Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 05 janvier 1712

A Lausanne ce 5 janvier 1712.

Il y a bien long tems, Monsieur, que je n’ai eu de vos nouvelles, & je
ne saurois m’empêcher de vous en demander dans ce renouvellement d’année, après
vous avoir témoigné les voeux ardens que je fais pour vôtre santé, qui est tout ce
que l’on peut vous souhaitter. J’apprens avec chagrin que vous avez toûjours de
tems en tems quelque attaque de vôtre asthme; mais vous avez aussi, Dieu soit
loué, de bons intervalles, & j’en juge par deux choses que l’on m’a dites: l’une,
que vous avez présidé à une Dispute publique, qui rouloit, si je ne me trompe, sur
l’indifférence des Religions, matiére curieuse: l’autre, c’est que Madame vôtre
Epouse est en état prochain de vous rendre pére. Je lui souhaitte
de tout mon coeur une heureuse délivrance, & j’espére que le plaisir que cela
vous donnera ne contribuera pas peu à vous redonner une santé plus ferme que
celle dont vous jouïssez depuis quelque tems.

Il y a deux ou trois mois que je n’ai reçû aucune nouvelle de Hollande.
On me mandoit, que le dernier Synode, dont Mr Bernard a été Secretaire,
a ordonné qu’avant que de recevoir quelcun Proposant au Min. on lui fera
signer très-exactement le Synod. de Dordrecht, un article du Synode de
Rotterdam de 1686. & la Confession de foi: mais on le tient quitte de l’Ecriture
Sainte. Les Orthodoxes, surtout à Amsterdam, tâchent de plus en plus d’empê=
cher qu’on ne prêche la Morale, en rendant suspects d’hérésie ceux qui
le font sans professer de leur orthodoxie, ou sans se contredire. Il est facheux que
dans un Païs où la Liberté régne d’ailleurs, la secte dominante exerce une si
grande tyrannie.

On croit que Mr Bernard reprendra les Nouvelles &c. mais qu’il n’en
donnera que la moitié ou environ de ce qu’il publioit, & cela seulement tous les
deux ou trois mois. Mr Du Pui a renoncé au dessein de publier les Lettres
de Mr Bayle, sur quoi il vous avoit écrit; & Mr Desmaizeaux, qui
demeure seul chargé de ce soin, en donnera bien tôt un volume, en
attendant les autres. Je lui ai envoié 24 lettres, que j’avois trouvées chez
Mr Constant. Le Dictionnaire des Antiq. Grecques & Rom. de Piliscus, doit
être achevé à l’heure qu’il est. L’Ars Critica de Mr Leclerc doit
être aussi, si non achevée, du moins à peu près; il y a au I. Tome un
Chap. entier tout nouveau, de Disciplinarum sermone.

Mr Coste m’a envoié une jolie Traduction qu’il a faite du
<1v> Hieron de Xenophon, ou de la Condition des Rois. Le Grec est à côté, très-bien
imprimé. Je suis bien aise qu’il aît donné cette Traduction, comme un prélude de
celle d’Hérodote, à quoi il travaille. Gronovius fait imprimer l’original de cet
Historien, revû sur un bon Manuscrit de Florence.

Vous avez sans doute l’Essai de Mr Leibnitz sur la Liberté &c. Comme
ce ne sont pas de ces sortes de livres que je puis acheter, & que je serois pourtant
bien aise de le parcourir, ne sachant personne qui l’aît ici, je prens la
liberté de vous prier de me l’envoier à vôtre comodité, j’aurai soin de vous
le renvoier en peu de tems. Si vous aviez aussi les discours Entretiens de
la Croze sur divers sujets de litérature, de Religion &c. dont les Journalistes de
Paris ont parlé, je vous prierois de joindre ce livre à l’autre. Je serois bien
aise de le voir, parce que je connois l’homme, & qu’il y a une rude
critique de l’Hist. des Juifs de Mr Basnage. A propos de ces Mrs
Leibnitz & La Croze, il faut que je vous dise que je viens de les relancer
rigoureusement dans un Article entier ajoûté à la nouvelle Edition de
ma Préface de Pufendorf, que j’ai envoié en Hollande. C’est sur
l’article des Péres, à l’occasion de ce que La Croze se déchaina
il y a quatre ou cinq ans dans ses Dissertations Historiques &c. contre ceux qui ne les estiment pas assez à son gré;
en quoi Mr Leibnitz, qui veut se fourrer par tout, le seconda, dans une
Lettre que La Croze publia en même tems; & je sai que j’étois intéressé
personnellemt du moins dans ce que dit La Croze. Voici la proposition que
je réfute, & que j’exprime dans les propres termes de Mr Leibnitz: Si
la Religion Chrétienne n’a pas eu pour défenseurs des gens véritablement
pieux & éclairez, quelle opinion en doit-on avoir?
Il venoit de dire, que
le mépris des Péres rejaillit sur la Relig. Chrétienne. Vous jugez bien
que j’ai eu beau champ à les refuter tous deux, & directement, & par
retorsion.

On me presse tant de continuer Tillotson, que je tâche de trouver
quelques momens pour travailler au V. Tome. J’en ai traduit un sermon &
demi; & j’en avois un de traduit à Berlin. Il y en aura huit.

Je fais encore en finissant mille voeux pour vôtre prospérité, &
pour celle de toutes les personnes qui vous sont chéres, & je suis toûjours

Monsieur

Vôtre très-humble & très-=
obéïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Turrettin, Pasteur & Professeur
en Théologie & en Hist. Ecclesiastique
A Genéve

 

Jean Benoit, 35 ans
d'un village près de Din
en Dauphiné,
sorti il y a 4 ans
pr la Religion
manouvrier 


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 05 janvier 1712, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 122-123. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/856/, version du 30.01.2024.
Remarque: nous vous recommandons pour l'impression d'utiliser le navigateur Safari.