Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée XXXV. Lecture de la troisième dissertation de Schmauss sur l'origine et la nature de l'obligation morale et légale », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 11 janvier 1744, vol. 2, p. 37-41

XXXV Assemblée.

Du 11e Janvier 1744. Présens Messieurs DeBochat Lieutenant Bal=
lival, Seigneux Bourguemaistre, Polier Professeur, Seigneux Boursier, Ba=
ron DeCaussade, DuLignon, DeCheseaux Conseiller, D’Apples Professeur, De
St. Germain Conseiller.

Messieurs. Avantque de vous faire le précis des réflèxions queDiscours de Monsieur le Comte.
vous fites Samedi passé, je vais vous rappeller en peu de mots le contenu
de la Dissertation qui y a donné lieu.

Mr Schmauss s’y proposoit de nous donner une idée de la Raison
de l’Homme, et voici ce qu’il entend par là. La Raison, dit-il, est la connois=
sance aquise de chaque homme, elle est susceptible du vrai et du faux, pour
lequel elle a un égal attachement; ce qu’il prétend prouver en disant, que
dans différens Païs, et dans le même Païs, mais dans des tems différens les
Hommes regardent comme vrai, ce que dans d’autres Païs ou dans d’au=
tres tems on regarde comme faux. Il conclud de là que la Raison n’est
nullement propre à établir des principes pour le Droit naturel; parce
qu’elle est soumise à la volonté, ou plutot au caprice de chacun, et qu’el=
le ne s’embarrasse que de ce qui lui est utile; en quoi encor elle se
trompe souvent, en s’éloignant des véritables instincts de l’Homme,
qui sont les seuls moiens de le conduire au bonheur.

/p. 38/ Vous êtes tous convenus, Messieurs, de regarder cette definition com=
me mauvaise, que l’Auteur pose des principes faux, et qui conduisent à
de dangéreuses conséquences, et qu’il confond la Raison avec l’exercice
de la Raison. La Raison, m’avez vous dit, est cette Faculté ou ces dispositi=
ons que Dieu a mis dans notre Ame pour discerner le juste d’avec l’injuste,
le vrai d’avec le faux; que la Raison est le guide le plus sur pour nous con=
duire. Qu’elle se détermine toujours pour le vrai réel ou apparent, et
jamais pour le faux: Que pour l’ordinaire elle dirige la volonté. Que
c’est à l’entendement à montrer la vérité, mais que la Raison n’y aquies=
ce qu’autant que l’entendement lui fait envisager chaque proposition com=
me vraie. Que c’est enfin dans cet accord de l’entendement et de la volonté
que consiste le bonheur de l’homme, et non pas dans la dépendance ou
la Raison peut être des instincts de l’homme.

Monsieur le Lieutenant Ballival vous nous avez fait envisagera Mr le Lieutenant Ballival DeBochat
les sentimens de l’Auteur dans un autre point de vue. Vous nous avez
dit que sans doute l’Auteur n’a voulu parler que de la Raison telle
que les Hommes l’exercent, et non telle qu’elle est en elle même. Que
chaque homme prétend que sa Raison est préférable à celle de
tout autre, quoique souvent il ne suive que ses préjugés. Qu’ainsi
chacun prenant pour Raison ce qui ne l’est pas et voulant s’en ser=
vir pour établir des principes du Droit naturel, ces principes ne sau=
roient être fixes; et que l’Auteur a bien fait de recourir à quelque
chose de plus solide.

La Dissertation que nous allons lire aujourdhui nous mettra
un peu plus au fait des sentimens de Mr Schmauss.

On a donc lu la IIIe Dissertation de Mr Schmauss qui traitte DeLa 3e Dissertation de Mr Schmauss sur l'origine et la nature de l'obligation morale et legale a fait le sujet de la conférence.
l’origine & de la nature de l’obligation morale et legale: Je n’en fe=
rai point d’Abregé non plus que des précédentes & cela par les mê=
mes raisons, que j’ai déja indiquées.

Sentiment de Mr le Professeur Polier.Monsieur le Professeur Polier croit, comme Mr Thomasius, que l’es=
perance nait toujours avec les premiers mouvemens de nos affections, et
que la crainte ne vient que de ce que le mal s’est introduit dans le
Monde par la faute de l’homme. L’Auteur met la crainte pour le plus
fort motif, il croit au contraire que l’espérance est le prémier et le plus
fort; car si l’homme n’eut pas péché il n’y auroit point eu de crainte;
L’Auteur dans l’article 8e établit que Dieu a voulu le bien de l’homme
et le plus grand bien: l’espérance et la crainte ne sont donc pas la
source des obligations qui sont imposées à l’homme, mais comme des
moiens par lesquels nous devons regarder comme des Loix proprement
ainsi nommées tout ce que les Loix naturelles nous prescrivent. Ce
/p. 39/ sont deux dispositions que Dieu a mis dans l’homme pour tendre à ce
qui nous est nécessaire, et pour mettre un frein à nos passions qui nous
porteroient sans cela à ce qui nous est contraire. Le fondement de l’obli=
gation est dans le Legislateur qui nous a donné cette crainte; ou dans les
Loix qu’il nous a donné. L’Auteur dit dans le dernier article que selon
le Droit naturel les traittés n’ont aucune force, qu’il n’y a aucune obliga=
tion à les remplir que celle qui vient de la crainte qu’on a de la ven=
geance de celui avec qui on a traitté, ou de la crainte de perdre quelque
avantage que l’observation du traitté nous peut procurer. Monsieur Po=
lier a remarqué là dessus que les traittés ont toujours une force obliga=
toire, si nous les avons fait selon la Raison et selon la volonté de Dieu.
Le desir de se conformer à la volonté de Dieu qui est un Etre tout parfait,
et qui de plus est notre Maitre, de qui notre bonheur absolu dépend, est
un motif assez fort pour nous les faire observer. Il auroit souhaitté que
l’Auteur en parlant de la crainte eût parlé de l’influence que des maux
à venir, mais très grands doivent avoir, et de l’impression qu’ils devroient
et qu’ils pourroient faire sur l’homme. A la vérité les Hommes n’y font
pas attention, mais ce que les Hommes font n’est pas la régle de nos De=
voirs.

Monsieur le Bourguemaistre Seigneux trouve que l’Auteur enSentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux
prenant la crainte pour fondement de nos Devoirs fait peu d’honneur
à la Nature humaine. Plusieurs personnes se conduisent par d’autres mo=
tifs; sans les indiquer tous, je me bornerai à dire que chacun doit refléchir
sur la réciprocité de la conduite des autres envers nous, suivant que nous
violerons ou que nous observerons les Loix envers eux, que cela est un motif assez
fort pour nous déterminer à ne rien faire que ce que nous voudrions
qu’on nous fit, et à nous porter à remplir à l’égard des autres tous les devoirs
de la Justice, de même qu’à observer les Traités que nous aurons contractés
avec eux.

Monsieur le Conseiller DeCheseaux pense qu’il faudroit avoir lus toutSentiment de Mr le Conseiller DeCheseaux.
le Livre pour le bien comprendre avant que de juger de ses principes. Car
il peut poser dans la suite d’autres principes qui modifieront ceux-ci, ou en
tirer des conséquences différentes de celles que nous apercevons à présent que
nous n’avons lu qu’une partie de l’Ouvrage. Il me paroit pourtant que l’Au=
teur a mal défini l’obligation, en disant que ce n’est que ce n’est que l’es=
pérance de nous procurer quelque avantage, ou d’éloigner de nous un
mal qui nous détermine à agir. L’obligation vient de la crainte de
la peine, ou de l’espérance de quelque bien, il est vrai, mais ce n’est pas
cela seul qui la produit; elle vient encor de la connoissance de son Devoir,
et des Loix, et de la connoissance que nous avons du Législateur qui nous
/p. 40/ a donné ces Loix et de son autorité sur nous, de la connoissance que nous
avons de sa Sagesse et de sa Sainteté.

Sentiment de Mr le Conseiller DeSt Germain.Monsieur le Conseiller De St Germain a dit que toute obligation sup=
pose un Supérieur; que si des Peuples barbares, les Tartares, par exemple, sen=
tent l’obligation de tenir un Traité, ce ne peut être que parce qu’ils reconnois=
sent un Supérieur. Les Payens les observoient, mais ils reconnoissoient aussi
des Dieux desquels ils dépendoient. Pour décider si l’espérance ou la crainte
doivent servir de fondement à l’obligation, ou seulement la crainte, il faut
définir la crainte et l’espérance. Peut être se trouveroient elles n’être
qu’une seule et même chose.

Il faudroit, suivant le Professeur D’Apples, que l’AuteurSentiment de Mr le Professeur D'Apples.
eut plus dévelopé le sentiment qu’on a, ou qu’on doit avoir de l’obligation.
Il établit l’espérance et la crainte conjointement pour fondement de l’o=
bligation: mais il se trompe. Le sentiment de l’obligation, ou ce qui fait
que nous voulons soumettre notre volonté à la volonté d’autrui c’est l’espé=
rance ou la crainte, mais le fondement de cette obligation, ou celui qui a droit
de nous proposer des recompenses, et de nous imposer des peines pour nous
porter à exécuter ses ordres, c’est un Supérieur.

La crainte, selon Monsieur l’Assesseur Seigneux, est le prémier degréSentiment de Mr l'Assesseur Seigneux, et de Monsieur DuLignon.
qui nous pousse, parce que le prémier degré du bien, c’est la privation du mal;
cependant il ne sépare pas ces deux choses, parcequ’elles agissent toutes deux
sur nous, et qu’il y a des cas, ou une seule peut faire impression sur no=
tre Ame. La crainte est le vrai principe de la Moralité. Monsieur
DuLignon a appuié le sentiment de Monsieur L’Assesseur.

Monsieur le Baron DeCaussade a dit que la crainte retient unSentiment de Mr le Baron DeCaussade.
plus grand nombre de personnes à ne pas manquer à leur devoir que
l’espérance. Toute Personne qui craint une Divinité doit tenir les Traités
qu’il a fait.

L’Auteur en examinant quelle des deux l’espérance ou la crainte,Sentiment de Mr le Boursier Seigneux.
doivent agir plus fortement sur nous, n’agite, a dit Monsieur le Boursier
Seigneux qu’une dispute de mots. L’espérance et la crainte sont les mo=
biles de nos actions; mais cela est différent du principe obligatoire. Il ne
remonte pas au vrai principe, qui consiste à savoir, s’il y a quelcun qui
ait droit de me demander raison de ma conduite, et de m’engager à la
conformer à sa volonté. J’appelle celui qui a ce droit un Supérieur, par
ou j’entens un Supérieur absolument Supérieur. S’il est tel, il aura donc
un Droit parfait sur moi; et c’est ce Droit qui m’oblige à me soumettre.

Sentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.Monsieur le Lieutenant Ballival DeBochat a dit que l’espéran=
ce et la crainte sont généralement parlant des motifs suffisans pour
déterminer les Hommes à agir, puisque la plupart des Hommes n’en
/p. 41/ reconnoissent pas d’autre: il n’adopte cependant pas les sentimens de l’Auteur.
Tous ceux qui ont traité la matière de l’obligation ne l’ont pas satisfait. On
a adopté jusqu’à Thomasius la définition de Tribonien, Obligatio est vinculum
Juris
, mais cette définition ne regarde que l’état civil. Thomasius y a pas sup=
pléé. Ce Jurisconsulte a critiqué les définitions des autres, et il convient
en même tems qu’il est très difficile de définir l’obligation. Il la distingue
en obligation interne et obligation externe; l’obligation interne est selon
lui la persuasion du bien et du mal qui résultera infailliblement de nos
actions sans que personne nous l’inflige. L’obligation externe, c’est le bien
ou le mal qui nous sera infligé dailleurs. Monsr Schmauss n’a pas déter=
miné ce que c’est que la moralité des actions: cette moralité c’est la con=
venance ou la disconvenance des actions avec une certaine règle qui
les fait apeller bonnes ou mauvaises.

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Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée XXXV. Lecture de la troisième dissertation de Schmauss sur l'origine et la nature de l'obligation morale et légale », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 11 janvier 1744, vol. 2, p. 37-41, cote BCUL 2S 1386/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/543/, version du 24.06.2013.
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