Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur la différence entre orgueil, vanité et fierté », in Journal littéraire, Lausanne, [12] [juillet] 1781-[19] [juillet] 1781, p. 62-62v

<62> Assemblée chez Mr Vernede Président. Présens Messieurs
Verrey, Bridel, D. Secretan, D. Verdeil, Levade, Gillies,
Bugnion, de Montagni, Deyverdun, Milnes, visitant.

Quelle est la Différence precise entre l’orgueil, la Vanité, et
la fierté
?

Mr Verrey croit qu’on peut definir l’orgueil une Préference
mal fondée. La Vanité, une Préference fondée sur de petits
objets, et la fierté, une Préference anoncée avec hauteur.

Mr Bridel a dit, que l’orgueil blesse, que la Vanité fait
pitié, et que la fierté fâche.

Mr Secretan qu’il y a des différences entre ces trois Passions
ou deffauts, mais qu’elles sont toutes trois filles de l’Amour
propre. L’orgueil et la Vanité ont le plus de raports entr’elles.
La Vanité est moins generale que l’orgueil, et roule sur
des Avantages imaginaires ou frivoles. La fierté prise dans
le sens le plus defavorable est une disposition a rabaisser
le mérite des autres. Dans un autre sens, Come sentiment
peut être exalté de son propre mérite elle fait le Caractère
des Héros, et est souvent une Vertu, tandis que l’orgueil, et
la Vanité sont toujours des Vices.

Mr Verdeil pense que l’orgueil est une opinion trop avanta=
geuse de soi meme sur tous les objets, et que l’orgueilleux est
toujours content de lui meme, L’orgueil est un Vice, la
Vanité un ridicule. La fierté est une Disposition à exagérer
les qualités qu’on a reellement. Elle se prend souvent dans
un bon sens. On dit Fier dans le danger, dans la persécution.

Mr Levade prétend que la Fierté anoncée sans Epitête n’est
pas susceptible d’un meilleur sens que l’orgueil. Le grand
Home si bien dépeint par Horace avait de la fermeté
sans fierté; Les Caractères qu’on attribue à trois Nations
de l’Europe peuvent fournir des lumières pour distinguer
ces Expressions. On dit que le Français est vain, l’Espagnol
orgueilleux, l’Anglais sûr. Ces Vices sans être les plus
dangereux à la societé sont les moins tolérés parce
qu’ils blessent directement l’Amour propre.

Mr Gillies regarde cette question come plutôt que de Litterature
que de Philosophie. L’orgueil et la Vanité sont bien différens.
Un Auteur Anglais parlant d’un Orgueilleux dit qu’il etait
trop orgueilleux pour être vain. L’orgueil se plait, et s’admire
dit Voltaire, La Vanité, au Contraire, ne se plait ni ne
s’admire, mais cherche à plaire, et à être admirée. Le mot
<62v> Le mot de fierté vient de Fierus, Ainsi on est fier de ses
propres forces, de ses talens, de son activité, mais on est
orgueilleux de ses richesses, de Circonstances heureuses.

Mr Bugnion pense que la Vanité retrécit le Cœur, et le
repait d’idées fausses, Il la regarde come la source des préjugés
et le Tombeau des Vertus. Les Romains n’ont point conu la
vanité. (Il n’est question ici aparement que des premiers
Siecles de Rome.) Mr Bugnion regarde donc la Vanité
come le plus condanable de ces trois sentimens, ensuite
vient l’orgueil qui se prend quelquefois en bone part, et
enfin La fierté; Une dose Convenable de ce sentiment de
sa propre Valeur peut conduire à la vraye modestie.

Mr Deyverdun après s’être excusé ainsi que ceux qui ont
parlé avant lui de n’avoir point eu le tems de s’ocuper de
la question a cru pouvoir cependant dire quelques mots
en faveur de la Fierté, et même de la Vanité qui lui
paraissaient un peu trop maltraittées. L’orgueil est à ses
yeux la Passion la plus dangereuse, et la plus condanable.
C’est Elle qui perdit le genre humain, Satan est le premier
des Orgueilleux. La Vanité est au Contraire douce et prévenante,
inspirant un vif désir de plaire, elle conduit aux agrémens
et aux Vertus sociales. Qu’y y a t’il de plus aimable qu’une
Coquette? de plus doux et de plus civil qu’un Bel Esprit de
Province? La fierté, si même Elle est un deffaut, a un
Caractère de Grandeur qui l’anoblit. C’est surtout le plus bel
apanage du beau sexe. La feme fière toujours vertueuse, ne
sera pas aimée seulement, mais adorée. L’home fier sera
incapable de bassesse.

Mr le Président a lu ensuite un petit Mémoire sur la
question, ou il a inséré les Definitions du P. Girard que
nous allons insérer ici.

L’orgueil est une idée outrée que l’on a de son propre
mérite; (à quoi l’on pourrait ajouter,) et une preference
injuste que l’on done à son merite sur celui des autres.

La Vanité. Cette sorte de trop bone opinion de soi meme
qui se fonde sur des choses futiles, et qui fait que l’on
veut etre trop considere pour des objets minutieux.

La Fierté est ce sentiment porté trop loin de nôtre
superiorité qui nous empeche de nous familiariser, et
qui nous eloigne meme des Persones que nous jugeons
au dessous de nous par la naissance, les biens, ou les talens.
Nous renvoyons pour les details au Mémoire que Mr Vernede a
bien voulu nous remettre.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur la différence entre orgueil, vanité et fierté », in Journal littéraire, Lausanne, [12] [juillet] 1781-[19] [juillet] 1781, p. 62-62v, cote BCUL, Fonds Constant II/35/2. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1330/, version du 20.02.2024.
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