Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 12 décembre 1747

du buignon ce 12e xbre 1747

je me hate mon cher amy de vous feliciter du rètablissement de votre
fils, il vous donnera peutètre encore souvent de semblables allarmes
peutètre pis, mais tout est dans la main de dieu, qui veut que nous
nous aidions comme instruments et non comme mobiles. j'ay soumis
par ce principe a sa volonté le renversement actuel de touts nos fla=
teurs chateaux en espagne au sujet de la place en question; quand
il a fallu fondre la cloche il s'est trouvé qu'elle ètoit promise, on sy
prend de loin dans ce paÿs cy; ce qui ne vient pas dans un temps peut
venir dans un autre, vous scavès mon cher saconay ou gissent mes plus
grands regrets.

notre credit baisse chex vous comme partout ailleurs, et je ne doute pas
que le ministre hollandois n'obtienne peu ou prou de ce qu'il demande
d'autant qu'il est tout simple que laffection soit un peu du coté des
confrères en rèpublique en religion &c, 2 mots biffure et qui semblent
opprimès; ils le sont en effet, mais c'est assurèment plus par les anglois
que par les françois. tandis que contraints par l'opiniatreté des factieux
nous nous ruinons a leur arracher quelque piéce de marais, les autres
fomentant leurs divisions ont ètoufè pour jamais leur chère liberté
comme l'avoit jadis prèdit le cardinal bentivoglio, un prince anglois épou=
sera l'hèritière de leur rèpublique, et de deux choses l'une ou la guerre
<1v> va durer, auquel cas leur terre nous demeurera par lambeaux et
tout leur commerce a l'angleterre, ou la paix confirmant leur
esclavage les rendra province angloise, mais province tirannisèe
comme l'est l'irlande &c. je doute cepandant que le peuple anglois
de sens froit et revenu de son animosité présente aprouve le procèdé
du ministère qui a detruit une rèpublique, c'est ce que la suitte nous
fera voir. vous scavès mon cher amy combien je suis èloigné dans ces
sortes de choses des préjugès de nation, mais ces faits sont clairs. l'an=
glois fait aujourd'huy le personage que nous faisions au dèclin de la
monarchie despagne, il fait peur au reste de l'europe d'une puissance
qui n'a plus rien de redoutable, et profite de la crèdulité des autres pour
les faire touts concourir a mieux ètablir sa propre prééminence.
quand a vous il ny a qu'une façon de faire bien, cest de refuser èga=
lement toute faveur aux deux partis, vos tètes devroient songer
que c'est le temps fatal aux républiques; la raison de cela n'est point
dans une influence passagère, elle est dans des raisons purement phisi=
ques que nous trouverions bien vous et moy, mais il est vray que les
fatales circonstances de ce total renversement de l'europe sont plus a
craindre que tout autre temps. craignès que l'esprit de faction, de partis
et de politique ne s'introduise chex vous; pour moy je scay bien que
si jètois ce que je ne suis pas, je n'attendrois qu'une dèmarche hazardèe
de votre part, pour faire 1 mot biffure notre paix a vos dèpends avec le roy de sardaigne
vous me dirès a cela comme vous me dites il y a tantost dix ans au sujet
des troubles de genève, que dieu ne permettra pas qu'une tète de ma
<2r> trempe soit a la tète des affaires en un royaume aussy puissant que
la france; il a bien dècliné depuis, mais je vous assure que si dieu vouloit
que moy indigne eusse ce fardeau la, je ne changerois pas ma devise
qui est nec metuat minor despiciat ve major, et je ne serois point
du tout a craindre pour la liberté publique. quand a vous autres loin
de vous nuire, a moins d'y ètre contraint, mon plan de pacification
dans le ferment actuel plus gènèral encore que celuy qui fut terminé
a munster seroit d'unir a votre ligue, touts les peuples habitants les
montagnes qui servent de clef a l'italie depuis la comté de nice jusques
a la mer adriatique, pour fermer desormais l'italie a toutes les grandes
puissances de l'europe, et tacher que les peuples ne fussent dèsormais plus
la victime de l'ambition etrangère de dominer en ce paÿs la. mais mon
cher amy je me proméne icy dans le paÿs des idèes revenons.

ce mis de lorne dont vous me parlès est un nom controuvé, mais le vèritable
nom du personage est vèritablement pons, et qui plus est cest le dernier
et unique rejetton de cette grande race des sire de pons; ce n'est pas tout
ce garçon 1 mot biffure à les terres et fonds de quatrevint mille livres de rente
et sa femme ceux de trente, chaqu'un tire de son coté et tout cela est
venu a rien. quand a luy je ne luy connois nulle méchanceté, mais c'est
bien le plus plat sire par le coeur et par lesprit qui soit soux les cieux
ses parents en outre l'ont perdu, on l'a fait enfermer plusieurs fois et il
entroit dans tout cela un peu d'intèrest &c je l'ay déja retiré une fois
des plus indignes extrémitès en allemagne, ou je le trouvay, transfuge
mendiant &c il ne fut non plus ètonné qu'a paris, et tandis que je le
faisois habiller de ma bourse, me demandoit du galon, tu peux juger
par la des sentiments du personage; depuis il fut arrèté, sortit ensui=
tte, gagna un procès revint le maitre de ses terres; je n'ay point suivy
cela, mais en ayant eu tout a coup besoin pour une affaire de dètail
je n'ay plus scu ou le prendre, ses parents ne le scachant; comme j'avois
cela a coeur, et que j'ay des correspondances partout, je le suivis a la
piste fugitif de terre en terre, avec une fille de paris a un écu c'est
<2v> la dulcinèe d'aujourd'huy; il fut a avignon ou l'on ne le trouva plus quand
je l'eus dèterré, je le suivis encore dans sa terre de verdun qu'il à sur votre
frontière et je le perdois toujours lorsque enfin le voila trouvé, voicy main=
tenant ce que j'ay a luy demander et qu'il faut que tu m'obtiennes et
fasse sceller de son cachet avant de le quitter. ce sont des lettres de
juge pour la baronnie de thors en xaintonge en faveur d'isaac du
vergier notaire royal et juge de quelques autres j
uridictions, il connoit
cette famille, et le susdit est frère d'un mien secretaire ce qui fait que
je m'y intéresse fort. peutètre s'excusera t'il sur ce qu'il ne scait point
la formule de ces sortes de choses, la voicy tu la rempliras, je soussigné
ou nous seigneur &... connoissant la capacité, zèle, moeurs &c
religion catholique apost. et Romaine. de... et voulant commejusqu'à la fin de la ligne reliure
en bonnes mains la justice de la notre baronnie de thors l'avons nom
notre juge, dans toute l'ètendue et jurisdictions de la ditte baronnie
mandons et ordonnons a touts nos vassaux de la dite terre et officiers subalternes de la dite jurisdiction de le reconn=
oitre en cette qualite, voulons quil jouisse de touts les droits èmoluments
prèrogatives et honneurs attachès a la ditte charge, en foy de quoy luy
en avons donné les prèsentes lettres signèes de notre main et scellees du
sceau de nos armes a... il faut pour èviter tout inconvénient
qu'il datte de sa terre de verdun et du temps qu'il y étoit afin et de ne se
point dècouvrir et qu'on n'objecte pas qu'il etoit en paÿs ètranger
obtiens moy cela au plutost mon cher amy et me l'envoye et tu me feras
un grand plaisir, previens le pour cela d'offres de service de ma part pour
ses affaires comme en effet il me fait pitié, je ne le dèceleray point, et
s'il me veut charger d'une procuration, je crois ou faire tel autre
arrangement qu'il voudra, je crois qu'il en toucheroit ses revenus plus
clair, et je les luy ferois tenir ou il voudroit, offre luy cela de ma part
mais surtout tire moy mes lettres de juge; adieu mon cher saconay je
plains bien Mr de chabot, mais ses bruleurs doivent luy payer sa mai=
son, adieu, mille Respects a Madame.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 12 décembre 1747, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/134/, version du 20.06.2013.
Remarque: nous vous recommandons pour l'impression d'utiliser le navigateur Safari.