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« Assemblée LXXI. Les qualités à rechercher dans une femme pour le mariage », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 28 novembre 1744, vol. 2, p. 365-372
LXXI Assemblée
Du 28e 9bre 1744. Cette Assemblée a été composée de
Messieurs DeBochat Lieutenant Baillival, Seigneux Bourgue=
maistre, Polier Professeur, Seigneux Conseiller, Seigneux Juge,
D’Apples Professeur, DeSt Germain Conseiller, Comte de Rabe,
De Tillisch Gentilhomme du Prince Roial de Dannemarc, Clef=
ker Gouverneur de Monsieur le Comte de Rabe.
Question proposée par Mr le Comte. Quelles sont les qualités qu’on doit rechercher dans une Femme?Monsieur le Comte a proposé à l’assemblée d’examiner quel=
les sont les Qualités que l’on doit rechercher quand on se propose
de prendre une Femme?
Monsieur le Lieutenant Baillival De Bochat a tracé un planPlan de Mr le Lieutenant Baillival De Bochat sur cette matière. Voir la page 382.
pour traitter cette Question; il faut; a-t-il dit, examiner ce que
c’est que le mariage. 2° Developer le but qu’on se propose, ou
qu’on doit se proposer en se mariant. 3° Examiner quelles qualités
sont nécessaires dans une Femme pour nous conduire à ce but.
Le mariage, a dit Monsieur le Professeur Polier, est l’union deSentiment de Mr le Professeur Polier.
deux personnes de différent sexe; L’on peut & l’on doit se proposer
différents buts dans le mariage 1° L’on se marie pour éviter l’im=
pudicité. 2° Un autre but du mariage c’est d’avoir des enfans, &
c’est là un des principaux. 3° L’on se propose encor en se mariant
d’avoir une compagne qui ait soin avec nous des enfans qui
naitront, qui sache ce qui convient à des enfans, & qui soit capa=
ble de leur donner les secours dont ils auront besoin pour le corps,
et les connoissances & les corrections, les instructions & les exemples
qui seront nécessaires pour former leur esprit & leur cœur, & de
plus qui joigne à ces connoissances une disposition de cœur qui
l’engage à en faire usage dans l’éducation des enfans. 4° On se
propose encor d’avoir une aide, une amie qui puisse nous soula=
ger nous mêmes dans nos besoins, qui partage nos maux et qui
par ses soins, ses discours, ses manières, et par son amitié pour nous
diminue le sentiment de nos douleurs, dissipe nos chagrins, & ramè=
ne dans notre esprit le calme et la tranquillité. 5° Enfin on se
marie encor dans l’intention de rendre son sort plus heureux, &
plus agréable qu’il ne le seroit si nous demeurions dans le célibat,
on se propose encor par là de se procurer des établissemens, aux=
quels nous n’aurions pu parvenir sans la protection que nous
/p. 366/ aquerons par les alliances que nous procure un mariage.
Suivant que l’on se propose les uns ou les autres de ces buts, ou
tous ensemble, on doit souhaitter 1° une femme qui puisse répondre à
notre prémier but. 2° Il faut qu’elle soit en âge d’avoir des enfans.
3° qu’elle soit en état de leur donner une bonne éducation, par ses lu=
mières et par son exemple. 4° qu’elle ait les qualités du cœur, de la
sagesse et de la vertu, pour rendre notre vie douce et agreable; que
par sa douceur et par ses manières, elle s’attire l’estime & l’attachement
de son mari; dans la recherche de ces différentes qualités; il faut avoir
moins d’égard aux qualités du corps qui sont passagères, qu’aux qua=
lités du cœur qui sont durables: il faut sur tout qu’une femme ait
de la Religion. 5° Si on cherche des établissemens qui soutiennent ou
qui augmentent notre fortune, il faut qu’une femme soit d’une con=
dition qui réponde à la nôtre, et qui puisse nous procurer un établis=
sement convenable au rang que nous tenons.
Si on peut réunir tous ces buts, c’est le mieux; si on ne le peut,
il faut préférer l’amour de son devoir, la vertu, une bonne éducation,
une bonne conduite. Ce sont là les qualités essentielles dans une
femme, et celles qui sont nécessaires pour rendre un mariage heureux.
Examinons encor l’influence que les qualités du corps peuvent
avoir pour rendre un mariage agréable & heureux. 1. La prémiére
qui se présente, c’est la beauté; cette qualité peut contribuer au
bonheur du mariage, il est vrai; mais la beauté est bien passagère,
l’âge et les maladies peuvent la détruire, ainsi il ne faut pas
y compter. 2. Considérons en 2d lieu les richesses, elles ont bien des
agrémens à leur suite; mais elles peuvent être accompagnées, et elles
le sont pour l’ordinaire, de soins, elles peuvent être l’appanage d’une
femme d’un mauvais caractère, d’une humeur contredisante, fière,
superbe, dépensière; par là les désagremens qu’elles entraineroient après
elles ne seroient pas compensés par les minces et faux plaisirs qu’elles
pourroient procurer. 3. On peut encore mettre au rang des avanta=
ges extérieurs, la naissance; mais elle n’a aucune influence sur
le bonheur; j’en dis de même de tous les autres biens de la fortune.
Mais la douceur, la piété, l’amour de son devoir sont des qualités
infiniment estimables, et les principales choses, par conséquent, aux
quelles on doive faire attention dans le choix d’une femme.
Le mariage, c’est le Sentiment de Monsieur le BourgmaistreSentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.
Seigneux que je rapporte, est recommandable par la nature et par
les Loix, qui gènent chacun à se tenir au choix qu’il a une fois
fait. La principale qualité qu’on doive rechercher dans une femme,
/p. 367/ c’est l’attachement à son devoir, et la douceur: la raison de cela
est qu’en faisant son devoir, on ne fournit aucune occasion de
s’irriter à personne, et si l’on vient a manquer à son égard, ou
qu’elle même y manque par foiblesse; sa douceur lui fait sup=
porter les défauts, les vivacités d’un époux, jamais elle ne s’aigrit
& par là, elle arrête les dissensions & les troubles qui auroient
pu s’élever dans une famille. Est-on livré a quelque passi=
on violente qui nous tourmente, la douceur d’une femme sait
appaiser ces accès, et rend le calme à notre cœur.
A ces idées principales j’ajouterai encor une remarque: c’est
qu’il faut tant qu’on le peut se marier parmi ses égaux; sans
cela il est ordinaire qu’on vienne à mépriser une femme d’une
condition inférieure à la sienne.
Sentiment de Mr le Juge Seigneux.Le mariage, a dit Monsieur le Juge Seigneux, est une so=
ciété de deux personnes de différent sexe qui se joignent pour avoir
des enfans. Le fondement de cette union c’est l’inclination reciproque
des deux sexes et les désirs donnés par le Créateur. Le but du mari=
age est d’avoir des enfans pour remplacer la société, & c’est dans
cette vue que le Createur a donné aux deux sexes ce penchant qu’ils
eprouvent l’un pour l’autre.
Les qualités qu’on doit rechercher dans une femme sont, 1°
une constitution heureuse et robuste. 2° de la douceur pour rendre
cette Société agréable. 3° des qualités de cœur & d’esprit propres à
élever une famille. On recherche aussi la beauté, mais comme on
l’a dit, elle se fane: l’esprit, une imagination brillante, des sail=
lies agréables, cela est avantageux; mais il a bien des inconvé=
niens.
Au lieu qu’une santé robuste; du bon sens plutôt que de
l’esprit; les sentimenst du cœur, un cœur compatissant, pliant,
complaisant, la vertu, la modestie; c’est là l’appanage des fem=
mes, et ce sont là les seules qualités qui peuvent procurer une
solide satisfaction.
Monsieur le Conseiller DeSaint Germain a dit que le butSentiment de Mr le Conseiller DeSt Germain.
du mariage doit varier selon la condition, le caractere, le
tempérament & la nation même des personnes qui veulent se
marier. Qu’un homme, par exemple, d’un petit genie, qu’un hom=
me maladif, qu’un païsan, qu’un Turc cherchent à se marier, ils
se proposeront les uns & les autres des buts différens; l’un cherchera
une personne qui puisse le soulager dans ses maux, l’autre une
aide pour son travail, un troisiéme ne voudra dans une femme
/p. 370 / que des qualités propres à satisfaire ses passions & son gout pour la
volupté. Mais la qualité la plus utile parmi les Occidentaux, c’est la
douceur qui fait passer les plus doux momens, & la modestie qui tran=
quillise et qui appaise la jalousie.
Le mariage parmi les Chrêtiens, a dit Monsieur le ProfesseurSentiment de Mr le Professeur D’Apples.
D’Apples, c’est l’union indissoluble de deux personnes pour avoir des
enfans & pour s’aider mutuellement dans les besoins de la vie, et
pour contribuer reciproquement à l’avancement de leur salut. Le
but qu’on doit se proposer en se mariant, c’est son bonheur, celui
de ses enfans & celui de la Société.
On trouve un détail des qualités qu’on doit rechercher dans une
femme, dans le portrait que Salomon fait de la femme forte au
31e Chapitre des Proverbes. Ce sage Roi comprend dans son éloge
de la femme vaillante & forte, comme il l’appelle, les qualités
du corps, de l’esprit & du cœur: il ne fait aucune mention de la
beauté, parce que cette qualité, quand elle est seule, n’a aucun
mérite, et ne contribue en rien à la satisfaction, ni au bonheur
durable d’un mariage. Elles est laborieuse, dit Salomon, elle ne
fait point de mal, mais du bien, elle est modeste, elle prend soin de
ses enfans, de ses domestiques, elle tâche de plaire à son mari; il
ajoute encor d’autres traits que je ne rapporterai point. On peut faire
voir l’influence de ces qualités sur le bonheur de la Société généra=
le du genre humain, & sur la Société particulière du mariage.
Il y a des qualités dont le choix dépend de nous & d’autresSentiment de Mr le Boursier Seigneux.
qui n’en dépendent pas, ou qu’il n’est pas de la sagesse que nous né=
gligions dans le choix que nous faisons d’une femme. (Je rapporte
le sentiment de Monsieur le Boursier Seigneux,) Par exemple, il
ne dépend pas de nous de choisir une personne qui manqueroit
de vertu, nous pécherions en faisant un tel choix, ou nous nous ex=
poserions volontairement aux désagrémens qu’une conduite
opposée à la vertu pourroit nous donner, et aux influences
qu’elle pourroit avoir pour nous corrompre nous mêmes. Le
choix des autres qualités est plus libre, il dépend entierement
de nous; la beauté, les richesses, l’esprit, l’oeconomie, on peut
négliger toutes ces qualités & n’y faire que peu ou point d’at=
tention, cependant la sagesse demande qu’on agisse en cela
conséquemment aux circonstances ou l’on se trouve placé.
Un Prince, par exemple, peut ne s’attacher pas à l’oeconomie,
mais la prudence la recommande. Dans toutes les autres conditi=
ons. La principale qualité qu’on doit rechercher dans une femme
/p. 371/ c’est celle qui regarde l’éducation des enfans, quand on se marie
dans un âge à pouvoir en avoir. Si l’on fait un mauvais choix
cela dérange la Société générale qui n’est heureuse qu’autant
que les particuliers le sont & qu’autant que les enfans
que ces mariages introduisent dans la Société sont bien
élevés. En se mariant on ne cherche ordinairement que son
bonheur particulier; mais s’il est bien entendu, si l’on a des i=
dées justes de ce bonheur, la Société générale y trouvera le
sien.
En traittant cette Question nous n’avons parlé que des qua=
lités des femmes, on devrait parler de celles des hommes;
ils manquent souvent à leur devoir.
J’ai parlé du mariage d’un homme seul avec une femme
seule que je trouve plus raisonnable et plus tendre qu’un
commerce vague: celui-ci va introduire le désordre dans la
Société en y fournissant des membres qui ne peuvent être que
mal élevés, et en y bannissant cette douceur de commerce qui
se trouve dans un mariage bien réglé, et en privant ceux qui
s’y livrent des secours mutuels qu’un mari peut recevoir de
sa femme, & ne peut même recevoir que d’elle, et de ceux
qu’une femme peut & doit recevoir de son mari.
Au reste pour faire qu’un mariage soit heureux, il faut
qu’il y ait beaucoup d’égalité entre le mari et la femme, l’i=
négalité pourroit donner lieu au mépris & le mépris à la désu=
nion. Je voudrais que dans le choix d’une femme on s’atta=
chât particulièrement et principalement aux qualités du cœur,
la vertu, la prudence. Pour les richesses, je crois qu’on doit y
faire quelque attention, mais moins qu’aux qualités dont nous
avons parlé & seulement à proportion des circonstances ou l’on se
trouve. Celui dont la fortune est considérable doit y regarder
moins, que celui qui est dénué de biens. Mais les biens étant d’un
grand secours pour donner une bonne éducation à une famille;
on ne doit pas negliger de s’en pourvoir, quand on peut s’en pro=
curer sans se priver des autres qualités dont nous avons parlé.
Pour découvrir les qualités qu’on doit rechercher dans leSentiment de Mr le Lieutenant Baillival DeBochat.
choix d’une femme, a dit Monsieur le Lieutenant Baillival
De Bochat, il n’y a qu’à faire attention que le mariage est une
Société qui doit durer toute la vie, et qui est établie dans la
vue d’avoir des enfans. Toutes les qualités qui sont necessaires
pour fonder une Société & pour la maintenir sont nécessaires
/p. 372/ et on ne doit point faire de choix, à moins qu’on ne soit sur de trou=
ver ces qualités; celles qui ne sont propres qu’à procurer de l’agrément
et à rendre cette société plus agréable; ne doivent point être négli=
gées, mais on ne doit les rechercher qu’à proportion de l’influence
qu’elles peuvent avoir, et ne jamais préférer ces qualités agreables
à celles qui sont nécessaires.