Transcription

Girard, Grégoire, dit le Père Girard, Lettre à Jean-Baptiste d'Odet, Berne, 06 octobre 1800

Monseigneur

Encouragé par l'accueil, que Vous daignez faire à mes lettres, je
viens répondre à celle que Vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
il y a deux jours . Le mémoire est donc présenté. Je suis bien
loin de blâmer des démarches, que le devoir ordonne, et votre Grandeur
sait bien, que le silence et l'inaction des Préposés de l'église catholique
me peinaient depuis longtems. Je suis persuadé, que le style et le ton
de Votre mémoire n'aigriront point, ceux à qui il est addressé, parceque
le Rédacteur n'aura pas oublié un instant, qu'il écrivait au nom d'un
Evêque, non pas à des Catholiques seulement, mais aussi à des Protestants,
et qui sait? peut être à des prétendus Philosophes. Ainsi, Monseigneur,
Les effets de vos réclamations ne pourront jammais être fâcheux. Il est
permis à chacun d'en faire, et certainement que personne ne Vous en dispu=
tera le droit.

Si Stapfer  n'était pas à Paris, je le prierais de me faire voir le mé=
moire, qui sera envoyé au Ministère des arts et des sciences, pour en
faire un rapport. Mais je ne connais pas May , qui est actuellement
chargé du Porte fueille. Vous me faites l'honneur de m'observer que votre
Rédacteur s'est beaucoup trop étendu. J'en suis faché, parceque il ne
sera pas possible qu'une pièce aussi longue soit lue en séance; d'ailleurs
les longueurs inspirent du dêgout, surtout à des personnes, qui ne mettent
guères d'intêret au sujet que l'on traite. Je suis faché encore, que l'on
ait tant pésé sur l'utilité des Couvens, j'aurais voulu plaider leur cause
d'une manière toute différente, et qui certainement aurait fait plus d'im=
pression sur les esprits, comme je les connais.

Au sujet de notre Couvent de Soleure, je Vous observerai, Monseigneur,
que j'ai donné a différentes reprises un conseil, que l'on à pas jugé à propos
de suivre. Le P. Tardy  vint d'abord ici pour réclamer contre la vente.
Je l'accompagnai chez quelques membres de la la Commission exécutive. Je
lui couchai une Réclamation par écrit , qui devait être signé de tous
ses confrères et envoyées de suite aux grand conseil: j'étais sûr pour
ainsi dire, qu'elle ne serait pas inutile, parceque j'en avais parlé à quelques
Législateurs, qui me dirent, pourquoi contre la teneur de la Loi, on avait
résolu cette vente . Le Père Gardien  vint à Berne pour le même objet.
Il apporta enfin la réclamation, que j'avais rédigé; elle etait convena=
blement signée. L'occasion etait favorable, – Les anciens conseils ayant
fait place au nouveau corps législatif. – J'écrivis moi même l'adresse.
Le Père Gardien me dit qu'il allait remettre la petition au Président
Luthi : L'a-t-il fait ou non? Je n'en ai pas eu de nouvelles; j'ai
<1v> lieu de croire qu'il a préféré l'avis de quelqu'un autre, et j'ai le regret
de n'avoir pû faire le bien que je pensais faire; et ce n'est pas la
première fois ni la dernière.

L'ouvrage des Préposés de l'église protestante  renferme trois choses. 1o
une nouvelle organisation des pouvoirs, 2o un concordat avec le gouvernement
3o un projet de Concordat avec l'église catholique d'helvétie.

La nouvelle organisation se rapproche en quelques choses de la notre. L'antistès
decanus primarius
(page 25) sera l'Evêque du Diocese. D'ailleurs Votre Grandeur
aura observé, que les pouvoirs y sont subordonnés, et que le tout y fome une
véritable hiérarchie, cependant sans un point central pour toute l'helvétie, parce
que l'on ne pouvait pas heurter de front les Ministres qui veulent l'égalité et
il en est beaucoup. L'un d'entre eux m'a dit que s'il fallait un Pape, il etait tout fait.

Le Concordat avec le gouvernement suppose toutefois l'indépendance de l'église,
il l'énonce; mais contre toute attente il demande la sanction de l'état pour
la nouvelle organisation, et voudrait en faire un code de lois civiles. Il faut
attribuer cette inconséquence d'abord à la faiblesses des préposés, qui sans la
concurrence du gouvernement ne viendraient pas à bout peut être d'amener leurs
confrères à la subordination, qu'ils désirent introduire. Il faut encore l'attribuer
à l'habitude. Autrefois le gouvernement etait le chef de l'église, et on a de la
peine a se débarasser de cette vieille idée, consacrée par l'usage de deux siècles
et plus.

Le projet de concordat avec l'église catholique me parait raisonnable. Si dans
les articles 4 et 5 il s'agit de convenir des vérités qui sont communes aux deux
églises; il y est expressément dit qu'il ne s'agira point de controverses puisqu'il
ne sera pas question de la réunion des églises, et que chacune conservera ce qui
lui est propre; en s'engageant cependant de ne pas se haïr, c'est à dire se témoi=
gner de la haine pour la discrépance. Cette démarche sera cependant un pre=
mier pas vers la réunion si toutefois elle devait se trouver dans les desseins de
la Providence. On verra que la différence est moins grande qu'on ne se l'imagine
communément, on sera plus juste et par conséquent plus près de s'estimer et de
s'aimer; et c'est par la qu'il faut commencer: si jamais l'on doit s'entendre.

Quant aux autres articles, je les trouve tous basés sur l'eternelle justice, et
tout au moins aussi favorables pour nous, qu'ils peuvent l'être pour l'église Protes=
tante. Il est vrai que ce qui paraitra Tolérance de la part des réformés, pou=
rrait bien aussi participer de la crainte. La réformation s'est introduite par
le gouvernement et s'est soutenue par lui. Le gouvernement n'etant plus
reformé, mais mixte quant aux personnes et indifférent quant aux principes
constitutionnels, la réforme perd son appuis, et les effets commencent a paraitre
puisque les anabaptistes, ou sectaires, se renforcent beaucoup, surtout dans
ce canton. Les Ministres Protestants craignent peut être que si le zèle
des Missions venait à nous embrasser, nous ferions peut être quelque tort
a leur cause; delà la clause de l'art. 5. Cependant nous ne devons pas
prendre ici le change et notre zèle doit être secundum scientiam. Les
missions mettraient l'helvétie en combustion: et au lieu de gagner on
finirait par perdre. Rappelons nous que sans ce moyen et a la faveur
de la seule liberté de culte nous avons des églises à Berne et à Bâle
<2r> qui sont sous la sauvegarde d'une constitution, qui en bannissant les cultes
exclusifs a visiblement favorisé le notre

Si nous nous refusions à un concordat juste, nous 1 mot biffure paraitrions
intolérans, on nous présenterait d'après l'article 9 comme peu soucieux du
repos public, ce qui nuirait infiniment à notre église non seulement en Suisse
mais en france et autrepart. Pour y accéder Monseigneur il ne faudra
point renoncer aux engagemens que Vous avez pris à votre sacre. On pourrait
d'ailleurs consulter le premier Pasteur; mais il faudra l'informer convena=
blement, en retraçant l'état de notre église dans tous ses rapports, avec le
gouvernement et avec l'église protestante. Il est necessaire que transportés
tout a coup dans une position toute différente; nous considérions d'abord ou
nous sommes, et que nous n'agissions qu'apres avoir mûri nos démarches. Les
personnes qui ne voyent que l'ancien dans le nouveau sont peu propres aux
affaires. Le voyageur doit commencer par s'orienter.

Lorsque je proposai a Votre Grandeur de faire un pendant a l'ouvrage
de l'église protestante, je ne pensais point modeler notre organisation sur
la leur. Nous avons un droit canon comme l'ouvrage l'observe a l'entrée
de la Préface, et il ne s'agit pas d'en créer un nouveau; quoique le chan=
gement de la Constitution civile necessitera aussi quelques amendemens dans
l'ordre ecclésiastiques pour autant que celui ci est en rapport avec le
premier.

Le plan de mon ouvrage est fait. Je prendrai la Liberté de Vous
le communiquer au premier jour. Je ne dirai ici qu'une chose c'est que
mes réclamations embrassent bien plus d'objets que celles que Vous venez
de faire, elles paraitront aussi dans l'habillement que je crois le plus conve=
nable à nos circonstances. Souvent la forme est aussi importante que
la chose même.

Je reste Monseigneur avec les sentimens 1 mot biffure de respect
et de soumission que je dois à mon Evêque

Votre tres humble et tres obeissant
serviteur G. Girard Clier

Berne le 6e octobre 1800.


Enveloppe

Au reverendissime
Evêque de Lausanne
A Fribourg


Note

  Public

Apostille sur le recto du premier folio : "6. 8. 1800". Traces de calculs sur le dos du document.

Etendue
intégrale
Citer comme
Girard, Grégoire, dit le Père Girard, Lettre à Jean-Baptiste d'Odet, Berne, 06 octobre 1800, cote AEvF VI. Religieux, 1. Cordeliers Minor conventuels, n° 14. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1216/, version du 26.02.2021.
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