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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 30 avril 1782
de paris le 30 avril 1782
jay reçu mon très cher et tres digne amy, votre lettre du 15
vous me consolés sans doute en me ramenant à la consideration
du passé qui m'a du préparer a l'inconsequence actuelle de la
conduitte du sr honoré, et qui seroit propre même a m'y faire trou=
ver du mieux; mais j'ay bien peur mon cher que le mal n'ait empiré
pour moy, de tout l'interest que je suis maintenant obligé d'y prendre
dont j'étois autrefois fort éloigné, quand cet interest ne seroit que pé=
cuniaire il m'écrasa et c'est quelque chose dans mes circonstances
actuelles, et ce peut etre tout.
il m'avoit envoyé le nouvel arrest de neufchatel sur lequel ils fondent
tant d'espérance; je voudrois pouvoir y prendre comme eux, mais
j'en suis bien loin; quoyqu'il en soit j'ay reçu la réponce de Mr de
marval, et je vous renouvelle mes remerciments, mon cher amy.
le cher vient d'obtenir le brevet et la place de colonel ou mestre de
camp comme ils disent, qu'avoit Mr de fléchein qui a commandé a l'action
où il étoit en second. le don meme est motivé d'une maniere particuliere
et fort honorable, et je fais copier icy la lettre par laquelle le ministre m'en
a fait part. c'est un succes selon le paÿs, et il n'a pas fallu etre maladroit
car il y a 200 femmes a versailles, par l'abus des maisons multipliées;
elles ne reçoivent pas d'apointements de quoy payer leurs gands, et
toutes sont a l'affut des graces, des emplois, et des moyens; mais mon amy
quelles épines autour de tels succès. cette guerre si ruineuse pour létat,
pour les corps, puisqu'on y enterre les 9 dixièmes de tout ce qui débarque,
lest encor plus pour les familles; toutes s'y écrasent pour soutenir leurs
enfants et finalement y renoncent; il y a tel bien où ils ont paye 15 six
onces de pain, tout y manque, tout sy consomme de soy, et mon fils qui s'en=
voit sans apointements est écrasé de dettes, après avoir tiré sur moy
<1v> plus que je ne pouvois et fort au dela de ce que je luy avois promis de ne
pas dépasser, attendu son dérangement fol d'autrefois.
la tete m'en tourne ainsy que de l'autre; et cela au milieu du procès avec cette
femme au sujet de ces liquidations, procès que l'on traine. j'ay produit mon
conte où les remises excedent les reprises, et au milieu de cela, et dans un des=
ordre effroyable, saisie de toutes parts, parcequ'elle prend tout et ne paye
personne, cette femme vient d'obtenir par les plus viles intrigues une
provision subite de 12'000 lb contre moy, qui luy ay rendu son bien il y a
un an, qui ne luy dois rien et au contraire, quand je luy devrois ce sont
des fonds, que selon la loy, elle ne peut aliener, et par conséquent toucher
et l'on vous dit, cela se restitue, comme s'il m'importoit d'avoir des capitaux
sur son bien, et si cela pouvoit payer les amis, qui seuls peuvent me secou=
rir en pareil cas. enfin mon amy voila la vie et comment la providence
veut me tenir toujours sur le chevalet.
ne dites pas que les oeconomistes ont écrit pour les natifs; dupont a écrit
m'a-t-on dit, mais en cela ils n'etoit pas oeconomiste, et la doctrine seroit
malheureuse si elle devoit cautionner touts les écarts de ses écrivains. je ne
leur ay pas écrit comme cela moy, quand je me suis fait laisser par ces
Mrs qui m'honoroient de leurs pamphlets &c. je trouverois bien quelque part
ma lettre qui étoit bonne et positive, mais je scais bien que je leur annonçois
laristocratie nécessaire, et la démocratie plus hétérogene encor aux lieux
où presque tout est du ressort de la police et des ordres, qu'a ceux où tout
va par la justice et les loix.
on parle icy d'un envoy de troupes sur cette frontière, il me semble que
toute puissance qui a renoncé au titre de médiateur, ne peut se présenter
et influer sur ses voisins, en armes sur tout, que comme oppresseur. je
conte beaucoup sur votre sagesse a vous autres bernois; on pourroit conter
aussy, en vérité, sur léquité naturelle et la modération innée du roy; mais
icy l'on voit les choses de si loin et a travers tant de prismes touts défec=
tueux, que cest miracle, si l'on prend des résolutions modérées; et lesprit
1 mot écriture dailleurs, toujours françois et toujours jactantieux, ne scait proposer
qu'une seule et même maniere, pour touts les noeuds gordiens du monde.
<2r> je vous répète que je conte sur votre sagesse et nous en avés bon besoin
plus encor pour le fait des fribourgeois; un ministre éclairé et bien apris
comme vous alles voir, disoit l'autre jour a sa table que si l'on bruloit genève et ses habi=
tans, le roy y gagneroit 25 millions de rentes viagères. oh maintenés moy des
républiques avec cela, comme si légalité de pouvoir ne depandoit pas de legalité
de cuisines, de chevaux, de valets, de moyens &c. cest en cela qe la religion est la
clef nécessaire des societés humaines; elle met le pouvoir si haut, que personne
n'y peut atteindre ny le récuser. les anciens aimoient les républiques aussi firent
ils la pluralité de dieux l'un ne peut pas plus se soutenir que l'autre; et dans
les municipalites meme (car nos republiques modernes ne sont que cela) le pou=
voir tend toujours a se resserrer. cest la loy de la nature même qui ne prend
éxtension que par effort et tend au resserrement d'elle mème. pour le coup mon
amy, 2-3 mots biffure si ce nest là politiquer en homme sage, ce sera du moins
politiquer en sage femme.
je verrois avec grand plaisir Mr de fégél, tel que vous me le dépeignés
mais je doute que quand il sera a paris, il ait la même envie de se
raprocher de moy. ce paÿs cy est le centre de la vie, qui comme vous
scaves n'est qu'un songe. il me trouveroit néanmoins très disposé
a raisonner, car j'aime les diversions et j'y prends; et cest là mon régime pour
me conserver et ce que j'apele la politique de la tête qui me tourneroit sans
cette facilité et l'habitude de dormir et d'un sommeil toujours exact que
la providence me conserve. adieu mon bon amy, je vous embrasse
Mirabeau
Copie de la lettre de Mr Le Mis de Segur
Du 29 avril 1782
Le Roi Mr a bien voulu acorder à Mr le Chevr de Mirabeau la
place de mestre de camp en second du regiment d'infanterie de Touraine.
Je m'empresse de vous en informer. Cette grace est d'autant plus
flatteuse pour mr votre fils, qu'elle est la recompense de la
conduite distingué qu'il a tenue en amerique, et des marques
de Zele et de bravoure qu'il a particulierement données tant à la
prise d'yoreti qu'à celle de st cristophe et je ne doute pas
qu'il ne profite de toutes les occasions pour maintenir les
dispositions favorables de S. M. à son égard
J'ai l'honneur &c
à monsieur
Monsieur de Saconai à
Berne en Suisse
Par Pontarlier
a Bursinel