Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 09 mars 1747

de paris ce 9e mars 1747

je reçois mon cher saconay ta lettre du 25e du mois passè et
aprends avec plaisir que ton bonheur est toujours permanent
car l'amitié dans l'èloignement ne prend point pour 1 mot biffure malheurs touts
les petits dègouts dont la vie est semèe; la nature et le sort t'ont
mème èpargné la plus grande partie dese ses embarras, il faut scavoir
sentir tout cela mon cher amy pour ètre heureux. je suis icy depuis
un mois dans tout le tabut imaginable et environné d'autant
d'embarras au moins que j'en puis suporter, finissant une maison
de la pleine d'ouvriers de toute sorte, la meublant de la cave au
grenier, levant deux équipages, valets a vètir maison a former &c
tout cela ne peut se faire en ce paÿs cy qu'avec des tonnes d'or
et une duperie excessive ou par beaucoup de soins, qui ne vous garan=
tissent cepandant pas entièrement de l'un et de l'autre; j'ay icy
mère fréres enfants et consèquemment un monde de valets; en mème
temps que je crèe tout icy, je fais entièrement les dedans de ma mai=
son au buignon chose nècessaire pour y loger ma famille; tu peux
imaginer dans des temps aussy difficiles que ceux cy ce que c'est que
toute cette dépense la, et combien elle fait travailler de la tète
quelqu'un qui ne veut pas au bout de 18 ans passès dans le monde faire
un aprantissage de dèrangement; ajoutès a tout cela le bruit de
cette ville et son importunité pour quelqu'un qui y a ses parents et
<1v> amis, additionnés le tout, et vous verrés que l'amy du calme et de la
paix, est peut destiné par le sort a en jouir; tu voulois mon cher
saconay des nouvelles de ce que je fais en voila trop.

j'entends a peu près ce que tu veux dire par un poste qui nous raproche=
roit, et je t'avoue que vu l'espèrance dy reussir fondèe sur des raisons
prises dans la connoissance de moy mème, ce seroit autant le chateau
en espagne de mon esprit, que ce seroit celuy de mon coeur d'ètre a por=
tée de t'embrasser, et revoir toute ou partie de ta famille; deux raisons
cepandant s'oposeront sans doute a l'exécution de ce chateau; l'une
que je crois qu'on y laissera longtemps l'homme qui l'occupe, car quoy=
qu'on le dise assès borné, il a néanmoins èté question de luy pour le
ministère, et les gens a l'entour du gateau ne pardonnent guéres d'or=
dinaire ces sortes d'indications et le tiendront sans doute éloigné le plus
longtemps qu'ils pourront; l'autre raison est que c'est un cul de sac, ce
n'est pas que je doute qu'il ny ait assès de besogne pour qui veut la
faire bien, mais ces gens cy ne le croyent pas, et un homme actif et la=
borieux qui demanderoit cette place passeroit pour vouloir s'enrichir
et rien de plus.

le recueil d'odes dont je t'ay parlé n'a pas encore paru icy et par consé=
quent ne scauroit ètre a lausanne, je t'avertiray quand il paroitra
je profiteray aussy a mon retour a la campagne, des leçons que tu
me donnes pour me mènager les plaisirs de l'agriculture, je te connois
versé en ce point, et dailleurs les médicaments de ton ame ont toujours
été propres a la mienne. adieu mon cher amy donne moy de temps
en temps et souvent de tes nouvelles, conte qu'en quel lieux que j'habite
je t'aimeray toujours comme mon meilleur amy. j'ofre mes Respects
<2r> a ta mére et a ta femme, l'une et l'autre icy te font mille compli=
ments, mon frère revenu d'angleterre, n'a d'autre mal de sa terrible
blessure que de la roideur dans la cuisse qui passera aux eaux a ce
que j'espère; adieu aime moy et m'écris

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 09 mars 1747, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/127/, version du 10.06.2013.
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