Transcription

La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Polier, Saint-Pétersbourg, 18 août 1787

Petersbourg le 18e Aout 1787.

Mon cher et bon ami! Vous aurés reçu avant cette lettre
une Description de mon Voyage que j'avoisi envoyée à Monod
pour servir à tous les deux: maintenant c'est à vous en particulier
que j'écris. Je comencerai par vous annoncer l'arrivée de
deux de nos Concitoyens, Mr Remy ci devant Officier du Genie
en Hollande qui a pris service ici, et Mr Bergier de
Joutens. Tous les deux m'ont plu infiniment, et m'ont fait
le plus grand plaisir en me parlant de Lausanne et de
ses habitans. J'ai oublié avec eux 6 années de ma vie pour
me transporter à Vidi, sur St François, à la Grotte,
dans les allées de Montbenon que vous venés de gâter si
mal à propos. J'ai recomencé mes promenades solitaires
de Chamblande, de Sauvablin, de Preilly, et celles que
nous avons faittes ensemble au milieu de ces ravins
qui bordent le flon, parmi entourrés de ces objets sauvages qui
rappellent à l'home l'Etat primitif de la terre, et
font couler les larmes involontaires de tout Etre sensible.
Ces Messieurs ont satisfait à toutes mes nombreuses
questions, et maintenant je suis au courrant des
affaires du Pays, et surtout à celui des affaires de
Lausanne. Ah! si j'ai jamais quelque chose c'est
dans ses environs que j'achèterai une maison de
campagne, et c'est au milieu des votres que j'irai
vivre - mais que de traverses jusqu'à ce moment! -
Mr Remy étant placé et bien recomandé n'a besoin de
rien. Quant à Mr Bergier il a fait en arrivant
l'expérience des attentions qu'ont les 1 mot biffure1 mot biffure gens d'ici pour ceux
qu'ils croyent avoir besoin d'eux. Son compagnon l'a
<1v> laissé 1 mois à l'auberge sans daigner lui offrir
une chambre, et sans prendre de lui le moindre
soin. Au bout d'un mois enfin Mr Bergier voulant lui disant vouloir
quitter il lui a offert un Taudis tellement inhabitable de sorte
que Mr Bergier s'est vu contraint de louer une
chambre de concert avec Mr Remy - et voilà ce
que c'est que de venir sur la foi du Curé.

Dès que j'ai été en ville, je me suis empressé de
faire la connoissance de Mr Bergier, et je ne
doute nullement qu'entre De Rib.  Saugy et moi nous
ne lui procurions dans peu une place convenable. Mes
Occupations sont cause que je ne puis être aussi souvent
avec lui que je le voudrois, et la manière peu comode
dont je suis logé m'a empêché de lui offrir une
place chez moi. Il m'a conté ses malheurs, et
m'a inspiré le plus vif intérêt. Il faut le tirer
absolument que nous lui procurions quelque chose.
Depuis 8 jours nous somes rentrés en ville à ma
grande Satisfaction. Il faisoit si froid à la cam=
pagne qu'il y a 3 Semaines que j'ai du y
faire du feu. On n'a eu ici aucun Eté, et sans
celui que dont nous avons profité à Moscou, il eut
fallu nous en passer pour cette année; jugés mon
cher Polier d'un tel Climat. Mes occupations étant
toujours les mêmes, mon genre de vie a peu changé:
seulement je sors plus, je me promêne davantage
et je fais de mon mieux pour ne pas retomber
<2r> dans le même Etat où je me trouvois avant mon
Voyage. J'ai perdu Gaudot dont je vous ai fait
l'Eloge à diverses reprises et c'est une grande perte.
Si vous le voyés, come je l'espére vû qu'il doit passer
en Suisse avec son Eleve le jeune Comte Pouschkin,
je vous le recomande instament, et prends la liberté
de le recomander aussi beaucoup à Me Polier et à Mes=
dames vos Soeurs: c'est un home très aimable, très
instruit, et d'un caractère vraiment solide. Il pour=
ra vous montrer mon profil portrait en profil
qu'on prétend être assez ressemblant, aux taches
jaunes près qui ne s'y trouvent pas.

Vous ne douteriés pas mon cher Polier, que
pendant mon Séjour aux environs de Moscou, j'ai
couru les grandes avantures: C'est pourtant la pure
vérité. Ecoutés donc l'histoire (abrégée si je peux) de
mes foiblesses.

Vous n'avés pas oublié l'attachement qui me lioit ici
depuis le moment de mon arrivée. Après 4 ans il étoit
tems au moins de le rompre, et c'est à quoi j'aivois travaillé
longtems en vain jusqu'à ces derniers tems qu'il me
sembloit y avoir réussi. C'étoit Telle étoit ma situa=
tion d'Esprit au moment de mon Départ, lorsqu'un
propos vague peut être, mais qui me parut avoir
un but faillit détruire en un instant l'ouvrage du
tems et de la raison. Me voilà donc en route résolu
de demeurer libre, et à peu près sur de l'être, et
desirant sincérement mettre fin à un de rompre des
<2v> liens qui ne m'ont procuré jusqu'ici que des
chagrins, et qui auroient pu me rendre peut être
malheureux pour la vie. J'arrive près de Moscou
avec ces dispositions, et mes affaires me laissant du
tems j'en profite pour courir partout et pour
me distraire. Il y avoit deja 15 jours que je vivois
de la sorte, ne songeant qu'à me dissiper, et j'en
avois encore 15 à rester lorsque sortant à 9 heures
du soir d'un Jardin public où j'avois vu grand monde,
je rencontre une Societé d'homes et de femes dont le Costu=
me propre et simple, me frappe par son contraste
avec ceux que j'avois vu. Excité par la curiosité je m'ap=
proche 3 mots biffure mais que devins-je lorsque j'ap=
perçus au milieu de ce Groupe une de ces phisionomies
sentimentales qui expriment la bonté, la douceur, la
modestie, et qu'un home dans mon cas ne voit rarement
en vain? Vous en rirés tant qu'il en vous plaira mon 
cher Polier, mais il n'en est pas moins vrai que je
demeurai cloué sur la place, que je ne repris haleine
qu'un moment après, et que cet embarras fut remarqué
par celle qui en avoit été la cause. Le premier Usage
que je fis de mes facultés après cette Scène tragi-comi=
que, fut de m'informer du nom des personnes qui
composoient cette Societé. fin de la ligne biffure
2 lignes biffure
<3r> 1 ligne biffure
1-2 mots biffure. On m'apprit donc que cette Societé étoit Une la
famille d'un très riche fabriquant de Iaroslavl annobli
pour ses services et aussi connu par ses vastes Etablissemens
que par sa loyauté, que cette famille quoique nombreuse
étoit un modêle d'union, que les fils avoient été élevés
par au milieu des Anglois d'ici dont le Pére étoit associé, que
les filles l'avoient par contre été par 2 Suissesses une Dlle
Imbert de Genêve et une Dlle Motet de Morat, que la ma=
niére de vivre de la maison tenoit beaucoup de celle
des Anglois, &c. Ainsi que je 1-2 mots biffure ai deja dit un mot
en passant Pour surcroit de fatalité ne faut-il pas
que je me rapelle dans cet instant ce les Eloges que j'avois
1 mot biffure entendu faire un an et demi auparavant de cette famille
par une personne intime àlaquelle la Dlle Imbert les avoit
fait? je les avois écouté alors come des propos indifférens et ne
m'étois guêres douté qu'ils pussent un jour m'importer beaucoup;
ce fut pourtant le cas. Prévenu deja fortement par
ce que j'avois ouï jadis, les qu nouvelles qu'on m'apprenoit
devoient faire encore plus d'effet sur moi, 1 mot biffure et celui quelles produisi=
rent fut tel en effet que (ce qui ne m'etoit encore jamais
arrivé) je formai des projets d'une nature fort sérieuse et
résolus à tout prix de parvenir dans la maison. Deux
circonstances favorisèrent l'exécution de ces projets qui devoient
sans cela rester de pures chimeres: en sortant de ce jardin
pour aller joindre mon carosse que j'avois laissé dans une rue
attenante, je passais par hazard devant la maison de cette famille, et
come elle étoit à peu près sur ma route, toutes les fois que
<3v> j'allais de Kolomenskoy soit à la Slabode allemande (quartier de Moscou)
soit au Jardin impérial, je ne manquai plus 2 mots biffure de
passer et repasser, jusqu'à ce que mon Equipage et moi
fussions parfaitement connus. L'autre circonstance fut que
la découverte accidentelle que tous les soirs vers les 7 ou 8 heures
cette famille alloit prendre le frais au Jardin impérial où
il se trouvoit alors très peu de monde. Je n'eus pas plutôt
fait cette découverte que j'ye m'y rendis à mon tour chaque
soir vers le même tems, affectation qui ne tarda pas
à faire soupçonner mes vues, et me fit connoitre. Cepen=
2 mots biffuredant je n'étois encore guêres plus avancé qu'au premier
jour, car quoique j'eusse écrit à un Négotiant de Petersbourg
de m'envoyer sur le champ une lettre de recomandation pour
cette maison, cette lettre n'étoit pas encore arrivée, et il ne
me restoit plus que 9 jours avant le Départ de la Cour.
mais la nécessité est mère de l'industrie, et come j'étois le mai=
tre de tout mon tems à force de fureter de toutes parts, je
trouvai un Canal parlequel en 3 jours de tems j'eus fait
connoissance avec un frère qui gouverne les affaires depuis la
mort du Pére, et 2 mots biffure me trouvai introduit dans sa mai=
son. La personne qui m'en procura l'entrée ayant sans
doute fait entendre quelque chose des motifs dit quelque
chose de mes motifs, et ses discours convenant avec la conduite extra=
ordinaire qu'on m'avoit vû tenir, je fus reçu avec beaucoup de politesse,
mais en même tems observé avec une attention scrupuleuse.
La famille est nombreuse et on en trouvera peu je crois de
mieux composée. J'y ai vu 3 Soeurs réellement charmantes,
<4r> leur ton et leur maniére de vivre m'ont paru être tels qu'on
me les avoit dépeint, de la simplicité fin de la ligne biffure
2-3 mots biffure sans affectation et simples avec décence.
J'ai cru remarquer aussi la plus grande Union entre tous les membres
de la famille, de la douceur, de la complaisance, on paroit
y aimer l'occupation et le travail, et je n'y 1 mot biffure et l'on
y estime à ce que je crois les plaisirs tranquilles de la
vie domestique. Je n'y ai vu aucun luxe, mais une
grande aisance, et de la propreté dans les ameublemens
de la simplicité et du gout. Vous vous attendés sans doute
à une Description de la personne: la voici. Julie est d'une
taille moyenne mais svelte et dégagée. Le contour
de son visage est dessiné avec grâce, ses traits sont
réguliers et son teint est de lys et de roses. Elle a le plus
joli nez que j'aïe vu, la bouche gracieuse sans être fort
petite, et de grands yeux d'un bleu foncé qui annoncent
un coeur sensible, beaucoup de douceur, de bonté et plus de tendresse
que de vivacité. Ses cils et cheveux sont du plus beau blonds cendrés et sont
d'une finesse et d'une longueur étonnante. Vous rirés sans
doute en apprenant qu'une des mes observations les plus importantes
en l'éxaminant, fut d'avoir remarqué sur le bout de ses doigts
des preuves qu'elle s'en servoit pour travailler. Angelica
a dessiné souvent des profils qui ont quelque rapport au sien,
cependant elle est moins belle qu'intérressante; et je l'appelle=
rois plutôt une figure sentimentale, la beauté ayant des
traits plus grands, plus marqués et qui 1 mot biffure étonnent plus
qu'ils ne touchent. Elle s'énonce avec facilité sans cependant
<4v> parler beaucoup, sa Conversation m'a paru répondre àux carac=
téres de la physionomie et je lui crois beaucoup plus de sens
que d'Esprit. 1 mot biffure Le son de sa voix est si agréable qu'après
l'avoir entendu je me suis surpris plus d'une fois dans la même
situation où se trouve un amateur qui entrainé transporté par la
Mélodie d'un air favori, croit encore l'enttendre quelques instans
après quelleil a fini. En vérité mon cher Polier, me préserve
le Ciel de revoir 2 1 mot biffure Yeux bleux pareils à ceux de J... et d'en=
tendre le son d'une voix qui lui ressemble à la sienne!

Il seroit impertinent de prétendre à plaire en aussi peu
de tems que j'en ai eu pour la voir lui parler, et m'en
faire connoitre. Entourré prèsque toujours de ses fréres ou
de ses soeurs, je n'ai pu dire que des Généralités, et notre
Conversation, à quelques mots près, n'a roulé que sur des
objets indifférens. Ça et là je lui fis quelques complimens
indirects qui reçurent un bon acceuil, elle se trouva même
embarrassée dans quelques instans ou je ne l'etois guêres moins, 
mais j'attribuai cet embarras à celui que doit éprouver une
personne de 17 ans qui voit arriver un Etranger et quelqu'un
de la Cour encore avec des vues sur elle. Tout ce qui m'est
revenu indirectement est que j'ai plû à la famille,
et j'ai lieu de croire par la maniére dont j'ai été et par
d'autres raisons encore que mes vues n'étoient pas entiérement
désapprouvées. 5-6 mots biffure Vous en aviés donc
de très sérieuses? - Ouï mon ami, et voici les raisons que j'avois1 mot biffure Excédé
de la vie solitaire, triste et monotone que je suis forcé par mes
circonstances de mener, 2-3 mots biffure ne voyant aucun moyen de retourner
en arrière, je songeois à en diminuer l'horreur et l'Ennui, en
m'associant une personne selon mon coeur dans le sein de
<5r> laquelle je pusse dépôser à la fin mes chagrins, et qui sçut
par sa douceur et son bon sens me calmer, 1 mot biffure et qui voulut bien l'entre=
prendre. Je la voulois née 1-2 mots biffure dans la Classe moyenne
où l'on a encore des moeurs, élevée bourgeoisement, accoutumée
au travail et à une vie domestique, prête à me suivre
dans mon pays quand il en sera tems, assez instruite pour
être une bonne mère de famille, d'une figure intéressante
plutôt que jolie ou belle, douce et bonne parceque je suis vio=
lent et emporté, et d'une fortune 1 mot biffure à peu près égale
à la mienne. 1-2 mots biffure la majeure partie de ces conditions
1 mot biffure se trouvant donc réunies ou me paroissant l'être
dans la Dlle en question et la raison paroissant d'accord avec le coeur il ne vous paroitra plus surprenant que
la raison se j'aye formé à son égard des projets sérieux, et
si vous pensés que je n'avois que 8 jours de tems pour faire
sa connoissance, vous ne trouverés pas tout simple que je me
sois pressé. Cependant j'étois bien résolu de ne pas trop
m'avancer, et surtout de ne prendre à son égard ou avec
sa famille aucun Engagement, avant d'avoir vérifié par
moi même si tout ce qu'on m'avoit dit étoit vrai, avant
d'avoir sondé les dispositions de la Dlle à mon égard, et surtout
avant d'ap d'avoir pris songé à mes arrangemens, puisque s'il
est malhonnête de chercher à gâgner le Coeur d'une personne bien
née pour l'abandonner ensuite, il ne l'est guêres moins de
lui faire partager une éxistence pénible et désagreable en l'asso=
ciant à desaux privations qu'entraine une fortune trop bornée.

Le desir que j'avois d'être encore mieux connu et de connoitre
mieux moi même 1 mot biffure me porta à rester à Moscou 3 jours deplus
que la Cour, ce qui 2 mots biffure répandit aussitôt jusqu'ici
le bruit de mon futur mariage. Cette prolongation fut
<5v> et neanmoins ce fut cette prolongation qui termina mon
Roman. Inquiete de me voir partir sans avoir rien annon=
cé, la famille craignit peut-être que des visites ultérieures
de la part d'un home attaché à la Cour ne fissent causer, et
lorsque je voulus retourner dans la maison, on me dit qu'il
n'y avoit personne. Ce procédé raisonnable dans le fonds, mais
que je trouvai dans le moment trés déplacé, me déplut au
point que s'il en eut été tems j'eus rejoint la Cour 1 mot biffure tout de
suite. Peu d'heures aprés je rencontrai le frére qui vint à moi
dès qu'il m'apperçut, je le saluai poliment en lui demandant des
nouvelles de sa famille, mais sans lui dir avouer d'avoir passé
à sa porte, et come j'étois encore ulcéré j'évitai soigneusement
de me trouver seul avec lui ainsi qu'il paroissoit le desirer: je
craignois avec raison d'entrer en explication et de m'engager.

Cet Evênement me fit en attendant faire des de réfléxions 1 mot biffure
2-3-mots biffure très sérieuses que voici 1° Il faut pour vivre ici 4000 R.
de rente annuellement; or je n'en ai que 2689: ce seroit donc à
ma feme à faire le reste; or la fortune de celle ci ne passera pas
25000 R. de Capital. 2° Faire des démarches pour une augmentation
d'Appointemems ou pour obtenir des graces qui me mettent en
Etat de m'établir, c'est dans le fond n'est pas malhonnête sans
doute, et il y auroit même beaucoup de motifs légitimes à alléguer, mais
c'est pourtant mendier la faveur et se rendre esclave par la
reconnoissance. 3° Quoique toutes les Réligions et les Sectes ne soyent à
mes yeux que des Contes plus ou moins probables, il 3-4 mots biffure
importe pour l'Union d'épouser une feme élevée dans la même
Secte; or le mariage dans l'Eglise grecque entraine l'Education des
enfans dans cette même religion et cela ce qui peut avoir des inconvéniens
civils; du reste je méprise trop le dogme et la théologie pour
me servir de leurs argumens. 4° Il est très probable que
la Dlle conviendroit à notre pays, mais cela ayant fait pressentir là
dessus, on m'a tant fait d'objections, que je pourrois peut être un
<6r> jour avoir de la peine à quiter ce pays avec elle; or pour rien
au monde je ne voudrois m'y établir et j'espére bien que la passion
ne me dominera jamais au point d'en courir les risques. 5° Je ne
connois pas encore assez le Caractére de la Dlle pour m'assurer
s'il est bien tel qu'on me la dépeint et que sa physionomie semble
l'annoncer. Elle n'a que 17 ans et j'en ai 33... Pourrait-elle
ou voudroit-elle s'assujettir à mener la vie domestique
la seule qui me convienne, 1 mot biffure et qu'elle et moi avons
appris à gouter dès notre enfance? 6° Je 1 mot biffure Enfin
1 mot biffure des entraves à ma liberté Je cours risque enfin d'être
à la merci de ceux qui voudront me véxer en m'établissant,
aulieu qu'étant je libre come je le suis, je me moque d'eux, je
leur montre les dents, et suis dans le fonds - ou crois l'être - le maitre de
jetter quand il me plaira le froc aux orties.

Ces réfléxions accompagnées d'un gd nombre d'autres opérèrent
à la fin si bien sur mon esprit que je formai la résolution
de ne plus faire la moindre démarche, déviter toutes les occasions
de me retrouver avec la Dlle, et de profiter du 1 mot biffure prétexte qu'on m'avoit fourni pour
m'éloigner, et malgré les Soulêvemens de mon Coeur, mal=
gré les tentations, malgré la facilité de renouer puisqu'on m'a
fait chercher, j'ai persisté dans cette sage résolution. Je partis
de Moscou 3 jours après en prenant congé par carte, et
je suis 2 mots biffure tout est demeuré tranquille dès lors, mais
je vous avouerai que jamais encore je n'ai 1 mot biffure rencontré
une personne 2 mots biffure plus ressemblante en apparence à
celle dans mon imagination 3-4 mots biffure pour
en celle dont le Type est gravé dans mon coeur, et que je
suis charmé d'avoir quité Moscou avant de l'avoir mieux vue, et
mieux connue. Il n'y a pas d'apparence qu'elle vienne ici, et come
je ne peux en bouger, c'est sans doute une affaire terminée: ainsi
soit-il...

<6v> Sorti de cet embarras je me suis retrouvé ici dans un autre qui
n'est guêres moindre. Cette La nouvelle de mon mariage y étant parvenue,
à cette la personne que j'ai si longtems et si malheureusement aimée l'a apprise,
une amie intime m'a sondé à ce sujet, j'ai appris sçu indirectement qu'elles
avoient pris des informations à Moscou, et lorsque je me suis trouvé
avec cette personne je 3 mots biffure je n'ai point été à mon aise. S'il
est vrai qu'elle m'a aimé, fin de la ligne biffure
quelle idée doit-elle se faire de mon caractêre? Cependant je n'ai
aucuns reproches à me faire: Ce sont ses caprices qui ont relâché Ces
liens qui m'attachoient à elle depuis mon arrivée en ce pays, je n'ai
pu supporter plus longtems de 1 mot biffure me nourrir d'une passion malheureuse,
et 3 mots biffure j'ai cherché avec empressement la 1ère occasion d'en
éteindre jusqu'au Souvenir... et je croyois l'avoir trouvée. Avec tout
cela mon cher Polier cette Situation me pêse, 1-2 mot biffure et quoi que
extérieurement je sois très dégagé, je ne le suis pas intérieurement vis
à vis de moi même et surtout vis à vis d'elle. Elle m'observe
avec une attention si particulière et si suivie lorsque je la rencontre,
que cela m'embarrasse...Peut-être desire t-elle  s'assurer si
j'en aime réellement une autre, et pense t-elle le lire dans
mes regards ou dans mes gestes. fin de la ligne biffure
début de la ligne biffure Ah! mon cher Polier! j'avois un Coeur si aimant, et il n'a
jamais fait que mon Supplice, car je suis né loyal et honnête!
Aimé peut-être de celles qui m'étoient indifférentes je n'ai point
encore jouï du bonheur de l'être à mon tour de celle que j'aimai,
de le lui entendre dire... Sans doute un tel bonheur m'eut
transporté hors de moi même, et la sage nature ne l'accorde peut être
pas à ceux qui en seroient trop ébranlés. En effet si j'entendois
jamais ces mots je vous aime sortir de la bouche d'une feme que j'aimerois, je ne
réponds plus de moi.

Voilà mon bon ami l'histoire de mes foiblesses que
je vous fais sans detour et sans honte, parceque je sais que vous m'aimés, et que
vous portés un Coeur sensible qui pardonne aux autres leurs fautes. 1 mot biffure
1 mot biffure Eh! pourquoi aurrois je honte d'être sensible? Ce sentiment n'est-il
pas le même que celui qui me fait aimer tous les homes, le même qui me
donne la hardiesse de parler et d'agir en républicain et en home aumilieu 
d'une Cour despotique, le même qui me porteroit à verser mon sang pour ma patrie, mes parens, et mes amis, le même qui fait gonfler mon coeur au recit des actions grandes et louables, le même qui me fait verser des larmes sur
l'infortune d'autrui, le même qui me soulève contre l'Injustice etc. Let me feel as a man a dit Sterne
<7r> J'en réponds 1 mot biffure ce Sentiment ne m'avilira jamais, ne me
portera jamais à manquer à mes devoirs: il me stimulera au
contraire pour les mieux remplir.

J'ai peu lu pendt mon voyage et fort peu travaillé, mainte=
nant je recomence. Si rien ne me trouble j'achêverai
un Mémoire que j'ai comencé sur la question: quelle est
l'influence de la morale des gouvernemens sur celle des
peuples
? mais gardés cela pour vous, Monod et vous serés mes
2 Confidens, ne si je fais tant de le faire imprimer. J'es=
pére aussi de pouvoir vous comuniquer la suite des
Thêmes que je dicte à mes Elêves: tout au moins
je veux la conserver afin de pouvoir
me justifier s'il en est besoin.
Je cherche à me dissiper autant qu'il
m'est possible, et à rentrer un peu plus
dans le monde.

Est-il vrai que Mr Gibbon à termi=
né la partie de son ouvrage qui
concerne le Bas Empire? où ne
l'at-il que comencée? dites m'en quelque chose: come je suis l'un
deceux auxquels son Livre fait le plus de plaisir et auquel il est
le plus utile, je desirerois en savoir des nouvelles. Il y a
une Histoire de la Grece que je vous conseille de lire: c'est un
Mr Gillies qui en est l'auteur et je crois le même qui est venu
quelques fois dans à nos assemblées de la Societé littéraire.

Faites moi le plaisir de bruler ma lettre afin d'éviter que d'autres n'en
profitent. Ecrivés moi et aimés moi toujours. Je présente mes
respects à Madame Polier, à Mesdames vos Soeurs et aux personnes de votre Parenté.
beaucoup d'amitiés et complimens à de Loys, La Mothe et d'Eyverdun.

Adieu.

PS) Mr Bergier loge chez moi depuis
hier au soir. j'espère que dans
peu il sera bien placé.
 

Note

  Public

Cette transcription a été établie dans le cadre du projet La Harpe et la Russie (1783-1795).

Etendue
intégrale
Citer comme
La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Polier, Saint-Pétersbourg, 18 août 1787, cote ACV P René Monod 507. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/733/, version du 27.05.2019.
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