Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Louis Bourguet, Lausanne, 19 janvier 1717

Monsieur,

J’ai reçu en son tems le beau Manuscrit, que vous m’avez fait la grace
de m'envoyer, & je vous demande mille pardons de ce que je ne vous en ai
pas encore remercié. Ce n’a pas été faute de bonne volonté: mais, depuis que
je l'ai reçu, il s’est trouvé que, tous les jours de poste, j’ai eu, outre mes
leçons mélancoliques, diverses distractions, qui m’ont ou ôté le tems, ou fait oublier, de
vous écrire. Par surcroît, vôtre lettre, que l’on apporta chez moi Vendredi passé , ne me
fut remise que le Samedi, c’est-à-dire, après lors qu’il n’étoit plus tems de vous écrire
par cette poste. Ma femme n’aiant alors personne pour m’envoier cette lettre dans
mon Cabinet, oublia de me la donner, quand j’en sortis pour aller dîner, & oublia de
plus jusqu’au lendemain qu’elle l’eût reçuë. Sans cela, je n’aurois pas manqué de
vous tirer de peine. Au reste, Monsieur, je conserverai avec soin le Manuscrit,
comme me venant de vous, & je me ferai un plaisir d’apprendre à tous ceux qui
le verront, de qui je le tiens. Il est fort curieux, & j’aurai peut-être occasion
d’en faire usage: mais pour cet effet, je ne refuse pas les éclaircissemens que vous
m’offrez sur certaines choses que je vois bien que je ne saurois déviner de moi-même.
Les Réglemens même, qui sont en Latin, contiennent quelquefois des termes & des
expressions, qu’on ne sauroit entendre sans avoir été, comme vous, à Venise, & sans
connoître bien la langue & les usages de ce païs. Par exemple, dans celui qui est
intitulé de Ludo taxillorum, il est défendu de jouer à libris decem supra parvorum;
je ne sai quelle monnoie on entend par là. Plus bas, il est 1 mot biffure laissé en la disposition
du Gouverneur de voir s’il n'y aura pas moien, en égard aux circonstances, d’adoucir la
peine de ceux qui auront joué à libris quinque infra; ce doivent être d’autres livres; &
je ne sai si on n’a pas mis là infra pour supra; car en parcourant quelques autres
Réglemens, j’ai remarqué quelques fautes de copiste, comme il ne peut manquer d’y
<1v> en avoir dans ces sortes d’Instructions, dont on est obligé de donner plusieurs Copies. Dans
un autre Réglement, qui suit, il est défendu proponi palia cum taxillis. Je ne
sai ce que c’est que ce palia, ou pallia, comme il y a au titre. Ce doit être quelque
sorte de prix. Quand je trouverai le tems de lire avec attention les autres
Réglemens, je suis sûr que j’aurai bien des questions à vous faire. C’est dommage,
que ceux du dernier Caier, qui semblent avoir été ajoûtez, soient écrits d’une autre
main, beaucoup moins nette, que celle qui a écrit le reste. C’est là que se trouve
la Loi sur les Naufrages, que je n’ai pû encore toute déchiffrer, avec le secours même
d’un Ami qui entend l’Italien.

Un gros rheume de cerveau que j’ai présentement, m’empêche de vous écrire plus au long; &
m’auroit même empêché de vous écrire aujourdhui, si je n’avois
cru qu’un plus long
silence ne vous inquiètât, & ne me mît mal dans vôtre esprit. Je ne finirai pas
néanmoins, sans faire des complimens à Mlle de Lor, & sans la remercier des vœux
qu’elle fait pour moi, dans une lettre à Mr 
Du clerc, à l’occasion de la nouvelle
année. Je la
prie de croire que j’en fais de très-ardens pourelle, aussi bien que
pour vous: mais je souhaitte qu’elle retranche celui qu’il lui a plû de
specifier, & qui consiste à me voir entrer en querelle avec quelcun dans le cours de
cette année. Je n’aime point les quérelles, elles ont toûjours quelque chose de
desagréable; & si je m’y plaisois tant soit peu, les occasions ne me manqueroient
pas. Les Journalistes de Trevoux m’en fourniroient une belle, à l’heure qu’il est;
mais quelque juste sujet & quelque beau champ qu’ils me donnent; j’y penserois
plus d’une fois, quand même ce seroient des gens animez d’un autre esprit, que celui
que tout le monde reconnoît dans les Jésuites; & j’ai resisté aux sollicitations de Mr

De Crouzas, & de quelques autres Amis, qui ont voulu me faire entrer en lice.

Je suis avec toute la considération possible

Monsieur

Vôtre très-humble &
très-obéissant serviteur

Barbeyrac

A Lausanne, ce 19 Janvier 1717.


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Bourguet
A Neufchatel


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Louis Bourguet, Lausanne, 19 janvier 1717, cote BPUN Fonds Louis Bourguet Ms 1266, n° 3. Selon la transcription établie par Meri Päivärinne pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/747/, version du 11.07.2016.
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