Transcription

La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Polier, Varsovie, 15 février [1783]

Je ne puis résister mon bon ami à l'Envie de vous écrire encore avant mon 
Départ de Varsovie qui doit être le Jour 16courrant: Çe n'est pas assez pr moi
de penser souvent à vous, de me transporter presque journellement 
dans votre Çhambre, et dy causer come jadis, il faut que je vous
écrive et que je confie au Papier çe qu'il doit vous dire pour moi.
Je quitte Varsovie sans Regrets: Çe n'est pas qu'on ne nous y aït préve=
nus, et que nous n'aïons éprourvé la plus grande Hospitalité
mais je trouvois que 10 Jours bien suffisans pour avoir une Idée de 
cette Capitale, et de ses Plaisirs; et voilà que nous en avons
déja passé 22; or suivant moi ces 12 Jours de plus ont été fort inutilement emploïés,
puisquils ne nous ont pas plus instruit que les 10 premiers... En effet
mon cher ami!, ne pouvant voir tout en Détaïl, le Voyageur doit faire 
un Choix des Lieux, qui méritent d'être observés avec plus de Soin, et
passer rapidement les autres: Tout voir et tout savoir sont deux 
Àbsurdités d'égale forçe. 3 mots biffure

Rien de plus mal arrangé que notre Voyâge: Nous séjournons 
à peine 5 Semaines à Rome qui mérite presque autant de tems que toute l'Italie
réunie: nous restons trois Semaines à Naples, nous courrons en Siçile
et à Malthe pendant 3 Mois: au Retour nous ne faisons que revoir
Naples et Rome, et nous courrons à Livorne: Là nous demeurons 5 
Jours, nous passons 2 Mois et demi à Gênes, dont les Curiosités
sont toutes vuës en 4 Jours, nous ne restons que 10 Jours à Venise 
nous nous ennuïons 3 Semaines à Vienne, et lorsque nous somes
pressés d'arriver, nous restons plus longtems à Varsovie, et sans savoir pour=
quoi... Florençe est la seule Ville où nous aïons passé le Tems qu'il
falloit et Voilà les fruits d'une Course faitte sans Projets... Je suis çharmé 
il est vrai de l'avoir faitte, même come nous l'avons faitte; mais me 
préserve le Çiel d'en entreprendre Une seconde qui lui ressemble.
2 mots biffures je renonçerois plutôt pour la Vie à revoir l'Italie,
ce qui n'est çependant pas peu de chose.

Enfin dans 15 Jours
nous aurrons fait les 360 Lieuës qui nous restent! et dans peu
<1v> je verrai ce dont il tourne pour moi. Je vous dis, (mais sous le Sçeau 
du Secret le mieux gardé) que j'ai peu à me louër de mon jeune home:
Les Çhoses en étoient même venuës au point que je voullois absolument quitter, et
sans les Egards que je dois à Mr de G. à son cousin, et à Mon ami De R...
je l'aurrois fait certainement. Je n'accuse pas son Coeur, il en a un très
bon, mais soit suitte des mauvais Exemples et de sa 1ere Education, soit que
cela vienne d'aïlleurs, je n'ai pas trouvé en lui çe que j'aurrois bien voullü y
trouver. Il n'est susceptible d'aucune Application sérieuse, et personne n'en aurroit plus
besoin: 2 mots biffure Leger, il s'amourrache si façilement, et çependant si fortement:
2 mots biffure qu'il y a de quoi s'étoner qu'il accoutumé au Libertinage 3 mots biffure par mes Prédecesseurs, il ne
peut en perdre ni le Gout, ni les Habitudes, ni le Langâge... Enfin il est si emporté,
si colérique, et si peu ménagé, que je n'ai vû encore personne lui ressembler. et vous seriés
étonné des Ménagemens et de la Patiençe dont il faut user à son égard. Vous
pouvés croîre mon bon ami! que mon Impatiençe doit être grande de voir le
Terme de cette carriére, où je ne puis acquérir, ni Honneur, ni Plaisir, ni
Satisfaction, cependant je suis bien persuadé qu'il y aurroit eû du Reméde
à tout celà, et que le Jeune home aurroit perdû ses mauvaises Habitudes, si l'on
eût pris de meilleures mesures, et si aulieu de le faire retourner en Russie, on
me l'eût confié à l'absoluë, soit à Lausanne, soit dans quelque academie de mon
Choix, mais 1 mot biffure n'étant pas consulté par les Parens la Prudençe voulloit que je me tûsse,
et j'en suis fâché pour le Jeune home, auquel je reconnois un excellent Coeur, et
qui à moins des Viçes, que de mauvaises Habitudes. Je ne sçais donc çe qui
arrivera de moi, mais vous le sçaurrés mon bon ami: En attendant mon
bon ami! je vous prie de garder celà par devers vous, car 3 mots biffure
ne pouvant entrer dans des Détaïls, je 1 mot biffure n'ai rien dit à mes Parens, de peur
de leur donner de l'Inquiétude mal à propos, 4 mots biffure et qu'ils ne se fissent des Monstres pour peu
4 mots biffurede chose. Je dois çependant ajoutter, avant
de terminer çet article, que le  Cousin du jeune home n'a pas çessé une
fois de me témoigner les plus grands Egards, aussi aïmés le pour l'amour
de moi, car il le mérite bien.

Nous avons été comblés de Politesses par Mr l'Ambassadeur, et
présentés par lui dans les premières maisons. J'ai fait Connaissançe
mais trop tard avec l'Historien de la Pologne le Coadjuteur de Smolensk
<2r> Home d'un grand mérite: d'aïlleurs je n'ai eû, ni le tems, ni l'occasion de
faire des Connaissançes utiles, et ç'est çe qui m'a fait desirer de quitter
Varsovie plutôt. On nous annonçe beaucoup de Neige, mais il n'y en
a point ici. aucunes nouvelles. Adieu cher et bon ami! Je
vous aime de tout mon Coeur, et c'est pour la Vie... On vient m'in=
terrompre, je dois finir... Mille choses à vos Parens, à Me votre Epouse
et à Mes vos Soeurs. adieu: fussai je au Kamtchatka croïés que
mon Coeur est toujours à Lausanne. Varsovie le 15e Fevrier.
1 mot biffure


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Polïer de Loÿs
çi devant officier au Régiment
d'Erlach
A Lausanne
En Suisse


Note

  Public

Annotations postérieures en haut de la première page (de La Harpe lui-même?):

1e annotation: "1802. 10bre Varsovie"

2e annotation: "1783, 15 Février" (et trace l'année 1802 de la 1e annotation)

Note

  Public

Cette transcription a été établie dans le cadre du projet La Harpe et la Russie (1783-1795).

Etendue
intégrale
Citer comme
La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Polier, Varsovie, 15 février [1783], cote BCUL IS 1918/H37. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/620/, version du 16.03.2015.
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