Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 06 avril 1737

A Groningue ce 6 Avril 1737.

Je reçus enfin, Mon cher Monsieur, Lundi matin, les deux exemplaires de mon
Traité du Jeu. Justement une heure après, Mr Talbot, Gentilhomme de la Princesse
me vint voir. Je les lui montrai, & le priai d’en annoncer l’arrivée à la Princesse, afin
qu’elle me marquât le tems où elle voudroit recevoir mon présent. Le soir, ma Fille
étant au Cercle, la Princesse lui en parla d’abord, & lui dit que je pourrois venir le
lendemain à six heures & demie. J’ai sû que, quoi que le Lundi on commençât les
repas des Colléges, elle avoit voulu me recevoir ce jour-là: mais son Gentilhomme lui dit,
qu’il valloit mieux attendre au lendemain, parce qu’il avoit vû les exemplaires en presse
sous d’autres Livres, comme n’étant pas encore bien secs. Dans le tems que la Princesse
parloit à ma Fille, le Gentilhomme qui étoit derriére, disoit assez haut: La Princesse
fait ma fonction, c’est moi qui étois chargé de marquer l’heure. Il dit aussi à ma
Fille, que le Prince se trouveroit le lendemain à l’assignation avec la Princesse. Effective=
ment quand je m’y rendis, ils vinrent l’un & l’autre du Jardin où ils se promenoient,
& où ils avoient donné ordre qu’on les avertît de mon arrivée, dans le Cabinet de
la Princesse. Ils reçurent chacun leur exemplaire d’une maniére fort gracieuse. Le
Prince jetta d’abord les yeux sur le Portrait, & le montrant à la Princesse, parut dire
qu’il y trouvoit de la ressemblance. Le Prince, que je n’avois point encore vû, s’entretint
avec moi environ trois quarts d’heures, la Princesse se mêlant dans la conversation, mais
en sorte que je comprenois qu’il lui tardoit un peu de pouvoir lire l’Epître. Quand
je pris congé, la Princesse me dit, qu’elle me verroit encore; & le Prince aussi. Avant
hier, pendant que mon Gendre étoit à sa Garde, quelcun, qu’il n’a pas voulu me
nommer, parce qu’on le lui avoit défendu, & même de me rien dire, (il ne faut pas être
dévin, pour comprendre que c’est le Gentilhomme même de la Princesse) lui dit en confidence,
que la Princesse vouloit me faire un présent, & qu’il étoit embarrassé, parce qu’elle
lui avoit dit de penser à ce qu’il croiroit qui me fût le plus agréable, ou de l’argent,
ou quelque autre chose, comme de l’argenterie. Mon Gendre, après lui avoir témoigné
que ce n’étoit nullement dans une vuë intéressée que je lui avois dédié mon Livre, &
que cependant je ne refuserois pas les marques de sa générosité, quoi que ce fût qu’elle
voulût me donner, lui dit qu’il croioit bien que j’aimerois mieux autre chose qu’un
présent en argent. Au reste, le Gentilhom on assûra que la Princesse étoit fort contente
de mon Epître Dédicatoire. Je la verrai bien tôt, s’il est vrai que la Cour doive
partir Jeudi prochain, comme on le dit. Le Prince fait aujourdhui la revuë du Bataillon
de son Régiment, qui retourne d’ici à Leewarden. Celui où est mon Gendre, ira à
Embden.

J’ai trouvé dans le paquet le Catéchisme de Clarcke, mais non pas les feuilles
qui me manquent du Traité de Jeu. Mr Humbert y a joint le Tome XXXVII. de la
Bibliothéque Germanique: mais je l’avois déja, & apparemment vous l’aviez donné pour
<1v> m’être envoié; je ne me souviens pas si je le reçus dans un des derniers paquets de
Mr Smith, ou dans celui de Uytwerf. La Carriére doit aller chez vous la
semaine prochaine. Je lui remettrai l’exemplaire double. Mr Humbert me dit, qu’il
réglera avec vous ce qui me doit revenir. Il se plaint de ce que Mr Smith divulgua
la rimpression de mon Livre. Vous savez bien que ce n’est pas moi, qui le lui ai appris,
& qu’un Libraire de La Haïe le savoit il y a près d’un an. Quand on pourra relier mon
Livre, j’espére que Mr Humbert m’envoiera une partie de mes exemplaires. Il faut que j’en
donne un au Gentilhomme de la Princesse.

Vous avez raison de dire, que le grand âge de Mr de Beausobre ne paroît point
par ses Ecrits. Il semble que sa vivacité ne fait qu’augmenter. Il 3 mots biffure paroît
un peu trop piqué des critiques du Journal de Trevoux; & cela a encore plus
animé son stile. Pour ce que vous me marquez, au sujet de Mr La Croze, je n’en suis
nullement surpris. Ce sera un bonheur pour Mr de la Chapelle, si le nouveau
Grand Pensionnaire est de ses Amis. On dit qu’il aime les Gens de Lettres, & je
crois qu’il a une grande Bibliothéque.

J’ai remarqué dans mon Ep. Dédicatoire, pendant que je l’avois en main, un
endroit, qui est à la penultiéme page, où l’on a omis dans ces mots, comme je
les m’étois exprimé: Vivez, toûjours heureuse, toûjours contente, toûjours
semblable à vous-même
; les mots toûjours contente, qui n’étoient pas là inutiles.
La repétition de toûjours, a apparemment fait sauter ces deux mots aux Imprimeurs,
& empêché que le Correcteur n’y prît garde. Je n’ai pas voulu néanmoins les
ajoûter de ma main sur les exemplaires du Prince & de la Princesse, comme j’ai
fait dans quatre ou cinq endroits du texte, où il y avoit des fautes ou des
omissions qui gâtoient le sens; aiant parcouru l’Errata pour les distinguer des
autres fautes de nulle conséquence pour LL. Altesses.

Ma petite fille a une fiévre tierce, depuis plus de quinze jours. Mais les
accès diminuent, & dans l’entredeux elle est comme à son ordinaire. Je vous souhaitte
toûjours une santé meilleure de plus en plus, & suis Tout à vous

Barbeyrac

Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 06 avril 1737, cote BPF Ms 295/74. Selon la transcription établie par Meri Päivärinne pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/812/, version du 19.07.2016.
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