Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 29 février 1728

A Groningue ce 29 Fevrier 1728.

Je reçûs bien en son tems, Monsieur, vôtre derniére Lettre du 29 Sept. de
l’année passée. Mais j’étois malade alors, & je l’ai été plus de trois mois, ou de
la fiévre, qui a régné dans ces païs, comme ailleurs, ou d’une grande fluxion
sur les yeux, qui ne me permettoit pas de lire une seule ligne. C’est en partie
la cause pourquoi j’ai tant tardé à vous écrire. Après cela, j’attendois de jour en
jour, que Mr d’Aduard me fit savoir quelque chose, touchant l’affaire pour
laquelle je vois avois écrit. Il s’est tenu à sa campagne tout l’hyver: mais
son silence ne me signifioit rien de bon, comme je l’ai enfin appris de sa bouche,
depuis qu’il est ici, c’est-à-dire, depuis dix ou douze jours. Il y a eu des
contretems, qui ont fait échouer l’affaire, par rapport à la personne que
vous m’aviez indiquée, & qui est si propre à un tel Emploi. Mr
d’Aduard a eu lui-même la fiévre; ce qui l’a empêché d’aller à la Cour de
Frise; & de plus un Siegneur, avec qui il devoit ménager l’affaire, s’est
trouvé absent; de sorte que la place a été remplie par un autre. J’en suis
bien fâché, pour l’amour de Mr Eynard, & pour l’intérêt que vous prenez à
ce qui le regarde. Je me serois fait un très-grand plaisir d’employer tout
ce qui auroit dépendu de moi, pour le recommander & rendre sa condition
avantageuse. Si par hazard quelque autre occasion se présentoit, qui me
parût lui convenir, je vous puis assûrer que je ne la négligerois pas.

Je vous suis infiniment obligé de toutes les civilitez & les honnêtetez que
vous avez faites à Mr Lewe. Il m’en a écrit d’une maniére à témoigner
y être fort sensible; & Mr son Pére en a aussi beaucoup de reconnoissance. Ce
Jeune Homme se fait beaucoup, comme je le vois par les Lettres qu’il écrit à Mr
d’Aduard. Il m’en montra une ces jours passez, écrite de la Cour de Lorraine, où
son frére Cadet l’est allé joindre. Selon ce qu’il mande, les choses ont bien changé
là; & l’Académie y est fort négligée, de sorte que les Etrangers diminuent tous les
jours. Mr d’Aduard veut l’envoier de là au Congrès prochain.

Je suis bien aise que vôtre Académie aît aquis Mr Bessonnat, du caractére
dont vous me le représentez, & qu’il me semble avoir remarqué en lui, l’aiant
vû quelques fois à Genéve. Ce n’est pas une moins bonne acquisition pour vôtre
Bibliothéque, que celle de Mr Abauzit; & je voudrois que sa modestie, ou l’amour
de son repos, lui permissent de vous être encore utile pour d’autres choses, en
quoi sans doute vôtre Magistrat ne seroit pas moins disposé à vous obliger,
que dans le présent qu’il lui a fait de la Bourgeoisie.

Il me tarde de voir vôtre Réponse à Mr de Bionens, & vôtre Sermon
<1v> sur le jeu, que vous me faites grace de me promettre. Il me semble que Mr Polier
m’avoit parlé de quelque dissertation Académique, que vous aviez aussi publiée. Mais
ne verrons-nous pas enfin vôtre Abrégé d’Histoire Ecclésiastique, que les Journaux nous
ont fait esperer il y long temps?

Nôtre Académie s’augmente en nombre de Professeurs, & nous allons être
onze. Outre le troisiéme Professeur en Théologie, & le troisiéme en Droit, qui furent
installez l’année passée; on vient d’appeller à la place de Mr de Crouza, un Mr
Engelart, Professeur à Duysbourg, & un Mr Hoffruss, Professeur à Lingen.
Le nouveau Professeur en Théologie, Mr Voget, est Coccéien; Bréme est sa patrie, &
il étoit Ministre à Middelbourg. Il m’a paru en conversation assez moderé, &
on dit qu’en prêchant (car il est aussi Ministre Académique) il raisonne bien,
quand il n’en est pas sur les Allégories. Dans sa prémiére Leçon Inaugurale,
faite devant l’Université, selon la coutume, il nous donna plusieurs explications
nouvelles de quelques passages, mais dont la plupart me parurent peu solides, quoi
qu’il étalât beaucoup de critique. Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’il expliqua,
comme de son chef & sans alleguer aucun Auteur, le passage de I Pierre, III, 19, 20.
précisément de la même maniére qu’a fait Mr Le Clerc, & dans ses Additions de
Hammond, & dans ses Notes sur les Quæstiones Sacræ de David Le Clerc, publiées il y a
fort long tems. Je ne sai s’il craignit de nomme un Hérétique; car ce ne pouvoit
être par ignorance, puis qu’il avoit parlé de quelques explications de Hammond,
qu’il ne peut connoître que par la Version Latine, n’entendant pas l’Anglois. Mr
d’Aduard me disoit, que le nouveau Philosophe, que nous aurons, est un esprit libre,
& qu’il pouvoit bien ne pas plaire aux Théologiens; mais, ajoûtoit-il, il s’en
moquera, comme vous avez fait
. Nos Magistrats laissent dire leurs Ministres, quoi
qu’il y en aît eu d’assez insolens, pour déclamer contr’eux un Chaire, comme
appellant des Hérétiques dans leur Académie; ce qui parloit alors contre Mr de
Croza, & moi.

La Bibliothéque Ancienne & Moderne, de Mr Le Clerc, est finie, avec la derniére
partie de l’année passée; quoi qu’il n’en avertisse point. Il étoit tems qu’il abandonnât
cet Ouvrage; on ne peut rien voir de plus négligé, que le dernier Tome: tout y
sent un esprit usé par l’âge. J’en suis fâché: mais on ne peut pas être deux fois.
Les grands travaux ont épuisé les forces de son génie, en lui laissant d’ailleurs assez de
santé. Il faut esperer, que, ses Commentaires sur la Bible, étant à peu près composez depuis long
tems, ne se ressentiront pas de ce changement.

Je n’ai pas encore vû un volume des Sermons posthumes de Tillotson, que Mr
de Beausobre le Fils a publié. On soupçonne que la Préface est du Pére; & je le con=
noîtrai, je crois, quand je l’aurai luë. Le VI. Tome des autres Sermons de Tillotson est
sous presse. On a reçû à Amsterdam la nouvelle Edition des S.t Cypriens par
feu Mr Baluze; vous l’aurez sans doute à Genève. Il paroît une nouvelle Edition
<2r>de Lucain, publiées par Oudendorp, Recteur du Collège de Haerlem; elle sera suivie
bien tôt d’une autre de Cortius, imprimée à Leipzig, & que l’on n’a voulu mettre
au jour qu’après que celle de Hollande auroit paru, pour qu’elle ne s’enrichît aux
dépens de la prémiére. La traduction de Chillingworth est sous presse; il y en a
deux volumes d’imprimez, & le tout en fera quatre, in 12. On imprime les
Lettres du P. Simon, en 4. volumes aussi in 12Mr des Maizeaux a soin de cette
Edition, à laquelle apparemment il joindra des Notes. Les Libraires n’ont pas plûtôt
vû les 2. permiers volumes du Polybe, avec les Commentaires du Chevalier
Follard, qu’ils seront disposez à les rimprimer, en plus petite forme, à ce que je
crois. On va imprimer une nouvelle Edition de l’Essai de Mr Locke, sur
l’Entendement Humain
, que Mr Coste avoit toute prête depuis long tems. On
a publié à Leide une nouvelle Edition d’un Livre curieux intitulé, Triboniani
errores de Parricidio
, dont l’Auteur, Espagnol de naissance, étoit Conseiller à Milan,
& se nomme J. François Ramoz. Quoi que le Livre eût été imprimé en 1659, il
étoit absolument inconnu, aussi bien que son Auteur, & en Allemagne, & en Hollande.
Peut-être étoit-il plus connu à Genéve. Il paroît qu’il avoit publié un autre
Ouvrage, Analecta ad Legem Rhodiam. Je ne sai si on le connoîtroit à Genéve, où
l’on a plus de rélations avec l’Italie. Ce Livre apparemment seroit aussi digne, que
l’autre, d’être vendu plus commun. A propos de nouvelles literaires, il me semble
avoir vû quelque part, dans un Journal dont je ne me souviens point, qu’on 1 mot dommage
imprimoit, ou qu’on avoit imprimé déja chez vous un quatriéme Tome du Breviarum
Pontificum Romanum
, d’un troisième P. Pagi.

Mon Traité de la Morale des Péres est presque achevé d’imprimer. Je vous le
ferai envoier par la prémiére occasion. Dans le tems qu’il tendoit à sa fin, il m’est tombé
entre les mains un Livre de Mr Buddeus, que vous avez peut-être vû, Isagoge Hist. Theol.
in universam Theol. & Singulas ejus partes. Comme il y a donné son Jugement sur le Livre
du P. Ceillier, comparé avec l’Article de ma Préface, sur les Péres; j’ai été à tems de lui
répondre dans ma Préface, que cela a grossi de trois feuilles d’impressions. Ce Professeur
étoit plus raisonnable, lors qu’il étoit Professeur en Philosophie à Hall. Dans cette vaste
Collection, il parle bien des Disputes sur le Syncrétisme de Calixte; mais il ne dit pas
un mot des derniéres tentatives qu’on a faites pour la réunion des deux Communions.
Je ne m’en étonne pas; car Mr Voget, nôtre nouveau Collégue, m’a assuré, que Mr
Buddeus aiant été consulté sur cette grande affaire par un Prince d’Allemagne, avoit
répondu, qu’on devoit demeurer separez.

J’assûre de mes respects Madame Turrettin: ma femme vous salue affectueusement
l’un & l’autre. Elle est toûjours d’une santé fort délicate; quoi qu’elle aît resisté au
torrent des fiévres épidémiques. Je fais toûjours bien des vœux pour vôtre
1 mot biffure santé, comme étant avec tout le dévouement & la sincérité possibles,
Monsieur, vôtre très-humble & très-obéïssant serviteur,

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin Professeur en
Theologie & en Histoire Ecclésiastique

Fr. 1 mot écritureGenéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 29 février 1728, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 257-258. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1005/, version du 10.02.2024.
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