Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur les plaisirs offerts par les villes contemporaines et de l'antiquité », in Journal littéraire, Lausanne, 07 juin 1781, p. 54-55v

Le 7e Juin<54> Assemblée presidée par Mr Polier
de Loys, Mr Bugnion Sec.

Question admiseQue doit on entendre par l’Amour Platonique
& seroit il impossible?

Celle du jour est de savoir si un homme
a maintenant plus de plaisir à Londres &
à Paris qu’il n’en avoit à Rome & à Athènes?

Mr Gillies a distingué entre les plaisirs des
yeux & de l’Imagination d’avec ceux de l’Esprit.
Les premiers s’offroient plus aisément et
en plus grand nombre au Citoyen de
Rome & d’Athênes; Ses Edifices vastes &
superbes lui offroient de tout côté les
Chefs d’œuvre des Arts qui frappent le
plus les Sens, & les Représentations Théatrales
les plus pompeuses promenoient delicieusement
son Imagination sur tout ce que leur
Mythologie & leur Histoire renfermoient
de plus intéressant; Le Barreau leur
ouvroit encor une autre source de
pareils plaisirs; Un Romain qui après 
s'etre sortoit des vastes portiques d’Auguste
& d’Octavie ou du Temple de Jupiter
Capitolin pour aller entendre plaider
la cause des Rois dans le Forum; Un
Athénien qui quittoit le Céramique &
les Chefs d’œuvre de Praxitèle & de Phidias
<54v> pour aller entendre ceux de Sophocle et
d’Euripide, joüissoit sûrement plus par les
yeux & l’Imagination que l’habitant de
Londres & de Paris; Mais celui cy peut se
dedommager par des Idées intellectuelles infiniment
plus etendües, plus justes & plus variées que
touttes celles que firent eclore tous les
Philosofes de Rome & d’Athênes.

Mr Verdeil donne à tousquelques regards la supériorité
aux Modernes, & croit en particulier que notre Théatre
même, peut encor plus flatter les Sens
& l’Imagination que l’ancien, dont les
Masques sont pour Lui une demontration
du peu d’illusion dont le Spectateur
devoit y joüir.

Mr de L'Harpe croït la Question
presqu’indéterminable, fondé sur cette
observation commune mais si vraïe, que
le Plaisir est où on le prend; Ceux de
Rome & d’Athênes dependoient pour leurs
Citoyens de l’Education qu’ils avoient
reçeu, des principes qu’ils avoient adopté,
& de la manière dont ils voyoient les
objets; Il en est de même des Habitans
de Rome Londres et, de Paris, & de
toutte autre Capitale.

<55> Mr de Corcelles adopte cette opinion pour la
Multitude, mais croit que le petit nombre des
habitans de Londres ou de Paris qui savent & qui
peuvent varier les plaisirs, ont beaucoup plus
de veritables jouïssances que ne pouvoient s’en
procurer Auguste ou Périclès.

Mr Bugnion pense de même aussi sur
le petit nombre d’heureux, des Societés
modernes, mais ne voit pas la moindre
comparaison entre la multitude des anciennes
Capitales, & celle des modernes sur l’article
des plaisirs; Dans les tems de la plus grande
simplicité de Rome & d’Athênes, le plus obscur
Plebeien, le Prolétaire même etoit quelque chose
dans la République, pouvoit sortir de son Etat,
ou devenoit au moins l’objet des egards de ses
Supérieurs ambitieux, ce qui ne pouvoit que
le flatter & lui procurer donner d’agrêables momens.
Et dans le tems de la splendeur de ces
Republiques, les Grands etoient sans cesse
occupés de plaire au Peuple; Les Temples, les Portiques,
les Forums, les Cirques, ches les Bains etoient
construits pour Eux, & c’etoit aussi en leur
faveur que se donnoient les Fêtes publiques
les plus sompteuses dans touttes les occasions
extraordinaires. On avoit soin de pourvoir tout
à la fois à leurs plaisirs & à leurs besoins, puisque
non seulement les premiers ne leur coutoient rien,
mais on y ajoutoit encor des distributions de Blé, d’huile,
de Vin &c. On leur donnoit souvent Panem & Circences.

<55v> Mr le Président ajoute à cette idée,
qui lui paroit juste, qu’un Etranger est
beaucoup plus heureux aujourd’hui à Londres
& à Paris, qu’il ne pouvoit l’être à Rome
& à Athènes, où on la Constitution & les
Mœurs le plaçoient au dessous du moindre
Citoyen, malgré les Loix si vantées de
l’antique Hospitalité, qui ne s’exercoit
à son egard, que pendant qu’il voyageoit,
& qui cessoient dès qu’il s’etablissoit à
demeure dans quelques hors de sa Patrie.
Il changeoit alors sa qualité d’Hospes
qui elle lui avoit donné bien des privilèges
en celle de Peregrinus qui le placoit entre
les Esclaves & les derniers Citoyens.

Mr Verdeil a terminé la séance par
la lecture d’un Extrait ou plutôt d'un du
Jugement qu’il a porté sur un Ouvrage
nouveau, Les Annales de la Vertu, & qui
sera conservé dans les layettes de la
Bibliothèque où cet ouvrage se trouve; Tous
les Membres de la Societé se sont exhortés
à en faire autant dans touttes leurs Lectures
nouvelles, ce qui fourniroit de quoi faire un
Catalogue raisonné & très intéressant de notre
Bibliothèque.

P. AssembléeQuelles sont les Causes de l’Ennui, et les
Moyens de s’en préserver?

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur les plaisirs offerts par les villes contemporaines et de l'antiquité », in Journal littéraire, Lausanne, 07 juin 1781, p. 54-55v, cote BCUL, Fonds Constant II/35/2. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1325/, version du 20.02.2024.
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