Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 13 avril 1713

A Lausane ce 13 avril 1713.

Je reçûs hier au soir, Monsieur, vos derniéres Théses, & je vous en rens
très-humbles graces, aussi bien que des précédentes. Je les ai luës les unes & les
autres avec un singulier plaisir. Vous ne sauriez trop tourner en ridicule ces
Ennemis du Bon Sens, qui depuis si long tems tiennent le monde dans l’Esclavage,
en érigeant un thrône à l’Entêtement, & en dressant des Autels à une Foi aveugle,
qui ne vaut guéres mieux que la Foi du charbonnier, qu’ils blâment dans ceux de
la Communion Romaine. Il n’est pas possible que la délicatesse & la vivacité natu=
relle de vos pensées, jointe à leur solidité palpable, ne fasse de fortes impressions sur
tous ceux entre les mains de qui vos Dissertations & vos Théses tomberont, & qui voudront
les lire avec quelque attention. Elles laisseront quelques traces de lumiére dans les
endroits où les tenebres sont encore les plus épaisses. J’ouïs la semaine passée un
examen en Théologie de Mr R. qui roula sur la permission du Péché. Je fus fort
édifié de voir qu’on avoit expliqué cette matiére difficile d’une maniére à éviter
les idées & les expressions dures dont on se sert ordinairement. On y établit la liberté de
l’homme dans le sens nécessaire pour rendre l’Homme responsable de ses actions: on y
fronda la distinction du materiale & formale dans les actions mauvaises; & tous les
nihil de Mr Jurieu. On s’y moqua du Cheval de la comparaison d’un Ecuier
monté sur un cheval qui cloche. Je dis en sortant au Professeur, que Mr
P. son bon Ami auroit été bien scandalizé de voir turlupiner un des plus beaux endroits
de sa Théologie Chrétienne: & comme on s’étoit plaint des fausses imputations des
Arminiens sur cette matiére, & sur tout de Limborch, je dis que, si les Livres Symboliques
& les Systémes courans parloient de la maniére que nous venions d’entendre, jamais
Limborch ni les autres Arminiens n’auroient eu aucune dispute là-dessus avec les
Contrerémontrans.

J’ai rendu moi-même aujourdhui vos Théses à ceux à qui vous en aviez destiné des
exemplaires; & ils vous remercient tous. Mr de Croza sur tout, qui est parti aujourdhui
pour Soleure, où il va voir Mr l’Ambassadeur de France, & Mr Rousseau, m’a chargé
de vous faire ses excuses de ce qu’il n’avoit pas le tems de vous écrire pour vous remercier.

Je n’ai point encore reçu le prémier Tome de Tillotson; & j’en suis d’autant plus
fâché, qu’on m’a dit qu’il y en avoit déja quelques exemplaïres à Genéve; de sorte qu’on
l’aura vû là, avant que j’aie pû vous l’envoier. Je ne sai par quel contretems il est
arrivé du retardement à un paquet adressé à Mr de Croza, parti depuis plus de deux mois,
dans lequel est l’exemplaire qui vous est destiné. Je n’ai pas encore vû une seule feuille
de ce Tome.

Au reste, il m’a pris tout d’un coup ce matin une envie d’aller faire
un tour à Genéve. Ce qui m’y a déterminé, c’est que Mr Polier m’a dit qu’il croioit
<1v> y aller au commencement de la semaine prochaine, avec Mr de Rochefort, & peut-être
avec Mr Perret. Je m’imagine que ce petit voiage pourra m’être utile par rapport à ma
Santé, qui n’est pas encore rétablie, quoi qu’elle soit 1 mot biffure meilleure depuis quelques mois.
Le plaisir que j’aurai de vous voir, dans un tems où, à ce que je crois, vous ne vous
sêrez pas encore retiré à vôtre Campagne, me sera d’un grand secours; & je souhaitte de
vous trouver en bonne santé. Nous pourrions bien partir Lundi prochain, par la Galiote.

J’ai apris avec beaucoup de joie la distinction glorieuse que le Magistrat de
Genéve a faite en faveur de Mr vôtre Cousin. Je souhaitte que l’on recompense tous les
jours de plus en plus son mérite.

On parle d’un Livre qui s’imprime en Hollande, intitulé, Démonstration sur l’existence
de Dieu
, par Mr de Cambrai. On dit qu’il est très-beau, & qu’il a été trouvé dans
la Cassette du duc de Bourgogne. C’est ce qu’on a écrit à Mr Polier; car pour moi je
n’ai point de nouvelles de Hollande depuis quelque tems. J’en attens aussi de Paris,
où Mr Coste est présentement, & d’où il ne m’écrivit que deux mots en arrivant.
Je suis, Monsieur, avec mes sentimens ordinaires

Vôtre très-humble &
très-obèïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur
en Theologie et en Hist. Ecclesiastique

A Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 13 avril 1713, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 139-140. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/866/, version du 10.02.2024.
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