Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 07 septembre 1728

A Groningue ce 7 Septembre 1728.

Vôtre Lettre, Monsieur, m’est parvenuë dans le tems que j’étois à Amsterdam. J’ai
passé sept ou huit semaines dans ces quartiers-là, pendant nos vacances. Je croiois recevoir là aussi
le paquet, que vous avez eu la bonté de m’envoier, de vos Théses, de vôtre Sermon sur le Jeu & de vôtre
Réponse à Mr Bionens. La Balle est même arrivée depuis plusieurs mois: Mais Bernard, à qui
elle est adressée, n’a pas voulu la retirer, sous prétexte que Mrs Fabri & Barrillot (ce que j’ai peine
à croire) ne lui avoient pas donné avis de l’envoi, & lui envoioient d’ailleurs des Livres qu’il n’avoit
point demandéz. Il me dit4 caractères biffure qu’il écriroit à ces Mrs, pour qu’ils donnassent ordre qu’on ouvrît
la balle, & qu’on remît à leur adresse ce qu’il pouvoit y avoir pour d’autres; car, comme je l’ai compris
par une lettre que vous avez écrite à Mr Le Clerc, il y a aussi quelque chose pour lui. Cependant
Mr Bonnelle, l’Expediteur de cette balle, m’a dit, qu’elle ne sortiroit point de son magasin, sans qu’on
lui paiât les frais. Vous pourrez savoir de Mrs Fabri & Barrillot, en quel état la chose est. Ce=
pendant je vous remercie d’avance des pièces, que vous me faites l’honneur de m’envoier, & qu’il me tarde
bien de voir.

J’ai été surpris de ne point voir dans les Gazettes de Hollande le désaveu que vous avez donné
ordre d’y publier, de cette misérable Edition de vôtre Traité de l’Interprétation de l’Ecriture. Je me
suis informé de ceux qui lisent réguliérement les Gazettes, & personne ne m’a sû dire, qu’il y eût rien
trouvé là-dessus. Mais j’ai 1 mot biffure eû occasion d’informer le Public, 2 mots biffure dans deux Jounaux. Je
vis à Amsterdam, dans les Nouvelles littéraires du Journal des Savans, pour le mois d’Août, qu’on
annonçoit le Livre de Mr Ostervald, qu’il a aussi desavoué. Comme on parloit simplement de
l’édition de ce Livre, j’y ai ajoûté, que celui, À qui on l’attribue, a fait déclarer, à diverses reprises,
dans les Gazettes, qu’il ne le reconnoissoit pas pour sien: & à cette occasion j’ai parlé du sem=
blable tour qu’on vous a joué. Au reste, si vous ne savez pas encore le nom de l’Editeur,
je puis vous l’apprendre, quoi que je n’aie pas jugé à propos de l’indiquer publiquement; c’est un
Mr Trinquant, Ministre de Breda. Le Livre est imprimé à Dordrecht; & le Libraire s’appelle
Oudman, nom qu’il a déguisé en celui de Senex, qui signifie la même chose en Hollandais.
L’autre Journal, dans lequel vous verrez quelque chose de plus étendu, c’est celui que les
Wetsteins ont entrepris, & dont ils impriment JuinJuillet, Août, Septembre, qui paroîtront 3 mots biffure
le mois 2-3 mots biffure prochain, sous le titre de Bibliothéque desinteressée. Les Libraires disent, que
le Journal sera de divers auteurs, qui n’ont aucune correspondance ensemble. Je leur ai envoié
un Article, où, après avoir mis le titre du Livre sur l’Interprétation de l’Ecriture, je dis, que ce
n’est pas pour en donner un Extrait, mais pour découvrir au Public l’imposture de l’Editeur.
ce que je fais, selon que vous m’en avez instruit. J’oubliois de vous dire, que Trinquant
avoit offert son Manuscript à imprimer au même Libraire d’Amsterdam, nommé Bernard, dont
je vous ai parlé ci-dessus. On m’a dit depuis, que ce Ministre veut maintenant rejetter la
faute sur Mr Masson, l’Auteur de l’Histoire Critique, & qui, comme vous savez, est Min. Anglois
à Dordrecht, où, dit-il, il a fait imprimer le Manuscrit, sans sa participation. Quoi qu’il en soit,
j’espére que cela vous engagera à publier, le plus tôt qu’il vous sera possible, vôtre véritable
Ouvrage. Je n’ai pas le courage de lire attentivement d’un bout à l’autre la monstrueuse
Edition qu’on a donnée: je suis arrêté à chaque moment par l’indignation de voir
si mal tournées, & si estropiées tant de bonnes choses qu’on entrevoit. Ce qui déplaît le
plus à nos Théologiens, & sur tout aux Coccéjens, est ce qui m’en plairra davantage. Mr
Voget, nôtre troisiéme Professeur en Théologie, qui me l’avoit témoigné en particulier, lorsqu’il
m’apprit la publication de cet Ouvrage, vient de le témoigner en Public, dans une Note sur
<1v> son Oraison Inaugurale De Studio Theolog. Allegoricæ Solidè & Sobriè instituendo. Voici ce qu’il dit,
& cela à l’occasion des Sociniens, des Rémontrans, & en particulier de Théodore de Mopsveste, qui expli=
quent les Allégories par des accommodations aux idées des Juifs: Prodiit nuper Tractatus de Sacræ
Scriptura interpretandæ methodo &c. Tractatus hic planè egregio Viro J. Alph. Turrettino in ru=
bricâ tribuitur. Sed quicumque nasum habent, & alia Scripta Turrettini legerunt; numquam
in animum inducere poterunt, talem foetum ejus esse, prout à Bibliopola in lucem editus est.
Ita meram Galbutiem styli, & in omnibus imperfectionem omnia sapiunt, plane alienam ab
ingenio tante Viti, qui injutiam ita gravem nomini suo illatam agrè feret. Suspicor, rudem
aliquem Discipulum, dum prælectionibus Cl. Viri de hoc argumento interesset, ut cumque currente
calamo hœc adnotasse, quæ Dordraci typis exscripta sunt. Hinc præteros omnia quæ
pag. 91–=
145 de allegorica interpretandi ratione, ibidem traduntur, in quibus quæ de adcommodationibus, de
variis 
᾽αχυρολογίαις in Sacra Scriptura, aliaque, obelo transfigenda esserot, minimè infero ratio=
nibus Excellentissimi Turrettini
. Vous noterez, Monsieur, que les prémiéres paroles sont presque
mot à mot, autant que je puis m’en souvenir, une partie de ce que je lui disois en lui renvoiant
le Livre, le même jour, que j’écrivis à Mr Polier.

J’ai été à la Haye, & j’y ai vû tous les jours les quatre Ministres ordinaires; car Mr Sau=
rin, le jour même que j’y arrivai, partit pour la campagne, & je ne le revis plus. Il paroit
regner une très-bonne union entre ces Mrs, & ils paroissent tous portez à des sentimens de
modération. J’ai été charmé du caractère de Mr de la Chappelle; que je ne connoissois encore
que de réputation. Le nouveau Ministre, vôtre Compatriote, m’a parlé de vous de la maniére
que je souhaittois; & on diroit même, à l’entendre parler, qu’il a eu beaucoup de liaison avec vous.
Je l’entendis prêcher, sur, Ne jugez point, afin que vous ne soiyez point jugez; & il glissa dans ses
réflexions quelque chose sur les jugemens temeraires en matiére d’Hérésie. J’ai trouvé aussi
à la Haie deux de vos Mrs, qui revenoient d’Angleterre, Mr le Professeur Cramer, & Mr
Sarrasin, Ministre. Il y avoit avec eux Mr Buxtorf, aussi Ministre, de Bâle, que j’avois vû à
Amsterdam chez Mr le Clerc.

Vous attendez sans doute que je vous parle de Mr Le Clerc plus particuliérement. Je l’ai vû
souvent, & d’abord je craignois fort que nous ne le perdissions bien tôt. Mais il est revenu peu-à-=
peu de l’abbattement où l’avoit jetté une maladie violente, quoi que courte, & je l’ai laissé en assez
bon état pour son corps. Je dis, pour son corps: car son esprit est épuisé; la mémoire lui
manque, de sorte que, toutes les fois presque que je l’ai vû, il m’a dit les mêmes choses, comme ne
se souvenant point du tout de les avoir déja dites. Cependant il est toûjours assez au fait de ce qu’il a
pour le présent dans l’esprit. Son Histoire des Provinces Unies est achevée; mais il seroit à souhaitter qu’il
eût donné le tems que lui a coûté cet Ouvrage, à son Commentaire sur les Hagiographies, & sur les
Prophétes
, qui est commencé d’imprimer. Il lui reste encore beaucoup à faire, pour la paraphrase
& les Notes sur les Prophétes. Les deux Volumes, des Hagiographes & des Prophétes, s’imprimoient à la fois,
mais on a pris le parti de laisser là le dernier, jusqu’à ce que le prémier soit achevé: & même Mr
Le Clerc s’est déchargé d’une grande partie de la correction des Epreuves, qui ne pouvoit que le fatiguer
beaucoup.

Vous aurez appris, je crois, la mort de Mr Lenfant. Il a laissé un Ouvrage, que l’on
croit achevé, & qui sera aussi gros que son Histoire du Concile de Constance; c’est une Histoire
de la Guerre des Hussites
. Nous perdons celle du Concile de Bâle, qu’il vouloit donner après cela.
Il avoit envoié, il y a quelque tems, des Notes sur le Livre du P. Gibert, de l’Eloquence de la
Chaire
, qui paroîtra bien tôt à Amsterdam. Bernard, qui l’imprime, a aussi achevé les Mémoires de
Mlle de Montpensier. On auroit déja les premiers volumes de la nouvelle Editions du Polybe, avec les Commentaires du
Chevalier Follard, si les Graveurs avoient fait autant de diligence, que les Imprimeurs. La
<2r> nouvelle Edition du Dictionn. de Bayle s’avance beaucoup. Celle de ses Lettres est achevée. Mr des Mai-=
zeaux
, qui en a eu soin, a retranché les Notes de Marchand, & y en a substitué d’autres de sa façon. Il a
aussi revû les Lettres qui avoient déja paru, & y en a ajoûté de nouvelles. On rimprime Boileau,
& les Œuvres de Mr de Fontenelle. Celles-ci seront in 8°, in 4° & in folio. Les Libraires font esperer quel=
ques nouvelles Pièces, que l’Auteur leur a promises. On voit une nouvelle Edition de la Trad. de Gro=
tius
; de la Vérité de la Rel. Chrétienne: on y a ôté du texte, & renvoié aux Notes les Additions du
Traducteur, qui se nommoit Le Jeune; & on y a aussi joint quelques Notes tirées de la nouvelle Traduction
publiée à Paris. Les deux dissertations de Mr Le Clerc, ajoûtées aux derniéres Editions de l’Original, pa=
roissent encore ici, traduites par je ne sai qui. On a achevé d’imprimer les Lettres du P. Simon, qui
avoient été publiées sous le titre de Biblioth. Critique. Il paroît une nouvelle Edition du Dictionnaire
Italien
de Veneroni, revue & augmentée par quelcun de la nation. On aura bien tôt l’Introduction
à la Géographie
, par Cluvier, avec les Notes de divers Auteurs qui y étoient déja, & de nouvelles de Mr
de la Martiniére, qui a pris soin de cette Edition. Il nous est venu de Hollande deux nouveaux
Variorum in 4°: savoir, Rei Venaticæ Scriptores; les Tragédies de Senéque: Et d’Angleterre, les deux
derniers volumes des Œuvres Philosophiques de Ciceron, publiées par Mr Davies, savoir, de Legibus, &
de finibus bonorum & malorum
. On croit, que l’Histoire literaire de l’Europe, qui a fini avec l’année
passée, recommencera à paroître, & que ce sera Mr Van Essen, qui la composera. On m’a dit aussi
que La Martiniére  pouroit bien entreprendre un nouveau Journal: mais j’en doute encore. Il ne
m’en a rien dit à La Haie, où je l’ai vû: & il est fort occupé à son Dictionn. Géographique,
dont le second Volume, qui contiendra les lettres B. C. tend à sa fin.

Mon Pufendorf languit sous la presse: il n’y a que dix feuilles d’imprimées; & depuis six ou
sept semaines les Imprimeurs ont chommé. J’ai à faire à un misérable Libraire, qui ne veut pas laisser
faire à d’autres ce qu’il n’est pas en état de faire lui-même, par sa faute. Les Libraires, qui viennent de
publier quatre nouveaux Volumes du Corps Diplomatique du Droit des Gens, m’ont tant persecuté, pen=
dant que j’étois à Amsterdam, que je leur ai enfin promis de leur donner une espéce d’Introduction
à ce grand Ouvrage, dont ce qui reste sera bien encore un an & demi à paroître. Mylord
Chesterfield, Ambassadeur d’Angleterre, chez qui j’eus l’honneur de diner à la Haie, m’a beau=
coup encouragé à executer ce projet, dont je lui parlai, sur les demandes obligeantes qu’il me faisoit sur
ce à quoi je m’occupois. On traduit en Angloîs mon Traité de la Morale des Péres; quoi que bien
des Théologiens de ce païs-là ne doivent pas sans doute voir cela de fort bon œil. La maniére
favorable, dont vous me parlez de cet Ouvrage, en rabbattant même ce dont je suis redevable à
vôtre honnêteté, suffira pour me consoler de n’avoir pas l’approbation de gens qui croient
avoir intêrêt à estimer beaucoup plus que de raison, les anciens Docteurs de l’Eglise.

Je vis à Amsterdam Mr D’Aduard, qui y est encore en commission; & je lui lu ce que
vous me dites au sujet de son Second Fils. Il vous est bien obligé, & m’a chargé de vous
faire ses remerciemens & salutations. Je dois aller dans ce moment à une prémiére Leçon inaugurale
d’un de nos nouveaux Professeurs, à laquelle, selon la coutume, l’Université en corps & les Curateurs
assistent. J’entendis hier celle du Successeur de Mr de Crousaz, qui se trouve un Bernois,
nommé Mr Engelhard. Il étoit Professeur à Duysbourg, & il est Neveu de Mr Dachs, Min. de
Berne. Sa Leçon roula sur l’utilité de la Physique & des Mathématiques pour l’intelligence de
quantité de passages de l’Ecriture. Il fit les Ecrivains Sacrez fort savans sur ces sortes de choses; &
traita des Emblémes d’une maniére, qui doit avoir fait plaisir aux Coccéïens. Je prens la liberté
de joindre ici par occasion un mot de lettre pour Mrs Fabri & Barillot, qui m’ont écrit depuis
peu. Je fais mes vœux ordinaires pour vôtre santé. Ma femme, & nos Enfans, vous sont fort obligez
& à Madame Turrettin, de vôtre souvenir: nous les assûrons tous, l’un & l’autre, de nos obéissances.
Je suis avec tout l’attachement & la sincérité possible, Monsieur

Vôtre très-humble & très-=
obéïssant serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin Professeur 
en Theologie & en Histoire Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 07 septembre 1728, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 261-262. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1007/, version du 10.02.2024.
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