Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée XIV. De l'influence de l'exemple », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 23 février 1743, vol. 1, p. 157-166

XIV. Assemblée.

Du 23e Fevrier 1743. Présens Messieurs Seigneux Bour=
guemaistre, Polier Recteur, Seigneux Boursier, Seigneux Assesseur,
D’Apples Professeur, DeCaussade, DuLignon, DeSt Germain, DeCheseaux
fils.

Monsieur le Comte et Messieurs, C’est une chose assez connueDiscours de Mr DeCheseaux le fils De l’influence de l’exemple.
de tout le monde, que l’Exemple a une très grande efficace, et qu’il
est une des prémières & des plus puissantes Causes des progrès et de la
persévérance de l’Homme dans le vice ou la Vertu. C’est à la force de
l’exemple que l’on doit attribuer l’attachement opiniâtre des prémiers
Juifs à l’idolatrie, et la fermeté admirable de cette foule prodigieuse
de Martyrs des prémiers Siècles du Christianisme. N’est-il donc pas
intéressant & très important de connoitre à quels principes et à
quels ressorts secrets l’exemple doit son influence; d’autant plus que
la connoissance de ces principes dévoilés, nous procure celle des moi=
ens de le tourner à notre avantage et d’en arrêter les effets lorsqu’
elle nous pourroit porter au mal?

Mais qu’est-ce que l’Exemple? C’est l’idée d’une certaine ma=
nière de penser, de se conduire, rendu sensible dans les actions des
Hommes. Ainsi l’Exemple renferme deux idées; l’idée d’une certaine
manière de penser, ou d’agir, considérée en elle même, et l’idée de
la personne qui nous la rend sensible. C’est à cette dernière idée
que l’exemple doit tout ce qu’il y a de particulier dans ses effets, et
c’est dans cette idée qu’il faut chercher toutes les causes de ses influences.

/p. 158/ La 1ere de ces Causes est le penchant que nous avons à l’imita=
tion: On en voit tous les jours des marques dans les enfans. Entendent-=
ils parler de guerres, de troupes? Ils formeront dabord entr’eux une Com=
pagnie, des Officiers. J’en pourrois citer plusieurs autres; De ce penchant
à imiter, fortifié par l’habitude, naissent quelquefois dans la suite, chez
les gens mêmes qui ont le cœur bien placé, des manières rudes et grossi=
ères, et chez des gens d’ailleurs raisonnables, des pratiques et des usages
très opposés à la Raison.

La 2de raison, C’est cette Disposition sociable qui nous fait prendre
plaisir à tout ce que nous faisons de concert avec les autres, par cela
seul que nous le faisons avec eux. C’est ainsi qu’un homme sobre, sage,
se laissera aller quelquefois à l’exemple des autres pour le jeu, pour la
débauche, uniquement parce qu’il prend ces plaisirs avec eux.

La 3e est tirée des qualités personnelles qui nous rendent les autres
estimables, ou méprisables, nous portent ensuitte à aimer ou à haïr, à
admirer, ou à mépriser la conduite dont ils nous donnent l’exemple.
C’est ainsi que les sentimens d’admiration que nous avons pour un grand
Génie, ou pour une personne de probité, font naitre en nous une vive
persuasion des sentimens et des opinions dont ils sont imbus, et de la
bonté de l’exemple qu’ils nous donnent. Les Qualités extérieures font
le plus souvent le même effet; les richesses, le rang, les titres excitent
l’admiration des hommes, et leur font estimer tout ce qu’ils remarquent
chez les personnes qui en sont revétues: Par ou l’on voit combien est
grande l’influence de l’exemple que donnent les Princes et les Grands.
De même les sentimens d’amitié pour un Ami, pour un Parent; les
seuls agrémens extérieurs du commerce d’un étranger nous font ai=
mer aussi tout ce qui a du rapport à lui; et par conséquent ses ma=
nières d’agir, de penser nous préviennent pour elles, et nous mettent
hors d’état d’en bien juger. C’est particulièrement cette Cause qui rend
si efficace l’exemple des Gens du monde, revêtus de tout ce qui peut les
rendre agréables au dehors; tandis que celui des personnes qui sont
moins attentives à plaire, et dont l’extérieur sera désagréable ne
fera aucune impression, quelque bon qu’il soit en lui même.

La 4e est le desir des louanges, et la crainte du mépris. Ce desir et
cette crainte sont les sentimens les plus violens qui puissent éprouver le
cœur de l’homme: Comme cela paroit par l’ambition qui doit toute sa
force à ces sentimens; Cette Cause nous porte à conformer notre conduite
aux opinions des personnes mêmes que nous méprisons, d’un inconnu,
de la multitude. C’est ce principe qui a continué la mode et la fureur
/p. 159/ des Duels; C’est ce principe qui a souvent porté des Princes clémens et
justes à suivre les idées et l’exemple de quelques Courtisans, et à se lais=
ser aller à des actes de cruauté et d’injustice. Cette 4e. Cause doit avoir
plus d’influence sur les Grands, parce qu’étant plus exposés au juge=
ment des Hommes, ils sont nécessités à faire plus d’attention sur ce
que l’on peut penser d’eux.

Une 5e Cause de cette influence, est l’intérêt de nos passions qui
nous rendant attentifs sur toutes les personnes qui peuvent les favori=
ser, et contribuer à notre fortune ou à nos plaisirs, nous dispose à suivre
et imiter leurs exemples bons et mauvais; parceque nous regardons cette
imitation et cette espèce de flatterie, comme un moïen de leur plaire et
de captiver leur bienveuillance.

La 6e est la paresse; Elle nous fait envisager de grandes difficul=
tés à quitter la route fraïée par l’exemple des autres, à nous en tracer
une nouvelle, qui semble nous mener en païs etranger: Elle nous ote en=
entierement cette activité d’esprit nécessaire pour decouvrir les defauts
de la conduite ordinaire des hommes, pour former des plans plus raison=
nables, et chercher les moïens de les bien exécuter.

Enfin les exemples tirent leur force du rapport qu’ils ont avec
nos inclinations et nos gouts. C’est la raison pour laquelle ceux qui flat=
tent nos passions, et par conséquent les mauvais exemples sont les plus
suivis.

Que si chacune de ces Causes peut seule donner à l’exemple une
grande influence, que ne fera pas leur union? Si les agrémens d’une
personne nous engagent si facilement à l’imiter; que sera-ce lorsque
l’intérêt de nos plaisirs nous obligera encor de rechercher sa faveur
par cette imitation? Aussi n’y a-t-il peut-être point d’exemple plus
efficace que ceux dans lesquels ces deux Causes se réunissent. On en
voit des effets bien sensibles dans l’attachement pour les femmes, qui
feront quelquefois par leurs exemples, ce dont tous les autres moïens
imaginables ne seroient pas venus à bout. C’est encor l’union de ces
deux Causes pareilles qui rend l’exemple des Grands si efficace sur leurs
Inférieurs; frappés d’un côté par l’éclat des richesses, des honneurs qui
les environnent, et flattés de l’autre par l’esperance de se procurer
leur faveur.

On a du s’appercevoir dans l’examen précédent que de toutes ces
Causes il n’en est aucune qui soit tirée de la nature meme des exem=
ples, et qui nous porte à suivre les bons plutot que les mauvais. Il
seroit donc dangereux de se laisser dominer par ces Causes aveugles
/p. 160/ et par conséquent important de chercher les moïens d’en arrêter ou
d’en diriger les influences.

Un de ces moïens seroit d’aquerir assez de fermeté pour résister à
l’impression que peut faire sur nous l’éclat des Qualités extérieures,
comme les richesses et le rang, lesquelles ne rendant point les hommes
meilleurs ne doivent nous donner aucune prévention pour leur exem=
ple. De faire de fréquentes réflexions sur le vrai prix des choses qui
nous mettant en état de surmonter ces impressions, nous rendent en
même tems sensibles au mérite des qualités intérieures, et au carac=
tère qui seul peut influer sur la nature de l’exemple.

Si le desir de plaire, ou la crainte du ridicule nous porte à suivre
l’exemple des autres, nous devons réfléchir que c’est quelquefois cette
imitation même qui nous fait manquer notre but, et qui nous rend
ridicules; au lieu qu’une conduite plus libre, et qui paroit fondée
uniquement sur la Raison, nous attire à la longue une véritable
estime. Il n’est en effet rien de constant que ce qui est fondé en Rai=
son: les Exemples varient tous les jours et se contredisent: la même
conduite blamée dans un lieu est louée dans un autre: les mêmes
opinions reçues dans un tems sont rejettées dans un autre. Ce qui
fait sentir le ridicule qu’il y auroit à prendre des guides aussi in=
certains.

Si nous sommes tentés de suivre l’exemple des Grands pour
établir notre fortune en nous les rendant favorables, nous devons
sentir que ces motifs sont bas et méprisables, et qu’il est indigne
d’un homme de les préférer à ceux de la Vertu & de l’Honneur, et
que souvent telle personne a plûtôt ruïné qu’établi sa fortune
en suivant des exemples vicieux.

Mais de ce que l’on ne doit pas céder au hazard et sans ré=
flexion à l’impression de l’exemple, on auroit tort de conclure qu’on
doive n’y céder jamais. C’est au contraire un heureux secours lors=
qu’il nous est donné en bien, & dont nous devons profiter pour nous affer=
mir dans la route de la vertu. Sans lui la Raison seule seroit souvent
insuffisante. L’Exemple, dis-je, des personnes vertueuses, si nous avons
le bonheur de vivre avec elles, nous doit être très précieux; Celui des
morts peut encor nous être utile: mais sur tous les autres le parfait
modèle de l’Etre admirable, à qui nous devons, et de qui nous atten=
dons nos plus grands biens, je veux dire de Jesus Christ. La Raison, la
reconnoissance, et les qualités personnelles, nous rendent son exemple in=
finiment aimable, et d’une force superieure à toute autre.

/p. 161/ Je finirai ce petit Discours par deux réflexions sur ceux que leur
naissance distinguée et leur rang apelle à donner l’exemple aux autres.

La 1ere dont j’ai déja touché quelque chose, c’est que leur exemple a une
force infinie, parcequ’il réunit plusieurs des circonstances que j’ai indiquées:
l’on a une plus grande opinion de leurs lumières et de leur Sagesse que de
celle des autres hommes; leur rang, leur faste en imposent; et tous ceux
qui les environnent ont intérêt de leur plaire en les imitant, et de
s’attirer par là leur bienveuillance et leur faveur.

La 2e C’est que plus ils sont élevés, plus ils sont en vue, et plus
leur exemple a d’imitateurs; ils donnent le ton à tous ceux qui les
environnent: Leurs Courtisans, leurs Ministres se moulent sur eux;
et peuvent insensiblement par là prendre leurs inclinations pour
la justice, la pureté des mœurs, la générosité, l’affabilité.

Heureux ceux qui étant élevés dans ces sentimens, et n’aïant
que de tels exemples devant les yeux, doivent être un jour en état
de n’en donner que de semblables.

L’Exemple est l’expression de la Vertu et du Vice, et du sentimentSentiment de Mr le Boursier Seigneux.
que chaque Homme a de son Devoir. Quand la conduite de quelcun
est telle qu’elle est en exemple, cela lui attire l’envie. Les hommes
ont aussi une sagacité naturelle qui leur fait découvrir la cause
de l’exemple; ils démèlent aisément si celui qui le leur donne agit
ou par des principes de Vertu, ou d’orgueil.

On imite plus aisément les mauvais exemples que les bons, par
ce que le cœur a de la pente au mal: D’ailleurs on est paresseux
et on ne veut point faire d’effort pour résister à ce mauvais pen=
chant, et aux passions auxquelles il est sujet.

Ceux qui sont dans un rang élevé, sont obligés à donner de
bons exemples; parce qu’étant exposés aux yeux du Public, leur
exemple, soit pour le bien, soit pour le mal, peut avoir une très
grande influence. Ils y sont, dis-je, obligés, parcequ’ils n’ont été
élevés à ce haut rang, par le suffrage des Peuples, que sous la
condition, qu’ils travailleroient au bonheur des Peuples qui se sou=
mettoient à eux, condition qu’ils ont acceptée, & qu’ils ont promis
d’exécuter. Les Princes héréditaires ne sont pas moins soumis à cette
condition que les Princes électifs; parce que l’autorité Souveraine
n’a été confiée à leurs Ancêtres, et ils n’ont reçu le Droit de la
transmettre par héritage à leurs enfans, que sous la condition
de travailler de tout leur pouvoir à procurer le bien de leurs Su=
jets, et qu’ils élèveroient leurs enfans dans ces dispositions. L’on ne
/p. 162/ sauroit s’imaginer que des Peuples que la Nature rend libres aient
voulu, ni veuillent jamais renoncer à leur liberté, ni se soumettre à
quelcun qu’en vue de l’avantage qui peut leur en revenir. Tous les
Princes sont donc obligés par des engagemens très forts à régler si
bien leur conduite, que leur exemple serve à établir la vertu parmi
leurs Sujets et à les détourner du vice.

Ils y sont encor obligés, parce que la Providence à qui ils doivent
leur élévation, ne les a placé dans ce haut rang, qu’afinqu’ils répon=
dissent à ses vues: Or les vues et les desseins de Dieu sont que tous
les Hommes s’appliquent à la Vertu, et qu’ils soïent heureux. Un
Prince donc manque à ce qu’il doit à Dieu, lorsque sa conduite
n’est pas tellement réglée qu’elle produise cet effet. Quoique tous
les Hommes soïent obligés de donner de bons exemples, cependant
les Princes seront plus condannables devant Dieu, parce qu’ils
ont receu plus de graces de Dieu, qui les engagent à plus de re=
connoissance, parce que leur exemple a plus d’influence que celui
d’aucune autre personne. Ainsi donc ils répondront devant Dieu
non seulement du mal qu’ils font, mais aussi du mal que leurs
Sujets feront à leur imitation.

J’en dis de même de tous les Magistrats, et des Pasteurs, qui n’ont
receu leurs emplois, ou de Dieu, ou du Prince, ou de la Société que
sous la condition d’y faire regner l’ordre, et la vertu, ils doivent donc
y contribuer par leurs exemples autant qu’ils le peuvent.

De plus les Princes et les Magistrats doivent faire observer les
Loix; or comment oseront-ils y exhorter les autres s’ils les négligent
eux mêmes? Comment oseront-ils infliger des peines à ceux qui
les violeront, si leur Conscience leur reproche qu’ils sont aussi
coupables que ceux qu’ils devroient punir? Comment persuaderont
ils que les Loix sont justes, si leurs actions y sont opposées? Ce ne
sera qu’en étant exacts observateurs des Loix, qu’en s’y soumettant
les prémiers, qu’ils engageront les Peuples à s’y soumettre, à leur
exemple. Ils sont obligés de le donner ce bon exemple pour remplir
leur devoir.

Je dois enfin remarquer qu’on trouve de bons exemples dans
toutes les conditions; on voit quelquefois chez les personnes du plus
bas rang des modèles de toutes sortes de vertus, modération, douceur
désintéressement, patience, courage, justice. Comme les personnes
de ce rang n’ont eu, ni le tems, ni les moïens de cultiver leur
esprit et d’aquerir des lumiéres, lors qu’elles aquiérent tant de
/p. 163/ vertus par elles mêmes & presque sans aucun secours étranger,
on doit en être d’autant plus frappé, qu’on avoit moins lieu de
s’y attendre.

Tous les hommes sont obligés à profiter des exemples, parce qu’aucunSentiment de Mr le Conseiller DeSt Germain.
n’est parvenu au point de n’avoir rien à aquerir: Tous les hommes
sont obligés à donner de bons exemples, parcequ’ils sont tous plus ou
moins en vue, mais ceux qui sont les plus exposés aux yeux du Pu=
blic y sont plus particuliérement obligés que les autres.

Ce qui fait que les exemples font plus d’impression que les pré=
ceptes, c’est qu’on regarde les vertus dont on n’a point d’exemple, com=
me impraticables: On est paresseux, et on ne veut pas se donner la
peine de faire les efforts nécessaires pour aquerir les vertus et les
lumiéres qui conviennent à notre nature. Mais on n’a plus de pré=
texte pour excuser sa paresse, lorsque nous voïons devant nos yeux
des personnes qui y parviennent.

Ne conviendroit-il pas d’oter absolument au Public la connois=
sance des mauvais exemples, de les retrancher des livres d’Histoire,
quoique les Auteurs des crimes aïent été punis, et que cette punition
soit racontée à la suite de ces mauvaises actions, plutot que de les
publier; afin de retenir les hommes dans l’innocence, plutot par
l’ignorance du crime, que par la crainte des peines qui y sont at=
tachées?

Les mauvais exemples que l’Histoire nous rapporte, ne sauroientContinuation du sentiment de Mr le Boursier Seigneux.
faire que de bonnes impressions, parce qu’ils sont représentés nuds, pour
ainsi dire, & qu’ils ne sont point accompagnés de plusieurs circonstances
qui pourroient diminuer l’horreur que le vice fait naitre dans le cœur
des hommes. Ceux que nous voïons se livrer au crime attirent souvent
notre attention, ou par leur rang, ou par leur naissance, ou par leur
vivacité, ou par quelque heureuse saillie d’esprit, ou quelquefois
même par un certain ridicule, et par bien d’autres causes; quel=
quefois par leurs sollicitations & leurs promesses, par leurs railleries;
tout cela occupe notre attention & balance dans notre ame l’im=
pression revoltante que le vice y fait naitre, & par là il peut ai=
sement nous seduire, à moins que nous ne soïons sur nos gardes.
Il n’en est pas de même des faits que l’histoire nous raconte; rien
ne nous frappe que ces faits que nous lisons, & dont nous apprenons
la triste catastrophe; ce qui fait que nous ne voïons le crime que
sous une face odieuse.

D’ailleurs l’Histoire nous rappellant des faits criminels nous par=
le aussi souvent de personnes qui rentrant en eux mêmes, et éfraiés
/p. 164/ des horreurs de leur conduite, s’en font corrigés: rien n’est plus propre
à faire des impressions salutaires que de pareils exemples; leur efficace
est admirable pour gagner le cœur, et pour le victorieux des passions
criminelles qui pourroient l’obseder.

L’influence de l’exemple vient de l’utilité que nous croïons qui nousSentiment de Mr l’Assesseur Seigneux.
reviendra de le suivre, utilité d’intéret, ou de réputation. D’où viennent
les Duels, sinon de la crainte que notre réputation ne souffre, & qu’on
ne nous regarde comme des lâches? C’est par un principe d’intérêt
qu’on voit des Courtisans imiter la conduite dérèglée des Princes pour
gagner leur amitié & s’attirer leurs faveurs.

Le mot d’exemple dans le sens que nous le prenons ici, signifie touteSentiment de Mr le Professeur D’Apples.
action ou parole qui peut être imitée par les autres. Il faut considerer
l’exemple ou par rapport à celui qui le donne, ou par rapport à celui
qui l’imite. Celui qui donne l’exemple, c. à d. celui qui fait quelque
action que ce soit qui peut être remarquée doit prendre à ses devoirs,
et ne rien faire qui y soit contraire. Celui qui cherche à imiter ne
doit pas le faire au hazard, mais il doit choisir ce qui est bon.

Je ne rapporterai que deux utilités des exemples. L’une que les
exemples sont une voïe abrégée d’apprendre ses Devoirs, Longum iter
per praecepta, breve per exempla
. L’autre c’est que l’exemple fait voir
que telle ou telle vertu qu’on recommande est praticable. Les hommes
dit Seneque, se laissent mieux conduire par les yeux que par les
oreilles.

On pourroit objecter que puisque les mauvais exemples sont si
fréquens dans le Monde, il n’étoit pas convenable que les Hommes
eussent un si grand penchant à l’imitation. Mais la réponse à cette
objection est facile. Ce penchant que les Hommes ont à imiter est pour
eux un secours que Dieu leur a donné pour pratiquer sans peine et
sans effort toutes les choses auxquelles ils sont appellés; mais ce
penchant ne doit pas leur servir de guide, ils ne doivent pas s’y li=
vrer aveuglément, de peur de suivre le mal comme le bien; Dieu leur
a donné la Raison dont ils doivent faire usage pour distinguer ce
qui est bon, juste et convenable d’avec ce qui ne l’est pas. S’ils consul=
tent ainsi la Raison dans toute occasion, le nombre des mauvais exem=
ples quelque grand qu’il soit ne sauroit leur nuire.

Rien n’est plus utile dans la vie que le choix des exemples et desSentiment de Mr le Baron de Caussade.
Compagnies qu’on fréquente, sur tout pour ceux qui n’ont pas encor
le jugement formé. Il importe aux jeunes gens de bien choisir leurs
Amis, parce qu’on a vu des gens qui avec un bon cœur se sont laissé cor=
rompre à ceux qu’ils ont fréquenté et sont devenus très méchans.

/p. 165/ Boileau disoit en parlant de quelques Savans, que C’est avoir profité
que d’aimer leurs écrits, le Cardinal De Fleury disoit de même que
c’étoit avoir profité dans la vertu, que de fréquenter et d’aimer les
bonnes Compagnies.

Sentiment de Mr le Recteur Polier.Un des grands et des plus surs remèdes qu’on puisse emploïer con=
tre l’influence de l’exemple, c’est l’education. C’est dans leur jeunesse
qu’on les formes à l’imitation, on les y sollicite, on leur en parle cha=
que jour; comme il n’est point de modèle parfait, et que leur jugement
n’est pas formé, ils imitent le bon et le mauvais du modèle qu’on leur
propose. Dailleurs on ne voit pas le motif d’un exemple, cependant c’est
le motif qui fait le bon d’une action. Les Peres donc, et ceux qui sont
chargés du soin d’élever la jeunesse devroient démeler ce qu’une action
a de mauvais, en dévoiler le motif, avant que de la proposer pour exem=
ple à leurs élèves. En général il ne faudroit pas donner aux enfans des
exemples vivans, parce qu’ils sont accompagnés de défauts. Celui des morts
peut être proposé avec moins de danger, parce qu’il peut être détaché
des foiblesses, on n’en montre que ce qu’on veut, et on ne le montre
qu’avec des précautions capables de prévenir ce qui pourroit y rester
d’imparfait & de mauvais.

Les grands exemples de vertus, les actions sublimes de courage, de
patience, de générosité, de même que les productions des Génies trans=
cendans ne sont pas autant suivis que les autres, et cela par deux rai=
sons: on est paresseux; & de plus on n’a pas les talens nécessaires pour
cela. Mais ce n’est pas à la pratique de ces rares vertus que nous
sommes appellés. Jésus Christ ne nous a donné que des exemples
de vertus communes, de ces vertus nécessaires dans le cours ordi=
naire de la vie. S’il en pratiqué de plus difficiles, comme il l’a fait
réellement, il ne nous appelle pas toujours à le suivre dans cette
carrière; les occasions en sont rares, & quand elles se présentent
notre foiblesse ne doit point en être allarmée, il nous soutient
et nous fortifie selon nos besoins.

Les exemples des Grands ne doivent pas être proposés à l’imi=
tation du commun des Hommes, le théatre sur lequel ils sont est
différent, autant que leur genre de vie, cela les porteroit à des ac=
tions au dessus de leur état, et leur feroit négliger celles qui leur
conviennent; mais on doit leur proposer pour modèles des personnes
de leur rang et de leur condition. De là il suit que tous les Hom=
mes doivent régler leur vie de façon qu’on puisse la proposer en
exemple.

Les mauvais exemples font plus d’impression que les bons; parceSentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.
/p. 166/ que les passions sont faciles à émouvoir, au lieu que la Raison doit
être persuadée pour pouvoir se déterminer. L’exemple touche les hom=
mes machinalement et par instinct, comme les animaux; il touche
aussi par réflexion: de ces deux impressions se fait sans qu’il en coute
aucun effort à notre paresse; aussi produit-elle presque toujours son
effet; au lieu que l’autre demande de l’attention, et des efforts de no=
tre part, et par conséquent l’effet qu’elle produit est plus rare; mais
il est aussi plus digne d’un homme de se conduire par Raison et
par réflexion que de se laisser aller à des impressions machinales
comme les animaux brutes.

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intégrale
Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée XIV. De l'influence de l'exemple », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 23 février 1743, vol. 1, p. 157-166, cote BCUL 2S 1386/1. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/446/, version du 24.06.2013.
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