Transcription

Charrière de Sévery, Wilhelm de, Lettre à Catherine de Charrière de Sévery, Londres, 12 avril 1788-18 avril 1788

Londres Dimanche 12e Avril. Je reçus hier Votre N° 29e ma chere Mere, et ayant ce matin
un moment je comence toujours pr Vendredy prochain. Bon Dieu il faut que je comence par la;
Mad. d’Helfried  est folle, ou elle est la plus grande ennemie de notre ami, primo il faudroit
scavoir si la chose est vraie, il y a du louche, pourquoi attendre qu’il fut parti pr divulguer cela
si c’est par betise qu’elle la dit il ny auroit pas eu plus de betise a le dire tandis qu’il auroit
eté encore a Lausanne, il me semple qu’il y a dans cela plus du Mari que d’elle; mais j’ai penssé
que mon Pere a une fort bone maniere de savoir si cela est vrai en s’adressant au prince Charles  ou
a Mr d’Assebourg ou a quelqu’un en Dannemark; je doutte bien de la chose, du moins que cela soit
si près de lui son arriere Grand Pere, nous l’aurions scu, de quelques façon que cela tourne cela
ne me diminuera rien de mes et de nos sentiments pr lui, mais a Lausanne cela fera beaucoup d’effet
j’en suis sur. Catuelan  est un impertinent, et Mr Samuel tire ses conclusions des objets qui
occupent si fortement son imagination, il n’en peut sortir, et l’argent coulera bientot dans ses
veines au lieu du sang, je voudrois qu’il en eut tant qu’a la fin il dit j’en ai assès, mais la dose
seroit difficille a trouver. Enfin pour en revenir a la Guerre , il doit s’il le sait etre enragé
et on le seroit a moins, j’en suis furieux ici et ma fois si je pouvois en dire pique pendre de
la Dame je le ferrois, je trouve les reponsses de mon cher Pere parfaitement bones dictées par
la raison et l’amitié, mais il est sur qu’il n’est pas aimé (la Guerre) et il ne s’est pas pris de
façon a l’etre. Vous autres Vous croyès tout cela choque, cela etoit bon avec moi mais avec un
public qui est libre ou plutot qui se passe de Vous, cela aigrit et irritte, je souhaite qu’il n’en
entende jamais parler, mais a Lausanne on est si officieux a apprendre les mauvaises nouvelles
qu’il le saura indubitablement, Lorsqu’il n’y auroit que le Poulet  ou Philinte (mots sinonimes)
pour l’en instruire. Il y a une chose fort plaisante je parlois l’autre jour a Neptune  de Coxe
l’Anglois qui Vous parloit de Bath, et de ceux qu’il y avoit vu, et je lui dit en Anglois He is
very fond of L. S...’s sister , il me dit (Neptune) en confidence après, que fond veut dire
plutot passioné d’amour que d’amitié, et que ce qu’il y avoit de plus singulier, c’est que la
liaison de Coxe et de la Dame avoit doné a causer, quoiqu’il pensse a lui que c’etoit
injustement j’avois dit cela devant la famille. Vous comprenès l’effet, il auroit falu
etre un Dieu pour deviner la chose, cela ne fit aucun mauvais effet, mais toujours
on est faché de dire des choses de cette nature. Je Vous vois a Mex  plantant et je Vous assure
que mes regards et mon Coeur sont tournès tout de ce coté, Vous ne sauries croire combien
Gibbon de son coté se rejouit de se voir etabli chès lui je vois cela, je sais qu’il a refusé d’aller
passer quelques tems cet eté a cette campagne ou il a passé l’eté et l’hiver passé et on la
trouvé mauvais, Vous me comprenès? je sais toutes ces choses et n’en fait pas semblant
quoiqu’etrangers lorsqu’on a vecu pendant quelques tems dans la societé des mêmes gens
on se trouve dans certains raports avec ses differents individus et on est encore obligé
d’etre sur ses gardes, je ne sais si Vous m’entendés. Je comprends que Vous voudriès me voir
trotter ici, et quelquefois je m’imagine en etant au milieu d’une foule s’il me voyoient
je comence a conoittre un peu mieux Londres et ses usages. Vendredy je fus diner chès
Sir Josuah Reynolds  et le soir Gibbon et moi nous fumes chès Texier , Mylord  et sa famille
entiere c’est a dire Mylady et ses deux filles, arriverent 5 minutes après, il lut l’avare de
Moliere . Hier matin je fus voir des voitures je crois avoir trouvé notre affaire et supposès
que la voiture soit solide (ce qu’il faut faire examiner parfaitement) elle est fort jolie
il y a vache double male caissons boudin et tout le Diable, et j’ai trouvé un voiturier
qui la prendra pour l’emener au cas que je la prene, c’est un certain Baud je ne
l’ai pas vu, il a dit a mon Domestique qu’il etoit de Lausane &&. supposès que je le
conoisse je la lui remettrois et lui ferois doner un reçu de ce qu’il reçoit article par
article. Il y a 5 voituriers Suisses ici les Paches &&. Landry  n’est pas venu encore
Je fus hier a l’Opera tout seul et j’allais dans la loge de Lady Clarges ou je trouvai Mad.
Trevor . Mardy 15e Me revoici pr causer, je viens de faire visitte a Mr Gibbon et déranger avec
les quelques petites affaires, Vous ne sauriès croire la peine que done les affaires quoique
minimes dans les pays etrangers, c’est inconcevable, je me rejouis d’etre tranquille a Mex, il faut
mille pas pr un rien p. ex. cette voiture m’a doné plus de peines d’inquietudes qu’elle ne vaut
et peutetre ne prendrai je pas celle que je marchande, car je ne veux pas etre attrappé. J’ai
eté obligé de me servir de Käplen  pr faire faire 7 chem. et des six tours de col, et pr d’autres
petits articles, parceque il etoit impossible que je fisse cela moi meme, il ma salè son
compte d’importance, mais que faire, il faut encore que je le remercie, peutetre de m’avoir
trompé. Vendredy 18e Je viens finir ma lettre, elle doit partir aujourd’hui, toutes les
fois que je suis etabli la pr ecrire voila quelqu’un qui vient me deranger une visitte un
message, & je suis a present davant ma table et personne ne me derangera, je remplirai
mes trois pages sans que je me laisse deranger par persone, pour suivre a ce que je Vous
disois de Mr Gib Käplen je crois que c’est un fameux fripon je sais qu’il s’est enrichi
avec Mr Gibbon, il le mene come il veut, Neptune me disoit, l’autre jour a propos de
voitures, qu’il avoit vendu sa vielle pour 12 Louis, et acheté celle dont il se sert pr 60 tout cela
a passé par les mains de l’autre, qui a ce que je pensse ne s’est pas oublié, je demandai
Käplen il y a quelques tems pour examiner avec un home cette voiture que j’avois en vuë
et lorsque je fus sur les lieux je m’apperçus que le vendeur et le visiteur etoit bons amis et
de moitie, je demandai la voiture pr l’essayer, il me la refusa, et Vous comprenès que tout
fut fini. Chalande (mon domestique, qui come Vous savès est engagé chès Gibbon) et moi nous
avons couru par tout j’en ai trouvé 3 ou 4 autres et je ferai mon affaire mieux j’espere
<1v> Chalande est fort honete, et fort entendu, pour Kaplen je le done a tous les Diables, encore
sans en faire semblant car Neptune est si fort prevenu en sa faveur que je vois qu’il
romproit avec tout le monde plutot qu’avec lui, aussi je ne ferai pas semblant de rien
come Vous penssés, mais je me garderai bien de lui doner aucune comissions, l’experience
rend sage. J’ai eté moins engagé cette semaine qu’aucune autre, je fus Lundy et
Mardy aux theatres a Drury Lane , et Covent Garden , je compris bien, ce qui me
fit plaisir. Mecredy je dinai chès Mylord Sheffield avec quelques Messieurs, et je fus
le soir avec Mylady to the ancient Musik  which is always attend’d by the King
and Royal family, cela finit a onze heures, je fus ensuite chès Lady Hume ou
il y avoit un bal, et j’y danssai, il y eut un beau souper. Sir Abraham Hume ,
dont Vous vous ressouvenès bien a une fille de 18. ans qui ressemble beaucoup a
Angletine, et fille unique, mais tout d’un coup Lady Hume s’est trouvé Grosse
après dix huit ans cela est singulier, je trouvai la le Baron de la Periere 
avec qui je causai, je m’amusai assès mais Vous savès que je prefferre mon
Allemande avec Jeanette de Bottens  a tous les bals, hier je fus dejeuner chès
L. Sheffield et ensuite avec Mr Hamilton  au trial Hasting’s , ou je fus jusqu’a
cinq heures, je fus enchanté du coup d’oeuil, et de l’apparat de toute cette
imensse sale, tous les Pairs Anglois dans avec leur Robes, et une foule
de gens qui vienent par curiosité. Hasting est petit maigre chauve halé
sec, un peu dans le genre de Weston, il me faisoit une pitié affreuse, tant
de gens sont contre lui, mais aussi contre combien de gens a t'il eté, c’etoit
hier l’examination d’un temoin, tout se fait avec beaucoup de justice
et d’equité, on pretend même qu’il sera absous a la fin, après avoir diné
et m’etre habillé, je fus a l’Opera joindre L. Sheffield, j’entendis
Marquesi  qui me fait toujours plus de plaisir, il chanta plus simplement
hier et par consequent mieux, c’est ce mordant Italien joint a une aisance
et un voix sans pareille, c’est le premier chanteur de l’Europe, Vestris 
fit aussi des prodiges, Monsieur Gibbon dit qu’il y a peu d’home qui se soient
elevès autant que Vestris, cela est vrai il est surprenant. J’ai oublié de
mettre l’emploi de Dimanche avant Lundy, mais il trouvera sa place
ici. Ce fut le diner de Mr de Calone  chès Mylord Sheffield, avec Lord
North  son fils ainé, Lord Stormont, Lord Loughborough  & &. nous
nous mimes a tables a 6 h. et en sortimes a 11 h. je ne me ressouviens
pas d’avoir fait un diné plus interessant. Calone parla assès, et fort
bien, Lord North est agreable au possible, toutes les matieres etoient
traitées avec tant d’esprit et de forces qu’un rien en devenoit interessant
je fus assis a coté du Colonel North, le fils ainé , qui me demanda
des nouvelles de Mad. Cazenove, mais par acquis pr qu’il fut dit qu’il
l’eut fait, Vous savès qu’il est marié, je ne crois pas qu’elle l’ait vu seulemt
lorsqu’elle fut ici. Je trouvai l’autre jour Mr Champigny oncle de Mr
Paget que j’avois vu sur le paquebot, il me reconut et il me dit que son
neveu seroit en Angleterre dans le mois d’aoust je ne le verrai donc pas
il y avoit hier trois de ses soeurs a l’opera, elle lui ressemblent toutes.
Il y a bien longtems que je n’ai vu Mr Trevor, je ne conçois pas come
ceux qui vivent dans le monde ici on le tems de reflechir seulement, c’est
un tourbillon perpetuël, allé venir, quatres cinq bals dans le même soir
et il y a des gens qui vont a tous. Ce seroit ici le triomphe de Catuellan
et il pouroit y deployer ses talents, il auroit 3 dejeuners quatres diné
10 assemblées, et 5 ou 6 spectacles par jour, sans compter les bals
qui comencent a 1 ou 2 h. de la nuit, On voit les femes qui menent ce
genre de vie viellir bien vite, la parure est a l’exes, et les bonets sont
des tours qui au spectacle cachent non seulement l’acteur mais le
theatre entier , aussi one dams the laps. J’ai reçu une lettre de Mad.
Clarke  pr Vous ma chere Mere, mais je ne l’enverrai que la poste
<2r> prochaine, j’ai voulu Vous en avertir, le cachet noir et un autre main
venant d’Angleterre auroit pus Vous effraier, au premier moment. Ayès
la bonté de Vous informer qui est a Lausanne un certain voiturier nomé
Baud qui est ici il s’offre de mener la voiture que j’achetterai, il va partir
mais il revient au mois de Juin, je ne voudrois pas lui confier une voiture
sans scavoir qui s’est, c’est un jeune home. Je n’ai pas encore vu de piano
forte, mais Lady Clarges m’a indiqué un home qu’elle regarde come le
meilleur, et jy irai un de ces matins, de même que pour la fayence
Mylord Sheffield veut y venir avec moi et il a eté incomodé ces jours
passès d’un Rhume ce qui nous a empechè. Je vis hier a l’Opera le
jeune Dashwood qui est dans les bleus il me dit que William Cerjat est
tout près d’ici, et je crois que je le verai verrai un de ces jours, Je suis
engagé a diner tous les jours suivant jusqu’a Mardy mais je choisirai
un jour pr rester a la maison et me tranquiliser, car je n’aime pas aller
en trop d’endroits on s’en lasse a la fin, trop de plaisir blase a la fin
il n’y a que celui d’etre avec Vous dont je ne serai jamais rassasié. Je
devois aller hier a un grand bal qui començoit a 1 h. de la nuit a
Almaks , mais ayant danssé Mecredy je n’ai pas voulu y aller, dailleurs
il faut pensser un peu a sa santé. Lady Clarges veut me mener dans
quelques jours a la campagne, c’est une partie avec Lady Hampden  chès
une amie qui a prié L Clarges de my mener, je ne sais ou cela est
mais je suis si accoutumé a aller dans des endroits ou je ne conois personne
que cela ne fait rien. Il y a ici un François le Prince de la Trimouille
il etoit au bal, chès Lady Hume et il ne savoit pas dansser les contred
Angloise c’est a dire le pas, qui reelement est difficille pr la mesure
je l’ai attrapé parce que j’ai de l’oreille, et si Vous me voyès dansser ici
je suis tout un autre home, mais il faut faire come les autres.
Dans ce moment je viens de recevoir la visitte de Mr Champigny mais
j’ai fait dire que je ny etois pas, je n’ai pas trop de tems. J’avois trouve
une voiture, aussi finie que j’en eusse jamais vu, pour Voyage avec toutes les
comodites imaginables, seulement trop solide, presque neuve elle n’avoit eté
qu’a Paris et revenir, elle etoit trop lourde je l’ai essayée avec les
chevaux de Mr Gibbon elle va ici mais niroit pas a Lausane le prix etoit
aussi trop fort 130 L. S. elle en valoit plus certainement, il n’y a pas un
an quelle en avoit coute 250, mais j’ai le choix sur deux autres bien
moins cheres et qui nous peuvent faire le même usage que l'autre.
je Vous promets que Vous aures une voiture solide, elegante et avec toutes
les comodites que Vous pourès souhaiter. J’eprouve un bien grand plaisir
de Voir le tems s’ecouler car Vous ne sauries croire combien je me rejouis
de Vous revoir, nous somes au 18e dans deux mois je serai furieusent près de
Vous, et bien loin d’ici, je me retrouverai a la même place qu’avant et
mon Voyage me paroittra un songe, exepté d ce peu d’Anglois que je parle qui
me restera, et quelques louis que nous aurons de moins, car on ne vit pas
pr rien ici, et l’on n’a pas plus de conssience pr ecorcher les gens que dans
d’autres pays, moins encore. Je dine le 26e de ce mois a l’academie
Royale, avec le Pr de Galles et plus de 200 persones, je Vous dirai ce
que cela sera est lorsque jy aurai eté . Le Pce de Galles etoit hier a l’opera
en habit Rayé Rose et bleu il avoit l’air d’un Charlatan qui tire des
dents, mais en revanche il a un Phaeton et six chevaux gris qui est tous
ce que j’ai jamais vu de plus joli. Adieu mes chers Parens, j’embrasse
Minette  Babelle &&. Montrond  a t’il reçu ma lettre? la Grele  se remit
donc, qui pouroit souhaiter le contraire. Si elle etoit un peu moins grele come
nous l’aimerions. Adieu mille fois mes chers Parens.

N° 21e parti le 18. 


Enveloppe

A Madame
Madame de Severy
à Lausanne
Canton de Berne
en Suisse


Etendue
intégrale
Citer comme
Charrière de Sévery, Wilhelm de, Lettre à Catherine de Charrière de Sévery, Londres, 12 avril 1788-18 avril 1788, cote ACV P Charrière de Sévery B 104/2624. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/780/, version du 29.08.2017.
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