Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée LXX. Sur la prudence (3e partie) », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 21 novembre 1744, vol. 2, p. 356-364

LXX Assemblée

Du 21e 9bre 1744. Présens Messieurs DeBochat Lieu=
tenant Baillival, Seigneux Bourguemaistre, Polier Professeur,
Baron DeCaussade, DuLignon, D’Apples Professeur, Seigneux Bour=
sier, Seigneux Juge.

La Société a été interrompue pendant quelques semaines
à cause des vendanges.

Messieurs, Lorsque vous examinâtes la Question s’il fautDiscours de Monsieur le Comte.
reparer le tort fait à la réputation du Prochain par la medisan=
ce, & comment on peut le reparer, vous commençates par defi=
nir la médisance, & vous dites que c’est, tout discours, ou écrit,
ou signe même par lequel on fait connoitre les défauts d’au=
trui, connoissance qui porte ceux à qui on la donne à refu=
ser leur estime à ceux dont on leur a appris les défauts.

Vous trouvâtes ensuite que la médisance est condannable
par plusieurs raisons. 1° Par ce qu’elle va contre l’intérêt de
la Société en général: chaque individu est obligé de procurer
le bien de la Société; or on ne peut le faire qu’en procurant le
bien des Particuliers, et c’est ce bien et cet avantage que la me=
disance détruit.

2° Elle péche encor contre la Société, en ce qu’elle s’appro=
prie le droit de juger des défauts d’autrui, et de les exposer au
mépris, droit qui n’apartient à aucun Particulier, mais au Ma=
gistrat.

3° La médisance péche aussi contre l’humanité, en ce
qu’elle fait au Prochain un mal que nous ne voudrions pas qu’on
nous fit.

/p. 357/ Vous convintes unanimément, Messieurs, de la nécessité de la
reparation, avec cette différence pourtant, c’est que quelques uns de
vous établirent que l’offensé pouvoit exiger cette reparation, et
d’autres décidèrent qu’il ne le pouvoit pas; puisqu’il y avoit donné
lieu par les défauts qu’il avoit: qu’ainsi le médisant ne rendroit
compte qu’à Dieu du mal qu’il auroit fait.

Vous trouvâtes tous qu’il est très difficile de reparer le mal
qu’on a fait par la médisance. D’ou vous conclutes qu’on devoit
éviter avec un très grand soin de tomber dans un péché si
contraire au bonheur de la Société, et qui doit laisser dans l’ame
de celui qui l’a commis des remords continuels par la difficulté de
le reparer, & par l’impossibilité même ou l’on est très souvent
d’en faire une reparation complette.

Après cela, Messieurs, vous établites les régles suivantes. C’est
que lorsque par des médisances on vient à faire perdre à quel=
cun des biens dont il jouïssoit, il falloit l’en dédommager en en=
tier. Que si la médisance tomboit sur la réputation seulement,
il falloit par ses discours, par ses manières & par toutes ses acti=
ons travailler à effacer l’impression que la médisance avoit fait;
que cela ne se pouvoit faire qu’à la longue, mais qu’il falloit
y travailler sans délai, dès qu’on s’étoit aperçu de sa médisance,
crainte que le mal ne se répandit de plus en plus. Vous avez
aussi condanné la voie des duels pour faire cette reparation,
comme inutile, & comme contraire aux principes du Christianisme.

Enfin, Messieurs, vous avez donné ce conseil à ceux qui
sont exposés à la medisance, c’est de mépriser ce qu’on dit d’eux,
de ne point s’irriter, et de travailler à corriger les défauts qu’on
leur a reproché,

Convitia spreta exolescunt, si irascare manent.

Après que Monsieur le Comte a fini sa recapitulation, Monsieur
le Boursier Seigneux a lu à l’Assemblée un 3e Essai sur la Prudence.

Monsieur le Comte & MessieursIII Essai sur la Prudence par Mr le Boursier Seigneux.

Après avoir passé en revue, quoiqu’imparfaitement et d’un
œil rapide, les trois grands objets auxquels la Prudence s’applique;
Dieu, le Prochain, et nous mêmes, pour régler sur la saine
et judicieuse connoissance que nous en aurons, nos sentimens, et
notre conduite, je viens au grand mobile de nos Passions, je veux
dire les Biens et les Maux.

La Prudence ne doit pas seulement régler nos idées, elle doit
sur tout diriger nos sentimens, et après nous avoir présenté ce que
/p. 358/ nous devons connoitre, elle nous offre ce que nous devons aimer.

L’idée juste des biens réglera nos empressemens; l’idée juste des maux
reglera et moderera nos terreurs.

En se méprenant sur la nature des biens, on quitte le vrai pour le
chimérique, on se remplit de vains désirs, on consume inutilement ses
forces.

En se trompant sur la nature des maux, on est obsédé de vaines
craintes, qui semblables aux Fantômes troublent notre Raison et dé=
rangent tous nos mouvemens. Souvent elles nous détournent de ce
qui pourroit nous rendre heureux, et nous poussent aussi fréquem=
ment à des actions qui nous rendent plus misérables. Pour s’en
convaincre on n’a qu’à se rappeller tous les crimes causés par la
crainte de la pauvreté, et peut être des crimes encor plus grands que
cause tous les jours l’amour de la Gloire.

Parcourrons tout ce que les Hommes appellent des biens & des
maux, pour sentir l’usage et les offices admirables que nous rend à
cet égard la Prudence.

S’agit-il des Plaisir, elle les régle sur les principes de l’honnête; des 
Dignités, elle en modère l’ardeur par le sentiment des bienseances; des 
Richesses, elle en reprime l’avidité par les préceptes respectables de la
Justice. Entrons dans quelque détail.

La Prudence nous conseille les Plaisirs, comme d’honnêtes dé=
lassemens après d’utiles travaux; les Honneurs, comme un moien de
faire briller la Vertu, en la mettant dans son plus beau jour; les Biens
comme le correctif des maux, et l’un des moiens de gagner les cœurs.

La Prudence ne veut point de joie sans sérénité, point de
biens pour la seule ostentation, point d’honneurs sujets aux remords.
Elle préfére les plaisirs durables et modérés aux plaisirs trop vifs &
trop courts. Elle fait craindre les Postes élevés qui exposent aux tenta=
tions violentes et à l’envie. Elle fait renoncer de bonne grace à ceux
qui passent nos forces.

A tous ces égards la Prudence éloigne le Sage de ce qui l’expose
à de grandes agitations, elle lui fait préférer l’utile à l’agréable, le
nécessaire à l’utile, le sur au périlleux, et au casuel; le peu accom=
pagné de calme à l’opulence pleine de trouble, souvent même une
douce obscurité à une gloire à laquelle il est si difficile d’atteindre.

Elle pense également à aquerir ce qui lui manque et à con=
server ce qu’elle possède, et parta tueri; Il n’est pas moins beau, ni
moins prudent de soutenir une bonne réputation, un bien medio=
cre, une humeur égale, un esprit libre, que d’avoir se procurer
/p. 359/ de tels avantages.

La Prudence nous fait préférer les biens & le bon état de
l’ame aux agrémens de l’esprit, les avantages de l’esprit à ceux du
corps, et entre les qualités de l’esprit le sens & la force de la Raison,
au feu et au brillant si sujet à nous égarer.

Elle préfére de même l’approbation à la flatterie, & sur tout la
satisfaction d’une ame pure et d’une conscience éclairée à tous les
plaisirs, à tous les biens & à toute la gloire du monde, dès qu’elle
pourroit nous corrompre.

Pour ce qui est des Maux, la vraie Prudence regardera les
vices comme les plus grands, et la honte qu’ils donnent comme la
seule que l’on dût craindre; la pauvreté effraiera moins que
l’injustice.

La Prudence fera craindre sur tout les maux qu’on s’attire,
et presque également ceux que l’on attire aux autres. Elle pré=
munira l’esprit contre les maux à venir par le sentiment souvent
retracé de la destination finale de l’homme. Elle fera supporter les
maux présens par la comparaison qu’elle en fait avec de plus
grands. Elle usera pour les adoucir de tous les tempéramens que la
Providence accorde, et nous remettra entre ses bras avec une plei=
ne confiance.

La Prudence ne veut pas seulement que nous aïons de 
saines idées, et des sentimens bien réglés; elle demande encor des 
principes fixes de conduite. Sans cela on est incapable de for=
mer un plan suivi pour parvenir à un but digne d’être recherché.

C’est déja beaucoup de savoir ce qui mérite de l’être; mais
comme l’on ne parvient guères tout d’un coup à ce qu’on desire,
& que l’on n’écarte pas sans peine ce qui est nuisible, il faut ab=
solument pour y réussir un plan fixe de conduite.

Ce plan consiste

1° A bien choisir l’objet principal de son attachement et de
ses soins. Ce qui comprend ces divers idées

(a) Avoir un but bien déterminé.
(b) Avoir un but principal auquel les autres soient subordonnés,
& dont aucun autre ne nous distraise jamais
(c) Un but judicieux et bien choisi rélativement à notre état,
considéré sous toutes ses faces.

2° Déterminer les moiens les plus propres à nous faire obte=
nir ce but, le plutot qu’il est possible.

3° User de ces moiens sans délai, avec la persévérance et les
/p. 360/ ménagemens convenables.

L’Imprudence contraire aux régles que je viens de poser est
de divers genres.

N’avoir point de but est le comble de la folie; c’est renoncer à la1. Imprudence
qualité d’être raisonnable, qui doit toujours se proposer quelque chose
de conforme à sa nature. Vivre à l’avanture et d’un jour à l’autre,
sans avoir le courage de rien entreprendre, c’est la conduite de l’in=
dolent et du paresseux; c’est le portrait d’une foule de gens qui crou=
pissent toute leur vie dans une honteuse inaction, souvent même
avec des talens qui devroient les en tirer.

Il n’est pas moins imprudent de flotter toujours entre des objets2. Imprud.
et des gouts qu’on ne peut concilier, et que l’on choisit, pour ainsi dire,
tour à tour. Tel est celui qui voudroit accumuler et briller par sa dé=
pense, qui aime l’honneur & qui voudroit pourtant ceder au plaisir.

Une autre imprudence d’une conséquence plus dangereuse est3. Imprud.
de choisir à la vérité, mais de choisir mal, en préférant, comme il
n’arrive que trop souvent, ce qui doit faire notre malheur. Tel est
le voluptueux qui sacrifie, sans hésiter, ou du moins sans réfléchir,
son honneur & sa fortune à un plaisir de courte durée.

Enfin une imprudence très ordinaire est de choisir bien, mais4. Imprud.
de suivre mollement le parti que l’on avoit pris dabord murement
et à propos. On formeroit une classe bien nombreuse de ceux qui
conçoivent bien et qui exécutent mal; qui entreprennent avec feu,
et qui tombent dabord dans le refroidissement; de ceux que la nou=
veauté débauche ou que les moindres difficultés decouragent. Ce
que j’ai dit s’appliquera également et au but & aux moiens.

Ces divers genres d’imprudence feront aisément sentir combien
il est prudent d’avoir un but, de le choisir avec discernement, de se
le proposer de bonne heure et de le suivre sans relache.

Si la Prudence demande des idées déterminées sur les objets, &
des principes fixes de conduite, elle ne les applique pas toujours éga=
lement & de la même façon dans tous les cas.

Sa méthode varie avec les tems, les lieux & les personnes.

Pour le tems, elle nous fait agir tout differemment.

1° La Prudence s’instruit par le passé, se prémunit contre le mal
à venir, elle fait sa principale étude du présent.

2° Lorsqu’il s’agit de mettre le présent & l’avenir en balance, (arti=
cle très délicat & qui se présente fréquemment,) elle pése et compare
le prix, la durée & la certitude.

3° A durée égale, elle préfére le meilleur; à prix egal elle ne se
/p. 361/ livre point à la nouveauté.

4° A certitude égale, elle préfére un avenir d’un grand prix, à un
bien présent qui lui seroit très inférieur. Elle choisit le plus estimable et
de la plus longue durée.

5° A certitude inégale, elle préfére le bien présent quoique médio=
cre, mais assuré, à un bien à venir plus considérable, mais plus in=
certain. Elle préfére bien plus encor à une perspective incertaine
quoique très flateuse.

6° Elle n’hésite point à préférer un bien certain & d’une durée im=
mense, quelqu’éloigné qu’il puisse être, à un bien présent & de très
courte durée.

Pour le Tems 1° la Prudence regrette souvent le passé, profite
soigneusement du présent & compte peu sur l’avenir.

2° Elle ne laisse pas échaper des momens heureux et souvent
uniques. Elle nous apprend qu’il est des occasions qui ne se recou=
vrent plus.

3° Elle ne renvoie jamais au lendemain, ce qu’elle peut fai=
re aujourdhui. Elle ne fait point dans un tems, ce qu’elle devroit
faire dans l’autre. C’est elle qui dicte au Sage qu’il est un tems
pour semer, et un autre pour receuillir. Que chaque chose a sa
saison & son période, après lequel il faut en perdre l’idée.

4° Elle sait différer de parler ou d’agir, pour parler et pour agir
mieux. Elle n’ignore pas qu’il faut penser avant que de parler, &
déliberer avantque d’agir.

5° Elle se proportionne au gout de son tems, sans vouloir tiran=
niser les autres par un gout qui a vieilli.

6° Elle meurit & se perfectionne par le tems, en mettant éga=
lement à profit et les succès & les fautes des autres hommes.

Les divers âges de la vie considérés comme des portions & des
périodes d’un tems assez court, exercent aussi différemment la
Prudence.

On l’admire toujours dans la Jeunesse, ou l’on n’a pas droit
de l’attendre, moins encor de l’exiger à la rigueur: on n’en deman=
de à cet âge qu’à proportion de l’éducation qu’on a reçu & du
naturel qu’on a en partage. La Jeunesse en manque-t-elle?
C’est à la prudence des autres à être son guide.

En attendant qu’elle y parvienne, une modeste défiance en
tiendra la place; la retenue et la modestie seront en ce cas, le
prélude d’une belle vie et comme l’aurore d’un très beau jour.

Dans l’âge mur, il n’y a pas de tems à perdre; la Prudence
/p. 362/ se hâte de l’emploier, et ne renvoie point à la vieillesse, ni le bien qu’elle
peut faire, ni les mesures qu’elle doit prendre.

Dans la Vieillesse la Prudence devroit être consommée, autant
que peut le permettre le génie & le caractère: l’imprudence pardonna=
ble à la Jeunesse, supportable en certains cas dans l’age mûr, seroit
une tache dans l’âge avancé.

La Vieillesse devroit faire peu de plans, parcequ’elle devroit les
avoir fait: elle doit seulement les perfectionner et en jouïr.

L’Enfance devroit penser à son ignorance pour l’éclairer; la 
Jeunesse à ses passions, pour les vaincre; l’âge mûr à ses devoirs; la
Vieillesse à son repos & à sa fin.

La Jeunesse fait les provisions, l’âge viril les emploie, et la
Vieillesse se couronne du fruit de ses bonnes œuvres.

La Prudence fait sentir les bienséances de chaque Age; elle
démèle ce que chaque âge permet, ce qu’il exige, ce qu’il tolère; ce
que chacun doit exiger ou supporter dans l’âge des autres.

Chaque âge perfectionneroit celui qui le précède, si les régles
que j’indique étoient observées.

Les Enfans sont la pépinière de l’Etat, la Jeunesse en est la
force, les Hommes murs en sont les Agens, et les Vieillards le con=
seil. Troublez cet ordre, la Prudence politique est bouleversée.

Le Tems est la chose du monde dont la Prudence est la meil=
leure oeconome, et qu’elle ne sauroit presque se résoudre à perdre,
sachant à quel but il est donné, et que c’est le seul bien qu’on
ne rachette jamais.

Les Personnes avec lesquelles on a à vivre et à traitter va=
rient extrémement les régles de la Prudence, ou du moins l’appli=
cation que l’on en doit faire. Avec une mesure égale pour tous,
dans tout ce qui demande de la vérité & de la droiture, elle varie
ses procédés selon l’âge, le génie, le caractère et l’humeur même
de ceux qu’elle se propose. Elle sait que presque chaque individu a
son bon côté, son anse, son tour d’esprit, son gout dominant, ses
vertus, ses talens et ses foiblesses. Elle cherche à découvrir tout ce
qu’il lui importe d’en connoitre pour se conduire en conséquence.
La Prudence ne sauroit permettre d’en user avec les personnes sages,
comme avec celles qui ont de grands défauts, ou de violentes passions.
Elle veut même (sans blesser la charité) que dans le commerce, ou
les négotiations avec des personnes inconnues, nous supposions des
passions, et que nous agissions avec défiance, ou, si l’on aime mieux,
avec retenue, et avec reserve, ce qui ne sauroit pourtant venir que
/p. 363/ de la défiance qu’on dit être la mére de la sureté.

La justice de cette défiance est fondée sur ce que le plus grand
nombre la mérite. On ne sauroit la dire offensante, vû qu’elle a la
généralité pour objet, et non tel ou tel individu en particulier, si ce
n’est entant qu’il fait partie de cette généralité.

Elle n’est point offensante, en ce qu’elle ne prononce rien, qu’elle
n’ote rien, et qu’elle laisse libre champ au retour: Elle ne fait
tort que dans le cas ou on la témoigne, ce qui est alors une injus=
tice et une imprudence. Contenue dans ses bornes elle suspend
simplement les témoignages de la confiance, jusques à ce que l’on
soit assuré de pouvoir la témoigner sans aucun péril.

Un des conseils que Monsieur le Boursier a donné, & que j’ai leSentiment de Mr le Lieutenant Baillival DeBochat.
mieux senti, a dit Monsieur le Lieutenant Baillival DeBochat, c’est
de ne rien entreprendre au dessus de ses forces, c’est ce qui fait que je n’a=
jouterai rien aux richesses que Monsieur le Boursier nous a étalé
aujourd’hui dans son Discours.

Sentiment de Mr le Juge Seigneux.Monsieur le Juge Seigneux a dit, qu’il croioit que la Pruden=
ce convient avec la Sagesse, que la Prudence n’est qu’une branche
de l’autre; que la Piéce qu’on a lu a traitté la Sagesse plutôt que
la Prudence, qu’il seroit cependant à propos de bien distinguer ces
deux vertus, & d’en donner des caractères bien distincts, afinqu’on pût
en avoir des idées nettes & précises.

Messieurs Seigneux Bourguemaistre, Baron DeCaussade, & 
Sentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux, de Mr le Baron DeCaussade & de Mr DuLignon.DuLignon ont tous trois trouvé que l’Auteur a confondu la Pruden=
ce avec la Sagesse, & qu’il a trop poussé l’idée qu’il a donné de
la vertu dont il s’étoit proposé de parler, en disant que c’est la pru=
dence qui régle nos idées, nos sentimens, nos action, qui nous deter=
mine à agir & qui règle la manière, le tems, & les occasions dans
lesquelles nous devons agir, ou n’agir pas.

La Prudence, c’est le Sentiment de Monsieur le ProfesseurSentiment de Mr le Professeur Polier.
Polier, a une liaison avec toutes les vertus morales & Chrétiennes;
ainsi en la considérant avec toutes ses rélations, on fait venir sous
le titre de la Prudence toutes les vertus. En entendant le Discours
je me suis demandé, cela ne convient-il pas avec d’autres vertus,
j’ai trouvé qu’oui, mais j’au vu aussi que la Prudence y a quel=
que part.

Une prémiére régle que Mr le Boursier a proposé, c’est de se
proposer un but; une 2e consiste à choisir les moiens: et une 3e
c’est de faire usage de ces moiens. J’aurois voulu qu’on s’en fut tenu
à ces régles générales, et qu’on en eût fait l’application à tous les cas.

Sentiment de Mr le Professeur D’Apples./p. 364/ J’ai toujours cru, a dit Monsieur le Professeur D’Apples, que l’i=
dée de la Prudence est inséparable de celle de la Sagesse, avec cette
différence cependant, que la Prudence est une Vertu pratique; et
la Sagesse une Vertu theorétique: la 1ere se raporte aux actions,
elle en règle le tems, la manière, le lieu, les occasions, elle indique
quand il faut agir, & quand il ne le faut pas: la 2e a plus par=
ticuliérement pour objet les délibérations, les résolutions, les plans
de vie. L’une a pour but un genre de vie; un but auquel il faut
tendre, & l’autre a pour but de choisir les moiens les plus propres pour
parvenir à ce but.

Les régles que Monsieur le Boursier a donné, de la Prudence
à l’égard des plaisirs, des honneurs, des richesses, celle qu’il a indi=
qué, comme dictées par la Prudence sur ce qui regarde la conduite
qu’il faut tenir dans les différens âges de la vie, à l’égard des person=
nes de tout caractère & de tout ordre, ces règles, dis-je, me paroissent
regarder des vertus particulières, dont la sagesse donne les regles et
que la Prudence exécute.

Sentiment de Mr le Baron DeCaussade.J’ai marqué dans la Société précédente que Monsieur le Ba=
ron DeCaussade n’avoit point dit son sentiment, c’est par mégarde
que je l’ai ainsi marqué: Voici les réflexions qu’il fit. L’idée qu’on
a donné de la médisance m’a paru juste, on a bien fait sentir la dif=
ficulté de reparer les maux que ce vice faisoit au prochain, et l’obli=
gation indispensable ou le médisant est de le faire; on a aussi indiqué
les moiens qu’il falloit emploier pour faire cette reparation. Ne pour=
roit-on pas encor donner un conseil à ceux que la médisance atta=
que, c’est de mépriser ce qu’on a dit d’eux, de ne paroitre pas y faire
attention, de ne point s’irriter contre ceux qui ont découvert leurs dé=
fauts, et de travailler cependant avec une grande application à corri=
ger les défauts qu’on leur a reproché; par là ils fermeront la bouche
aux médisans et ils feront tourner la médisance même à leur avan=
tage, et ils détruiront par leur bonne conduite la mauvaise impression
qu’on avoit donné d’eux.

Convitia spreta exolescunt, si irascare manent, dit 

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intégrale
Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée LXX. Sur la prudence (3e partie) », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 21 novembre 1744, vol. 2, p. 356-364, cote BCUL 2S 1386/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/525/, version du 24.06.2013.
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