Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur la coquetterie des femmes, par J.-N. Pache  », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [03 mai 1772], p. 65-76

<65> Est il avantageux pour la Societé
que les femmes deviennent plus Coquêtes
qu’elles ne le sont.
Par Monsieur Pache

J’ai lû quelque part qu’un honnet homme aimait les
femmes; Mais qu’un seducteur les adorait: Je les ai adorées,
Messieurs, dans les premiers transports d’une jeunesse sensuelle et
fougueuse; Je les ai aimées ensuite, lors que l’ardeur des sens
a fait place au sentiment; Enfin je les respecte maintenant! Ce
serait manquer à ce respect que de prendre la défense de la Coquet=
terie; ce serait même y manquer que de soupconner les femmes
capables de voir cette défense avec plaisir, et de l’embrasser dans
l’esperance d’en obtenir pour recompense un coup d’œil favorable.
Perisse à jamais une semblable idée! Oui sexe aimable, qui fit
autres fois ma gloire et mon humiliation, et qui Je trouvai la source
de tout mon bonheur, et de toutes mes peines, dont le pouvoir
suprême m’éleva par un mot à l’égal de la Divinité, et par un
mot aussi me replongea dans les Abimes infernaux; Que je sois puni
de ma bassesse si jamais je te donne un conseil suborneur, que de
tous les châtimens, je subisse le plus Cruel; Que je sois puni par
l’entierre privation de tes Celestes faveurs, que je sois enfin attaché
au Char d’une Coquette!

Mais qu’est ce que la Coquetterie, dont on parle si Souvent,
quoi que moins frequamment encore que les occasions s’en presentent?
Pour le Savoir, si J’envisage d’abord l’etimologie de ce mot, Je
vois qu’il vient évidemment de Coqueter, et que Coquetter signifie
faire le Coq, ou bien aller distribuant ses faveurs à une dousaine
plus ou moins de pretendans. Je ne m’arreterai point cependant
cependant à cette definition Etimologique, parce que je sai trop
que dans les revolutions successives des nations, de leurs Loix, de
leurs Mœurs, de leurs usages, les Langues Subissent des changemens
qui font attacher aux mots de nouvelles idées accessoires ou même
contraires à celles qu’ils avaient originairement exprimées. Pour le savoir
<66> le savoir je n’ouvrirai point les infolio poudreux, dans lesquels
je trouverais les pensées de quelques hommes solitaires plus faits pour
définir les formes substantielles et les quidités du manuel methaphisique
que propres à definir les termes du manuel d’amour: Je feuilleray
plûtôt le grand livre du Monde, le livre par excellence, où les idées
generales éparses en apparence, mais concentrées en effet peuvent
fournir à l’observateur attentif des notions aussi justes sur ces differents
objets, que les travaux dessechés de nos philosophes de Cabinet.

Chloé sortant du Couvent, ou venant de la Campagne à la Ville,
ou enfin étant présentée dans le monde, soit pour la première
fois, soit après un deuïl conjugal, Chloé, dis je, passe tous les
Matins un certain tems à sa toilette, elle ne neglige point la
Culture des attraits dont la nature bienfaisante l’a décorée,
elle a soin que les Boucles ondoyans de ses blonds cheveux
flottent negligemment, pour répondre à la molle douceur de ses
yeux languissans; ses robes où le bleu Celeste domine sont faites
de manière à marquer sa Taille svelte et legère, elle n’est
point satisfaite de ses ouvriers, si son jupon trop long empèche
de juger de la finesse de sa jambe, par la delicatesse de son
petit pied; Le mouchoir noir quelque fois delicieusement
entrouver fournit à l’œil la matière agréable de la
comparaison la plus avantageuse avec l’eclatante blancheur
de son sein; Rien enfin n’est obmis pour relever ses
appas, tout est emploïé avec intelligence, tout est mis en usage.
L’enchanteresse! Quel goût dans son maintient! Quelle doit
bien tôt faire bien tôt des conquêtes. Chlöé d’ailleurs en
entrant dans les assemblées est également honnête avec tout le
monde, on voit qu’elle cherche à se concilier tout le
monde, elle répond à la galanterie d’un homme par une
politesse, et aux brusqueries d’une autre femme par une
avilité; J’entends dire de tous côtés même par les connais=
seuses que Chlöé désire de plaire.

Au bout d’un certain tems, dans le nombre des hommes qui
lui font la Cour, Chloé en distingue machinalement un, auqel
<67> auquel elle donne toûjours le bras, lorsqu’il faut aller à la proménade;
Le mets qu’il lui sert dans un repas exquis que tous les autres dont elle a
mangé; ses habits lui semblent toûjours du meilleur goût, et elle trouve
tout ce qu’il dit plus spirituel que ce qu’avancent les autres; son silence
même lui paraît quelque fois un trait de genie; Ce qu’il propose elle
l’avait toûjours pensé; Les parties qu’il desire sont toûjours celles dont
il avait formé le projet. Enfin l’instinct et quelques reflexions lui font
connaître l’origine de ces préferences: Elle sent, elle sait qu’elle
l’aime. Son desir de plaire était auparavant vague et general,
maintenant il a un but, il a un objet vers lequel il se dirige; Elle
était autrefois attentive à relever ses appas par les parures
qui leur convenaient le plus; Elle adopte dès ce moment celles
qui font le plus d’effet sur son amant; Tous les Talens agréables
étaient cultivés par elle avec une attention assés égale; Maintenant
elle s’occupe avec plus de reflexion de celui qui la raproche le plus
de l’objet de son choix; J’entends dire de tous côtes, Chloé est une
femme tendre.

Cependant Chlöé après avoir reçû quelque tems dans cette
situation délicieuse où le sentiment épuré de l’amour, fait le
bonheur de ceux qui l’éprouvent, laisse Triompher en elle le Cri
des sens impetueux; Elle oublie ses principes, pour se livrer
insensiblement aux desordres d’un temperament leger et
fougueux; Elle change d’amant, tous les ans, en prend un qu’elle
quitte, pour en choisir bientôt un troisième ou un quatrieme
et passe ainsi tour à tour, des bras de l’un, dans les bras de
l’autre; On dit même que dans certaines époques de sa vie,
elle en a eu plusieurs dans le même moment, avoués en
public, et favorisés dans le particulier. Oh pour le coup
Chloé est une femme Galante!

Mais, non, Chloé n’a point eu ces affections que je lui ai
prêtées, la marche de son cœur a été absoluement differente
si au lieu d’avoir passé du desir de plaire à la tendresse, et de
la tendresse à la galanterie, elle s’occupe comme la femme
qui a le desir de plaire, des son demi jour des soins importans de sa
<68> de sa parure, si elle ajoute ensuite à l’art les souplesses du manège
pour retenir, non pas, un amant qu’elle veut rendre heureux
comme la femme tendre, non pas pour en retenir plusieurs qu’elle
veut bien traiter, comme la femme galante, mais pour en captiver
une tourbe, pour lesquels elle ne sent aucun attachement; Si Chloé
attentive à ne leur marquer en presence les uns des autres aucune
préference, parlant à l’un jouant de l’œil avec l’autre, et donnant
un petit coup à un troisième, tandis qu’elle écrit à un quatrième,
assure cependant, ou du moins laisse entrevoir à chacun en
particulier qu’il est l’objet cheri de sa sensibilité, et qu’elle n’attend
qu’un moment favorable pour le rendre heureux; Si venant
à flatter Damis de porter aujourd’hui ses couleurs, elle en fait une
plaisanterie insultante avec Dorval, qu’elle dupe de la meme
manière le landemain; si elle leur accorde en particulier de
legèrs faveurs, qui ne sont rien en elles mêmes, mais qui servent
cependant à nourrir l’espoir; si enfin pour rappeller quelque
Tourtereau de la bande qui s’échape elle a recours à des fausses
larmes. Je vous demande, Messieurs, comment vous appelerés
cette femme, pour le portrait de laquelle j’en ai trouvé que trop
de modeles: Je vous le demande. Pour moi J’avoüe que je
l’ai toûjours entendu appeler une Coquette.

Ce n’est pas tout, dans une de mes promenades, une
fauvete légère volant de branche en branche se faisait
entendre, et était aussi tôt suivie de cinq ou six Oiseaux
qu’elle n’attendait, que pour voler sur un autre, où elle les
appellait encore de son gosier enchanteur, pour les fuir
encore dès qu’ils y arrivaient; J’admirais ce manège, quand
une femme qui passait, connaisseuse sans doute, me tira de
ma reverie, en s’écriant; à la vüe de ce Tableau mouvant;
ah la Coquette!

La Jeune et tendre Cepsise animée du desir de plaire, et de
plaire à son jeune amant n’est point traitée de coquette; Mais
dans un moment, où corrompue par l’exemple et seduite par les airs
elle se pavane, sans en être, touchée, de l’hommage que lui presente un nouvel
<69> un nouvel arrivant, on dit à son ouïlle: ah, le petit mouvement de Coquetterie!

Je vois dans une assemblée une petite fille recevoir d’un oncle un
biscuit, et lui marquer sa reconnaissance par un; Je vous aime bien
moi, mon cher Oncle, en tendant par derriere l’autre main à un petit
cousin qui la baise, et d’une commune voix les spectateurs s’écrient,
qu’elle a de la disposition à la Coquetterie!

Enfin, j’assiste au spectacle, Je savoure la delicieuse comedie du
Misantrope, Je m’extasie sur les fameuses scenes de la coquette: Tout
Paris toute l’Europe, lettrée et non lettrée aplaudit avec moi à Molière
dans les détails aussi vrais que profonds de ces scenes superieures,
et l’on n’accusera pas j’espère, Molière de s’être mépris sur les
caracteres, J’y compte donc avec toute la confiance possible.

Rentré chés moi, je me rappelle ces traits qui m’ont frappé
cent fois dans la vie, et mille autres semblables, afin de me former
une notion exacte de ce qu’on appelle generalement coquetterie,
et je vois qu’à moins d’un interet momentané d’affecter une opinion
contraire, La Coquetterie est prise pour l’habitude d’Emploïer les
souplesses d’un manège insidieux, afin de retenir en même tems
dans sa cour plusieurs hommes pour lesquels on ne sent point
d’attachement.

Cette définition une fois établie, et je ne crois pas en bonne
Conscience que l’on puisse me la contester. J’entre en matière en
prévénant que comme je trouve la question mal posée, par ce
qu’il ne me semble pas possible que la Coquetterie reçoive
en certains païs un nouveau degré d’accroissement en force,
Je me bornerai à établir, que dans aucun cas, et dans quelque
petit degré qu’elle se trouve, elle ne peut être avantageuses
à la societé, après toutes fois avoir dit encore un mot sur son
Origine et sa nature.

Le desir de plaire nait avec tous les hommes, et avec toutes
les femmes, et si quelques unes montrent, qu’elles n’en sont
point animées, ce sont des monstres dans l’ordre moral, par le
manque d’un sentiment necessaire à l’ame, Comme nous avons
des monstres dans l’ordre Phisique par le manque plus frappant d'un
<70> d’un membre necessaire au Corps: Il est donc dans la nature, et
par consequent tres Louable, en le considerant dans toute son étendue
et dans son dévéloppement sur tous les hommes. L’Education, les
principes sociaux qui resserent bien tôt ce desir de plaire sur un seul
individu, ne le rendent point mesestimable; Plus concentré il a
plus de force, mais il n’est pas plus Criminel; La femme voulant
plaire à tous les hommes, elle s’efforce d’en charmer un seul; C’est
ce choix d’un seul, C’est cette préference d’une seule pour un
objet unique qui differencie l’homme de la plûpart des animaux,
mais qui differencie surtout l’homme social de l’homme supposé
dans l’état de nature: C’est l’ouvrage de la societé, C’est l’ouvrage de
nos Loix.

Mais comme la nature ne se plie pas toûjours à nos Loix et à
nos volontés, il arrive frequemment que les individus, trop faibles
pour suivre ces Loix au détriment des penchans de la nature, les
negligent surtout, lorsque ces individus possedent avec des sens
voluptueux une ame ardente, qu’ils enflament encore, alors
la nature fait violer les Loix de la Societé; La femme Galante
devient Criminelle au Tribunal des Loix et des mœurs, sans le
paraître au tribunal du Philosophe et de l’amant: Double
contradition frappante, sur laquelle nous ne nous arrêterons
point.

Si au contraire la femme, loin d’avoir une ame ardente
dans laquelle le desir de plaire soit secondé par l’Illusion des
sens, est douée d’une froide, dans laquelle le desir de
plaire est seulement secondé par la vanité, au lieu de devenir
galante, elle devient coquette. Voilà en effet les sources de la
coquetterie: Ce desir de plaire; La froideur de l’Ame, et la
vanité; Dont les deux dernieres sont elles qu’il n’est point
necessaire de s’appesantir sur l’odieux qui les couvre, Leur
produit, c’est un déreglement du Cœur uni à une erreur de l’esprit;
C’est pour tout dire en un mot, c’est le vice des ames froides;
Mais je ne les accablerai pas d’une colere que je ne peux
ressentir pour elles; elles excitent bien plutôt ma pitié; ah malheur...
<71> malheureuses, qu’avés vous donc fait au ciel, pour trouver ainsi
sous le joug d’un vice aussi nuisible à vous même qu’à toute la societé.

En effet, Messieurs, la Coquetterie ne peut être avantageuse
aux hommes; J’en ai vû plus d’un enlacé dans les filets de ces sirenes
enchanteresses quand au Corps, certainement nulle jouissance, et
portant nul plaisir; Car nous avons beau nous élever au
sublime de l’amour Platonique, la Nature nous ramène toûjours
aux sens. En suposant même par un hazard extraordinaire, le
moment heureux de recevoir le salaire de vôtre constance soit
arrivé, vous ne goûtés point de plaisir pur; Le souvenir de rivaux
également flattés devant vous, vous poursuit jusques dans les
bras de la Coquette, et jamais son charme n’est assés puissant
pour qu’elle vous fasse croire contre toute apparence qu’elle
vous les sacrifie sans reserve, et que vous êtes le seul couronné.

Le violant desir de lui plaire, dira t’on peut être, vous fera
faire des efforts pour surpasser vos rivaux, vous acquerés des
graces dans vôtre maintien, vous vous livrés aux exercices
qui les font naître, vôtre corps se développera, vous aurés,
plus d’aisance dans vos actions, et plus de Gout dans vôtre
tenue; Je ne trouve rien là qui ne soit ou ne puisse être
également l’effet d’un attachement pris pour une femme, des
sentimens nous sommes les seuls objets, et les objets certains. En
vain m’objectera t’on que la rivalité pique et fait veiller
sur soi; Je dirai que l’amour heureux transporte et fait
tenter les plus heureux efforts; On ne reussit pas moins
quand on a pour objet de plaire à sa maitresse, que
lors qu’on veut éclipser ses rivaux.

L’Esprit de l’homme attaché au Char de la Coquette, ni
gagnera pas plus que son corps; Je me trompe son adulateur
y gagnera, Messieurs, l’esprit de manège et d’intrigue, Talent
que tout méprisé qu’il est, me semble encore plus méprisable.
Il y gagnera l’habitude de s’occuper continuellement de bagatelles,
de fadaises, d’inepties; Car la Coquette qui n’a d’autre vüe que
d’avoir une Cour nombreuse exige que ses esclaves la suivent partout
<72> partout, pour repetter tour à tour et devant tout le monde les
assurances minaudières de leur basse et outrageante servitude; Dès
lors plus d’autres soins, plus d’occupations males; Il faut quitter
l’esprit de l’homme pour adopter celui de ces êtres ridicules, qui
tiennent le milieu entre les deux Sexes, et par là même ne sont
rien; Ce sont les eunuques par l’ame. Aussi n’attandés jamais
rien de grand d’un homme qui s’attache au char d’une Coquette:
son esprit doit s’être rapetissé, doit s’être concentré entierement
dans les minuties pueriles de nos sigibés; Il saura l’ordre
des vases placés sur une Toilette, et il ne connaîtra point
celui de l’univers, ni celui de la societé. Il sera instruit des effets
de quelques poudres rafraichissantes pour le tein ou
astringeantes pour les levres; Mais ignorera ceux de tels ou
tels Caracteres mis en jeu dans certaines circonstances; Il sentira
enfin peut être ce qui peut donner du ridicule ou desagrémens
aux yeux de sa cotterie; mais il ne saura point ce qui conduit
au vice ou à la vertu; ce qui peut nuire ou servir à ses
semblables, ce qu’il faut étudier pour être homme.

En vain, me dira t’on, qu’il gagnera dans le Commerce de
la coquette une plus grande facilité à enoncer les
sentimens amoureux qui affectent son ame, Plus d’aisance
dans ses petites declarations d’amour, plus de legereté dans
la tournure des petits madrigaux de conversation qu’elle
exige continuellement. Après vous avoir fait sentir combien ce
gain est facile, combien peu il mérite d’être mis en ligne compte,
Je vous observerai, que l’homme gagnera encore bien davantage
auprès d’une maitresse non Coquette, parce que le desir
ingenieux de plaire ne l’echauffera pas moins vivement.
Eh! D’ailleurs faut il de la science pour exprimer ce que l’on
sent bien vivement? Dieu Puissant! rends moi l’Enthousiasme
de l’amour, et les expressions brulantes ne manqueront point
à mon esprit échauffé!

Mais c’est son cœur surtout qui y perdra; Oui, son cœur.
On prend facilement les habitudes des gens avec lesquels on vit, et surtout
<73> et surtout des femmes que l’on courtise. La froideur, la Vanité,
bases de la Coquetterie, et la fausseté dont elle fait un usage continuel
entreront insensiblement dans l’ame la plus ardente, la moins vaine et
la plus remplie de candeur. Quand l’Etna flamboyant verse à grands
flots ses laves ignées, tout ce qui l’environne s’échauffe, la pierre même
acquiert une chaleur brulante: Ainsi lors que l’ame ardente de la tendre
amante se livre à ses épanchemens, l’ame la plus froide s’échauffe aussi
par degrés, et s’enflamme insensiblement. Mais comment la Coquette
donnerait elle de la Chaleur à son amant, ou du moins l’entretiendrait
elle en lui, puisqu’elle en est absolument déporvüe; Tout au plus
aperçoit on quelque fois des rayons échapants de l’imagination,
plûtôt que du Cœur. Et qu’elle difference! l’une est la lumière
froidement reflechie de la lune, et l’autre est la lumiere
echauffante du bien faisant Soleil. Elle rendra donc tous ses
courtisans froids et dessechés; Le triste Égoïsme prendra la
place de l’humanité et glacera toutes les affections naturelles
et sociales, Domestiques et Civiles, le cœur blasé par les tours de ses
maneges, il n’aura plus qu’une existence froide, et sera même
incapable de l’amitié, doux bien fait pour nous faire suporter
ses maux et ceux de la societé. Bientôt ensuite la vanité
insuportable, et la fausseté plus abominable encore s’empareront
de son Ame. Tirons cependant le voile sur les suites funestes
et connus de ces vices horibles.

Je n’ai vû dans la Coquetterie des femmes nul avantage
pour les hommes, je n’en vois également aucun pour les femmes
même. Appellera t’on de ce nom les momens passagers
où l’amour propre de la Coquette est flattée d’un nombreux
hommage; Mais combien il faut qu’il soit aveugle cet amour
propre pour faire illusion au point d’Imaginer qu’on ne
lui rend pas Justice, comme elle la rend quelque fois à ses
émules et ne pas s’apercevoir qu’on mésure sa honte sur
le nombre de ses Esclaves. Je veux bien cependant, qu’elle n’ait
pas assés de tact pour le sentir; À quel haut prix du moins cette
fatale satisfaction de l’amour propre est elle achettée? Que de soins
<74> soins, que de peines pour attirer les uns, pour retenir les autres,
pour couvrir ses manœuvres à leurs yeux, moins clairvoyans sans
doute que ceux du public; Mais cependant Capables de découvrir
tous les ressorts! Que de dégouts et d’humiliation ne faut il pas
dévorer par un dépit caché! Que de sentimens aigres et déchirant
l’envie ne fait elle pas naître dans son ame, quand elle voit
d’autres Coquettes avoir une cour plus nombreuses que la sienne,
quand elle ne peut enlever un amant à quelque femme tendre,
ou enfin lors qu’on lui en arache quelqu’un! Eh à quel prix
plus considerable encore que la peine d’esprit n’achette elle
pas cette satisfaction, au prix du vuide de l’ame et de la
privation des plus douces juissances.

Mais en leur accordant quelques momens d’agrémens
passagers dans leurs beaux jours, qu’elles en sont les suites
funestes et necessaires? L’Abandon general quand les fleurs
de l’âge commencent à se former, ou même avant cette Epoque,
quand il paraît dans le même parterre une fleur plus vive
et plus colorée. J’en ai vû de ces Coquettes qui commençaient
à être sur le retour, J’en ai connu sans amans, sans ami;
passant dans la retraite des jours solitaires et malheureux,
elles subissaient le juste chatiment d’avoir manqué à la
nature en éludant ses volontés, et d’y avoir fait manquer
les autres en les tenant vainement en haleine, Je les ai vües
macerées par le Chagrin et par la tristesse, commencer à
être tendre lors qu’il n’était plus tems; Et je me suis dit à
moi même; Que ne peuvent elles servir de leçon dans leur
misère aux jeunes victimes que leur exemple entraine
dans ce pernicieux chemin; Mais elles n’avaient pas même
cette douce consolation de reparer cette partie du Mal
qu’elles avoient produit.

Vous croyés que la Coquetterie pourrait être avantageuse
à une femme, parce qu’elle pouvait luy donner plus de
graces, plus d’agrément dans vos assemblées. Il n’en est rien.
J’ay souvent vû les plus Coquettes avoir le moins de ces graces
<75> graces et de ces agrémens. Si vous voulés rendre les femmes plus
agréables, au desir naturel de plaire à tous, et à celui social de plaire
à un seul, faites qu’elles joignent le goût; C’est ce goût qui manque
dans la plus part, et non la Coquetterie. Partant, en tous Païs elles
ne sont pas trop simples; Mais elles sont trop maussades; Elles ne sont
pas trop noires, mais elles sont trop niaisement gauches: Que celles
qui ne peuvent être originales, copient avec goût; Elles ont plus d’un
modèle que je citerais dans ce Païs; Mais on croirait que je fais
la satire de celles que je ne nomme pas.

Si la Coquetterie n’est point avantageuse aux femmes qui s’y
livrent, elle ne l’est pas plus à celles qui ne l’exercent pas, et qui
vivent uniment, soit dans l’ordre des femmes vertueuses, soit dans
l’ordre des femmes 1 mot recouvrementtendres, soit dans l’ordre des femmes
galantes. La Coquette leur enleve audacieusement par ses intri=
gues soutenues de quelques charmes leurs maris, leurs amis, leurs
amans. Destitués d’occupations et voyant la source de ce vuide
affreux, la jalousie avec toutes les fureurs qui l’accompagnent
remplit leur ame; De là ces médisances, ces Calomnies, ces
hostilités sourdes ou bien ouvertes qui fait passer aux uns et
aux autres tant de momens douloureux et accablans.

Un seul ordre de femmes peut gagner à l’existance de
la coquetterie, c’est celui des courtisannes: Une foule de jeunes
gens, l’Imagination echauffée par les agaceries de la femme
coquette; toûjours suivies de froideur, n’étant plus maîtres
de leurs sens, vont dans les grandes villes se jetter dans les
bras de ces infortunées qui trafiquent de leurs charmes. Sans
experience, sans delicatesse, yvres de luxure ils esperent
trouver dans la jouïssance machinale un dédommagement
des tourmens que les Coquettes leur fait souffrir par les
esperances continuelles dont elle les leure. Mais l’avantage
que la coquetterie procure à ce seul ordre de femmes, et dans
les seules grandes villes, suffira t’il pour la faire regarder
comme avantageuse à la Societé?

Mandeville, le froid Mandeville, tiendrait pour l’affirmative il dirait
<76> il dirait que les vices particuliers servent quelque fois au bien
public, adoptant même cet Exemple des courtinases, il en renforcerait
ceux qu’il a déjà donnés dans la fable des Abeilles, où il prouve
l’utilité du Vol, parce que sans la crainte des Voleurs on n’aurait
besoin ni de barreaux, ni de serruriers, et que sans leur punition
on n’aurait besoin ni de Gibets, ni de Bourreaux. Il plaisante
sans doute; Pour moi, qui n’ait point l’esprit absolument
plaisant, pour moi qui ait le défaut de prendre au serieux
tout ce qui tient au bonheur de mes semblables, Je maintiens
que la Coquetterie, ce vice des excès froids, qui nuit à tous
les individus en particulier, ne peut dans aucun cas servir au
bien general, et n’est point avantageuse à la Societé.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur la coquetterie des femmes, par J.-N. Pache  », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [03 mai 1772], p. 65-76, cote BCUL, IS 1989 VII/4. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1395/, version du 07.02.2024.
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