Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 28 juin 1747

du buignon ce 28e juin 1747

je trouve en vous mon cher et sage saconay les vèritables
ressources de l'amitié. je vis aujourd'huy dans un trop grand
tabut d'affaires et d'agitation pour tirer de vos sages avis
tout le profit qu'ils me présentent, mais j'en sens la vérité et
la nécéssité, et pour ne me pas faire meilleur que je ne suis, je
vous diray que tout le plus 1 mot biffure haut que je puisse tendre
a prèsent est ce dont je fais mon ètude, c'est de n'agir que
relativement a mes devoirs tant gènèraux que de position
de rechercher et pratiquer le peu de vertus que ces occupations
terrestres me font rencontrer sur mon passage, et tacher
de mériter un jour par la et d'obtenir, plus de calme et de
force rèelle dans lesprit, plus d'aide dans les opèrations et les
affaires, plus de succès dans les travaux, et de jouir de tout
cela relativement au principe et au grand objet que tvous
me proposès. en effet la contemplation des miracles de la
nature relative a la grandeur de son créateur, celle de l'excel=
lence de notre ètre relative a notre fin dernière, sont les seules
pensèes vèritablement dignes de l'homme; seules capables de
nous donner le repos au milieu de l'agitation de la vie civile
de donner l'essor a notre ame qui ne scauroit voler terre a terre
<1v> sans qu'au milieu travers de cet air èpais et qui luy est contraire le moin=
dre vent l'abatte et la dèrange, elles sont fructueuses et pour
cette vie et pour l'autre, mais la retraite et la méditation
mères de ces pensèes salutaires, ne sont faites pour les tempére=
mments vifs, agités, et qui pendant longtemps se sont écartès
des voyes de l'innocence, qu'après que par un long travail dirigé
selon les voyes de la providentce patiemment suporté et continué
avec rèsignation dans les accidents, ils ont mèrité de gouter
les douceurs d'un repos exempt d'inquiétude et d'etre pour ainsy
dire règènéres et rètablis dans les privilèges de leur premier
ètre. cest du moins l'idèe que je me fais mon cher saconay
et cette idèe seule me soutient dans la continuation des travaux
auquel j'avois attaché un objet de satisfaction qui m'a manqué
d'aide et de subrogation qui tout a coup a été bien ècarté
et peut ètre totalement retranché. ce changement m'a envi=
ronné de dègouts contre lesquels je combats mais en perdant
du terrain tout ce que je puis est de cacher mon abattement de
mon mieux, mais laissons cela, dieu me secourra quand il
le voudra.

je me rapele aprèsent avec de grands desirs mon cher saconay
combien vous ètes habile en agriculture, et combien j'ay nèglige
d'aprendre de vous de choses en ce genre a notre derniere voyage
entrevue, lors de votre voyage a Mirabeau. il est vray que
ce lieu la n'etoit pas attrayant pour l'execution de ces
preceptes, mais c'est icy tout le contraire, les eaux courantes
<2r> et les facilitès en tout jgenre d'acritculture m'environnent de
partout et ne demandent qu'un maitre entendu, car dailleurs
je ny èpargne rien, mais la france anciennement conquise par
des barbares en a toujours conservé le mépris et l'ignorance
de l'agriculture qui parcourt un peu ses provinces en spèculant
a cet ègard iy voit des traces de barbarie en ce genre comparable
a celle des hurons et tout aussy invincible; cela me rapelle que
mon amy st george ayant aporté en aunix ou il ya un tres
fort revenu en eaux de vie 1 mot biffure d'une pompe qui luy tiroit
plus deau en 2 heures avec un homme seul que six hommes en
une journèe, ne trouva aucun ouvrier qui voulut prèter la
main au sortilège ny la faire aller, il fut obligé dy employer
un muet innocent qui pompa mais a l'instant que leau
commenca a sortir il laissa aller la machine dont on ne put
depuis le faire aprocher et qui est demeurèe inutile. ils croy3 caractères écriture
icy ou le foin en annèe abondante se vend 1 lb 15 s le cent que
l'eau fait mal aux prèz cela fondé sur ce qu'en certains endroits
ou ils laissoient croupir des reversements de la riviere lherbe
devenoit jonqueuse, en consèquence, ils laissent courir les eaux
dans le plus bas, et les hauts sont mangès de buissons et d'aul=
naye, je me suis trouvé des bouts de patures ainsy coupèes pendant
plus d'une grande lieue de terrain, jay entrepris de conduire
les eaux sur la hauteur des deux cotés jy ay reussy, et en mème
temps fait arracher touts les bois; en voyant leau dans mes
fossès èlevès plus de 30 pieds au dessus de son canal ordinaire ils
hochent encore la tète et disent que cela gatera tout quoyqu'ils
me voyent faucher cette annèe des endroits qui ne l'avoient jamais
été, avec autant d'assurance qu'ils disoient il y a six mois que
l'eau ny viendroit jamais; ainsy l'on manque en mème temps
d'aide d'encouragement et d'outils. pour tout cela il m'a fallu
faire venir des travailleurs du limousin paÿs du monde après
<2v> la suisse ou l'on tient le mieux les prèz. a ce propos mandès
moy, je vous prie mon cher amy si vous croyès que les moutons
fassent du mal aux prèz, je scay que ce dépaitre n'est bon qu'a
leur donner la dernière graisse avant la vente car sans cela
il les feroit bientost pèrir, mais icy les habiles prètendant que
le mouton arrache le pré et en effet il y est amandable par
les ordonnances comme la chèvre dans le bois. cepandant en pro=
vence
et en limousin on les y met après le regain, je m'en
tiendray a ce que vous me marquerès pour l'essay, et cela m'est me sera
fort commode, car la coutume ètoit icy que tout le monde y
menoit ses vaches, je les déffendis dabord parceque je ny avois
rien et qu'il ne me parut pas raisonable de faire manger mon
bien par autruy; cepandant il faut que cela soit brouté,
je trouverois bien a placer nombre de vaches a moitié qui
moyennant ce paitroient a mon profit, mais outre que nous
sommes environnès de maladies qui font aller bride en main
a cet ègard, cest que le dèpaitre des moutons me seroit 1°
infiniment plus profitable, par la nature les besoins et le
commerce du paÿs, 2° comme des prèz bien tenus sont pleins
de fossès et rigoles qui se croisent et en un mot tenus et délicats
comme un parterre, ces animaux pesants dérangent tout
ce que ne fait pas le mouton. mandès moy mon cher saconay
votre avis sur cela, et parlès moy un peu d'agriculture
car j'ay bien besoin que quelque chose me rie a l'imagination
adieu j'abuse de votre patience, je vous embrasse de tout mon
coeur et vos beaux enfants; mille Respects a Madame

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 28 juin 1747, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/130/, version du 16.05.2017.
Remarque: nous vous recommandons pour l'impression d'utiliser le navigateur Safari.