Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée IX. Lecture du traité de Rollin sur le goût de la solide gloire et de la véritable grandeur », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 12 janvier 1743, vol. 1, p. 112-120

IXe Assemblée.

La neuvième Conférence s’est tenue le 12e Janvier 1743.
Présens Messieurs DeBochat Lieutenant Ballival, Polier Rec=
teur, Seigneux Assesseur, De Cheseaux Conseiller, D’Apples Pro=
fesseur, DuLignon, De Saint Germain Conseiller, De Cheseaux fils.

Discours de Monsieur le Comte.Pour faire le précis de votre dernière Conférence, je sui=
vrai ma prémière Méthode, et je rapporterai vos sentimens à
chacun en particulier.

Monsieur DeBochat la Question que vous avez traittéà Mr le Lieut Ballival DeBochat.
est celle-ci: Qu’est-ce qui peut autoriser les Etats à prendre les
armes pour empécher qu’une Puissance ne s’agrandisse à un
tel point que les autres aïent à craindre d’en être opprimés.
Vous avez raporté là dessus les sentimens des Jurisconsultes, et
vous avez demandé ceux de l’Assemblée.

à Mr le Bours. Seigneux.Monsieur le Boursier vous m’avez expliqué comment on est
venu à former des plans pour maintenir l’équilibre entre les Souve=
rains, ce à quoi on n’avoit pas pensé anciennement.

Vous m’avez dit encor que lorsqu’un Prince s’agrandit par
des voïes légitimes, on ne peut pas pour cela lui faire la guerre
avec justice; mais que lorsqu’il forme des entreprises pour oppri=
mer ses Voisins, on peut emploïer toute sorte de voïe pour abais=
ser sa Puissance.

à Mr DeCheseaux le fils.Monsieur De Cheseaux vous êtes porté à croire, que, quoiqu’un
Prince se soit agrandi avec justice, on peut cependant emploïer la
force pour borner son autorité: comme les Républiques de la Grèce
bannissoient un Citoïen dont le crédit étoit trop grand.

à Mr le Conseil. De St Germain.Vous m’avez prouvé, Monsieur DeSt Germain, qu’il seroit
pernicieux pour le Genre humain d’être soumis à un seul Prince,
parce qu’on seroit exposé sans ressource à sa tirannie et à ses
caprices. Qu’auroient fait, par exemple, les Protestans de France
si Louïs XIV avoit eu la Monarchie universelle? L’intérêt du
Genre humain demande donc qu’on s’oppose à la trop grande
Puissance d’un Prince. Salus generis humani suprema Lex
esto
.

a Mr le Baron De Caussade.Vous Monsieur De Caussade vous avez été de l’avis de Monsieur
/p. 113/ le Boursier, et vous l’avez soutenu encor par cette raison, c’est que
l’Univers seroit mal gouverné par un seul homme.

Monsieur D’Apples vous avez condanné la voïe des armesa Mr le Prof. d’Apples.
pour s’opposer à l’agrandissement légitime d’un Prince, de mê=
me que l’Ostracisme que les Grecs exercérent contre Aristide et
d’autres.

Si les Peuples avoient réfléchi sur leurs intérets, maveza Mr DuLignon.
vous dit Monsieur DuLignon, jamais les Romains ne les auroient
conquis. Il faut donc être sur ses gardes, et dès qu’un Prince se dé=
clare Conquérant, comme Louïs XIV, on peut l’attaquer dans son
propre Païs.

Les Princes peuvent augmenter leurs forces par des conquêtes,a Mr l’Asses. Seigneux.
l’oeconomie, et les Successions: on ne peut, m’avez-vous dit Monsieur
l’Assesseur, s’opposer à cet agrandissement, que, lorsqu’il se fait par
des conquêtes, et en violant les Traittés. Vous en avez cité pour
exemple la Succession d’Espagne après la mort de Charles II.

a Mr le Lieut. Balliv. De Bochat.Vous m’avez prouvé, Monsieur DeBochat, que le soin de no=
tre conservation nous obligeoit à nous opposer à un Prince qui
s’agrandit, lorsqu’on a quelques preuves que ce Prince a dessein
de nous nuire, ou d’assujettir d’autres Etats avec qui nous som=
mes liés, ou même avec qui nous n’avons aucune liaison, si
nous soupçonnons qu’on nous traittera de même; qu’on peut alors
justement enlever à de tels Princes ce qu’ils possédent, ou les
priver des Successions qu’ils espérent.

Après ce Discours on a lu le Traitté de Mr Rollin sur lePrécis du Discours de Mr Rollin sur la solide gloire et la véritable grandeur.
gout de la solide gloire et de la véritable grandeur. Je n’en don=
nerai pas un extrait détaillé, parce que cet ouvrage est entre les
mains de tout le monde, et que dailleurs ce traitté n’est qu’un amas
d’exemples, auxquels l’Auteur a joint quelques Réflexions.

Ce Traitté s’étend depuis la page 13 jusqu’à la 144. On n’a
lu que jusqu’à la page 43. Il est divisé en plusieurs Sections. 1. Ri=
chesses & pauvreté, 2. Batimens. On s’est borné à ces deux.

Dabord l’Auteur dit que notre Siécle étant rempli d’une infi=
nité d’erreurs et de faux préjugés sur la pauvreté et les richesses;
sur la modestie et le faste; sur la simplicité des batimens & des
meubles, et sur la somptuosité & la magnificence; sur la
/p. 114/ frugalité, et les rafinemens de la bonne chère; en un mot sur pres=
que tout ce qui fait l’objet du mépris ou de l’admiration des hommes,
le gout du public entraine les jeunes gens; ils estiment par préjugé
ce qu’ils voïent estimé dans le monde. Il faut donc dissiper ces faux
préjugés, et leur apprendre à faire les discernement du vrai et du
faux, du bon & du mauvais, de la solide grandeur et d’une vaine
enflure; et empécher que le mauvais exemple n’étoufe en eux les
semences de bien et de vertu qu’on y remarque. L’Auteur se propo=
se donc d’établir des principes pour juger sainement des belles et bon=
nes actions, et pour discerner en quoi consiste la solide gloire, et pour
démêler ce qui est digne d’estime et ce qui ne mérite que du mépris
depeur que les jeunes gens ne prennent pour modèle tout ce qui seroit
conforme aux fausses idées du siècle, et se remplissent des passions et
des vices de ceux dont l’histoire raporte les actions éclatantes, qui
ne sont pas toujours vertueuses.

Mr Rollin reconnoit qu’il n’auroit du tirer ces regles que de la
Parole de Dieu, mais pour faire mieux comprendre que les erreurs
qu’il combat sont condannables, il ne tire ses principes que du Pa=
ganisme, qui aprendra que ce n’est que par le cœur que l’homme
est véritablement grand, que tout ce qui est extérieur à l’homme ne
mérite ni admiration, ni estime.

Dans la prémière Section Mr Rollin raporte beaucoup d’exemples
de Grecs & de Romains, et de l’histoire de France, pour faire voir que
les richesses n’ont point été estimées pour elles mêmes, ni la pauvreté
méprisée: qu’ils n’estimoient les richesses que par le bon usage qu’on
en faisoit, et qu’on ne les recherchoit point avec empressement:
que ceux qui les recherchoient avec ardeur se sont couverts de honte.

Dans la Seconde, il raporte aussi beaucoup de traits qui prouvent
que les Romains ne faisoient point consister leur gloire dans la
possession des batimens quelques magnifiques qu’ils fussent, qu’ils
ont fait cas au contraire de la simplicité; et il cite pour dernier
trait, les réflexions de Louïs XIV à son petit fils, qui lui recomman=
de de ne pas imiter son gout pour la dépense, il avoit aussi recom=
mandé la même chose au Roi d’Espagne dans le dernier entretien
qu’il eut avec lui.

Monsieur le Conseiller De Cheseaux trouve que Mr Rollin auroit duSentiment de Mr le Conseiller DeCheseaux.
/p. 115/ donner des principes & des caractères des vertus qu’il recommande
plutot que de se borner presque uniquement à donner des exemples.
Voici ceux qu’il a posé. La véritable Grandeur a deux caractères
distinctifs: 1° Elle ne se trouve que dans ce qui dépend de nous.
La bénéficence; par laquelle on se plait à faire du bien, à préve=
nir les besoin des hommes, à les soulager avec plaisir, et avec em=
pressement; la fermeté d’ame, qui nous soutient dans les afflic=
tions & dans les maux et qui empéche que nous n’en soïons
abbatus, qui conserve notre tranquillité dans les malheurs; ces ver=
tus, dis-je, et d’autres, élévent celui qui les possède, a une veritable
Grandeur.

2° Le second caractère de la Grandeur, c’est qu’elle doit se
trouver dans toute sorte d’état, elle ne doit être exclue d’aucun.
Mr Rollin donne des exemples de Grandeur dans la bassesse et dans
l’élévation; il auroit du en donner aussi dans la médiocrité. La
Grandeur est indépendante des circonstances extérieures, telles
que sont les richesses, la naissance, un rang élevé dans le mon=
de: tout cela ne sert tout au plus que de moïens pour y parvenir
& pour la faire connoitre plus promptement & plus au loin.

Les jeunes gens, sur tout les Princes doivent faire réflexion
sur ce qui fait la véritable Grandeur, afin de ne pas se laisser en=
trainer aux préjugés & aux erreurs qui sont répandues dans le monde
sur ce sujet. Ils doivent encor se choisir un modèle de Grandeur et
avoir toujours les yeux tournés sur ce modèle pour l’imiter. Le plus
parfait modèle qu’ils puissent se proposer, c’est Dieu, qui ne fait
consister sa gloire que dans l’exercice de ses Perfections & principa=
lement de sa Bonté.

Sentiment de Mr De Cheseaux le fils.Monsieur De Cheseaux le fils a ajouté aux caractères que Mon=
sieur son Pére a donné de la véritable Grandeur, les suivans

1. L’un qu’il faut porter ses vertus à un certain point de Perfection
pour qu’elles procurent à un homme de la Grandeur. Celui qui dans
ses vertus n’a rien de plus que ce que le commun des honnêtes Gens
a d’ordinaire ne mérite pas le nom de Grand. Mais il ne faut pas
chercher ici la singularité, et croire qu’il faille possèder seul ces
qualités pour s’élever à la Grandeur; le nombre n’en diminue point
le prix; il ne faut seulement se soutenir avec constance et avec zèle
/p. 116/ dans l’exercice des Talens que Dieu nous a donné. 2. Il faut rap=
porter ces Talens & ces Facultés à une fin bonne & utile. 3. Il faut
que ces Qualités par le moïen desquelles on veut s’élever à la
Grandeur ne soïent par des Qualités accidentelles, que l’on peut
avoir ou n’avoir point sans qu’il arrive aucun changement en
nous.

Monsieur le Boursier approuve Mr Rollin d’avoir posé dabordSentiment de Mr le Boursier Seigneux.
des exemples, parce qu’ils font naitre les principes. Les principes
sont secs, par la même ils arrêtent peu l’attention. Un jeune hom=
me à qui l’Auteur, ou celui avec qui il lit, demande à chaque
exemple, Que sentez vous ? Que pensez vous de cette action, de
cette conduite ? Ce jeune homme excité par ces questions et sui=
vant uniquement ses lumières naturelles décidera juste, et se
formera un gout sur pour porter un jugement solide sur tous
les faits que l’Histoire lui présentera, de même que sur ceux dont
il sera le témoin.

La véritable Grandeur a un prix intrinsèque et qui ne dé=
pend point des divers préjugés des hommes. A la vérité la plupart
d’entr’eux se trompent fort là dessus, les Princes sur tout; ils en=
gagent ceux qui les environnent à la chercher dans l’extérieur
Cette fausse idée se répand, se provigne, pour ainsi dire ; et influe
sur la pratique.

Mr Rollin parlant de la Grandeur & de la Gloire paroit con=
fondre ces deux choses, qui sont cependant très distinctes. La vé=
ritable Grandeur est le fond, ce sont les vertus qui se trouvent
dans l’homme, et la Gloire c’est l’estime que les Hommes font de
ces vertus.

Monsieur DeSaint Germain approuve ce petit Traitté de MrSentiment de Mr le Conseil DeSt Germain
Rollin, parce qu’il sert d’antidote aux fausses idées que l’admiration
de certaines actions donneront aux jeunes gens, et parce que ces
exemples qu’il renferme, sont très propres à faire impression sur eux.
Il distingue aussi la Grandeur de la Gloire comme a fait Monsieur
le Boursier.

Sentiment de Mr le Professeur D’Apples.Monsieur le Professeur D’Apples croit qu’on peut se passer d’é=
tablir des Principes dans un traitté comme celuici, & composé pour les
jeunes gens. La Grandeur, a-t-il ajouté, c’est la dignité de l’Homme,
/p. 117/ elle consiste dans le bon usage de ses Facultés, dans un juge=
ment juste de chaque chose. Tous les Hommes peuvent être grands,
quand ils jugent sainement des choses et qu’ils se conduisent con=
venablement.

Mr Rollin élève mal à propos la pauvreté, et rabaisse sans
raison les richesses. Etre riche ou pauvre, cela ne change rien
à un homme: un Pauvre est petit, et méprisable, s’il ne sup=
porte pas son état avec courage et avec fermeté. Sa pauvreté
n’a rien de grand en elle même: mais quand on y aquiesce avec
soumission, c’est un acte qui procure une solide Gloire. On n’est
pas estimable par le mépris qu’on a pour les richesses, non plus
que parce qu’on est riche. Mais un Riche est Grand, quand il
use bien de ses richesses; il est estimable s’il évite l’éceuil
des richesses; c’est là ce qui le rend solidement Grand. Isocrate
dans un de ses Ouvrages montre que la Solide Gloire consiste
à juger par principe de toute chose, à n’avoir pour chaque ob=
jet que le degré d’estime qu’il mérite, et à avoir une con=
duite qui réponde à ces sentimens.

Mr Rollin est outré dans l’article ou il parle des batimens;
il faut en cela se raporter à sa condition, de même qu’au
bien de la Société. Un Prince doit être logé d’une manière
plus grande et plus commode qu’un simple particulier; il est
permis à un Souverain de batir pour sa nécessité, ou même pour
sa commodité, pourvu qu’il le fasse d’une manière convenable
à son rang, et à l’état de ses affaires; il seroit ridicule à un
Particulier d’imiter un Prince en cela, et de vouloir l’égaler.

Monsieur le Recteur croit que les exemples que Mr RollinSentiment de Mr le Recteur Polier.
raporte avoient besoin d’être accompagnés de quelques reflexi=
ons. Quand on demanderoit à un jeune homme ce qu’il pense
de telle ou telle action, de telle ou telle situation, il choisiroit
sans balancer ce qui lui attireroit le plus d’admiration, il sui=
vroit les préjugés établis; il faudroit donc avoir fait des reflexi=
ons à la fin de chaque article, sans les renvoïer à la fin de la
Dissertation, ou même en faire sur chaque exemple.

La Grandeur & la Gloire sont une seule et même chose. Un hom=
me qui fait quelque bonne action, peut-il se dire à lui même, je
/p. 118/ suis Grand? Non: il fait en cela son devoir, mais il ne mérite pas
pour cela le nom de Grand. La Grandeur a quelque chose de plus
étendu; elle consiste dans l’exercice libre de ses Facultés, Entende=
ment, Volonté, et dans le desir de les pousser à leur perfection. Telle
est la Grandeur de Dieu. Dieu est grand indépendamment de
l’estime des hommes. Il n’en est pas de même des hommes, ils
n’ont pas une Grandeur réelle, intrinsèque; ils ne sont Grands
qu’autant qu’ils sont estimés de leurs semblables; il faut à la
vérité que cette estime soit fondée sur le mérite de celui qui en
est l’objet, sans quoi elle seroit fausse. La grandeur et la gloire
sont donc identiques; ca[r] la gloire n’est que l’estime que les hom=
mes font de nos vertus. Il faudroit appliquer ces idées à tous
les exemples que Mr Rollin raporte pour faire comprendre à un
jeune homme ce qu’il y a de véritablement estimable, de grand
et de digne de gloire dans chacun.

Sentiment de Mr Du Lignon.Monsieur DuLignon est du même avis que Monsieur Po=
lier sur la grandeur & sur la gloire, il croit que l’une et l’autre
ne consistent que dans l’idée avantageuse que les hommes ont
de nos talens, de nos vertus, en un mot de notre mérite; il en=
tre d’autant mieux dans cette pensée, qu’il paroit visiblement que
c’est là l’idée que Mr Rollin en a eu. Il voudroit aussi qu’on
eut joint des réflexions à chaque exemple; réflexions qui au=
roient formé le gout des jeunes gens, et auroient garanti leur
esprit de l’influence du préjugé et des erreurs répandues dans
le monde sur la Grandeur & sur la Gloire.

Sentiment de Mr le Baron De Caussade.Monsieur DeCaussade a dit que la véritable Gloire n’apar=
tient qu’à Dieu; les hommes quand ils s’aquittent de leur devoir
méritent cependant aussi quelque gloire; mais ils ne doivent pas
la rechercher avec empressement. Jésus Christ blame ceux qui
recherchent la gloire qui vient des hommes, parce si on a la soif
de cette Gloire, on tachera de l’aquerir par toutes sortes de voïes,
et souvent par des choses mauvaises. Il faut faire son devoir pour
s’attirer l’approbation de Dieu, et il faut le faire selon les circons=
tances ou l’on se trouve, et les talens que Dieu nous à donné,
sans se mettre en peine, si les hommes nous estimeront, ou ne
nous estimeront pas.

/p. 119/ Monsieur le Lieutenant Ballival De Bochat croit queSentiment de Mr le Lieut. Balliv. DeBochat.
les termes d’estime, de gloire et de grandeur expriment tous la même
chose, mais dans des degrés différens. Quand on remplit ses Devoirs
comme les personnes qui sont reconnues pour honnêtes Gens les rem=
plissent, cela ne nous rend dignes que d’estime. Quand nous rem=
plissons nos Devoirs mieux que le commun des honnêtes Gens ne les
remplit, cela nous procure de la Gloire. Quand on fait des efforts
plus considérables, plus soutenus, qu’on se trouve placé dans des cir=
constances qui demandent de nous ces efforts, et qu’on les fait ces
efforts, c’est alors Grandeur.

Il n’est pas aisé de découvrir à quelle de ces trois classes il
faut raporter les actions des hommes, parceque pour cela il faudroit
connoitre exactement les circonstances ou se trouve placé celui
qui a fait telle ou telle action, circonstances qu’il est très difficile
de connoitre à fond; et qu’il faudroit de plus connoitre le motif
qui a déterminé à agir. Or les exemples ne manifestent pas
cela. Il est vrai que les Historiens prétent d’ordinaire des motifs
aux actions qu’ils racontent, mais il faut le plus souvent les pren=
dre au rabais; ils sont moins grands que les Historiens ne les
supposent. Quand les Historiens nous parlent de Louïs XIV et qu’ils
nous le représentent dans les différens Traittés qu’il a fait avec les
Princes dans cette disposition; Je veux donner la paix à l’Eu=
rope; cela est grand, il faut en convenir; mais est-ce le vérita=
ble motif qui le portoit à faire la paix avec ses Voisins ? Non
sans doute; il ne s’y déterminoit que parcequ’il ne pouvoit fai=
re autrement.

Il faut apprendre aux jeunes Gens que la solide Gloire
consiste dans l’intention de remplir ses Devoirs & cela de la
manière la plus parfaite, et dans l’application constante qu’on
a pour parvenir à ce but. Etudiez donc vos Devoirs, dira-t-on,
à ceux que l’on voudra conduire à la Gloire; voila en quoi ils
consistent, sentez leur importance et l’obligation ou vous êtes
de les remplir, formez en la résolution, rapellez la souvent à
votre mémoire; animez vous continuellement au travail, et
par là vous aquerrez une solide Gloire, et une veritable Grandeur.

Monsieur l’Assesseur Seigneux a justifié Mr Rollin sur laSentiment de Mr l’Assesseur Seigneux.
méthode qu’il a suivi, par la raison qu’aïant écrit pour de jeunes
gens des réflexions séches les auroient rebuté et n’auroient point
attiré leur attention, au lieu que les traits d’histoire leur plaisent
& qu’ils peuvent cependant sur ces histoires prendre une idée de la
vertu qu’on veut leur inspirer.

Il faut pourtant avouer qu’il y a un défaut dans les exem=
ples que Mr Rollin citte; c’est qu’ils tendent à inspirer une vertu
gigantesque, s’il est permis de se servir de ce terme, une vertu
qui n’est point accommodée aux différentes conditions des hommes.
Il auroit été plus à propos de donner des exemples de vertus
civiles; il faudroit déterminer la Grandeur qui convient à cha=
que état, et à chaque condition; et non pas seulement produire
sur la Scène, des Empereurs, des Généraux d’armées, et d’autres
personnes d’un rang aussi élevé: ce qui ne peut servir de rien à
des jeunes gens d’une condition différente, ou au moins dont ils ne
peuvent tirer parti que par des conséquences.

Chacun aïant fini d’opiner Monsieur le Comte a propo=
sé cette Question, De l’utilité de l’Histoire par raport
à un Souverain
.

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intégrale
Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée IX. Lecture du traité de Rollin sur le goût de la solide gloire et de la véritable grandeur », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 12 janvier 1743, vol. 1, p. 112-120, cote BCUL 2S 1386/1. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/435/, version du 22.06.2013.
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