice des hommes vous irrite en suisse mon cher saconay, par
quelle porte sortirès vous? hélas demeurès: mais indèpendemment des
objets gènèraux qui blessent partout une ame bien nèe, songès combien
la providence vous en a èpargné de douloureux; trouvès vous a cent
pas de votre porte des femmes mourant de faim, elles et leurs enfants
voyès vous donner a un homme qui n'a que ses bras autant de subsides
que vous pourriès luy donner de gages dans votre maison, voyès vous
arracher le chaudron des mains de la villageoise en pleurs pour un
mince reste de tailles par son plus proche parent suivy d'un suisse
a moustaches, qui quand vous reprochès au collecteur sa duretè il vous
rèpond la larme a loeil qu'il est prèt a ètre trainé luy mème en
prison; voyès vous le père abattu mener son fils unique pour tirer
a la milice presque toujours luy second, voyès vous des brigands enlever
par force sur les chemins les paÿsans pour les mener a la guerre
assujettit on a un rachat chex vous non seulement les hèritages col=
latéraux, mais encor ceux du père au fils, voyès vous afficher chaque
jour de nouveaux èdits sans ceux que vous attendès encore, et le tout
orné de cette populaire formule - voulons et nous plait termes que
dieu ne mit pas au bas du décalogue; ah mon cher saconay remercions
<2r> la providence sans la tenter sans cesse par dinjustes desirs et qui
semblables a la soif de l'hydropique nous conduiroient a notre perte
en les satisfaisant; nous avons passé la moitiè de notre age, ce qui
nous a suffy jusques a prèsent peut bien tnous suffire encor, faisons
valoir ce que nous avons reçu nos enfants seroient injustes de nous en
demander davantage, non qu'il ne soit permis de l'accroitre mais je crois
qu'il est très imprudent de le desirer assès pour que cela detourne notre
vue de notre fin dernière; pourquoy tant de projets pour si peu de
temps, cest ce que je me dis bien souvent moy qui ay plus besoin de
cette Rèflexion que qui que ce soit; elle n'empèche pas d'agir mais elle
nous donne la disposition de tout soumettre a qui nous devons tout; je
jne dogmatise point icy mon cher amy cela m'iroit mal, mais je vous
dis ce que je pense vous qui avès toujours lu dans mon ame dont
vous faites partie.

dèsque le vent des jugements n'est pas pour vous mon cher saconay
accomodès votre procès, et quand il sera pour vous accomodès les encore
cela ce qu'on apèle ainsy n'eut il d'autre inconvénient que de tenir
l'ame en activité nuisible a quelqu'un je les ay en horreur, et pense
qu'il n'en faut faire juger, que comme un homme tendre fait exécuter
sans rémission s'il est en place un coupable pour en empecher plusieurs
autres, jen ay gagné huit depuis moins de quatre ans, mais jen ay acco=
modé plus bien davantage, et je remercie dieu bien sincèrement toutes
les fois que je signe quelque accomodement. adieu mon cher saconay
ma femme se blessa avant hyer; si d'un cotè l'habitude que j'ay contractèe
de raporter tout a la cause première me rend les accidents plus frapans
de l'autre elle me les rend moins sensibles; je le suis pourtant a celuy cy
car jaime fort les enfants, adieu mes Respects a toute ta famille.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 08 avril 1748, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/137/, version du 17.06.2013.
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