Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 30 mars 1726

A Groningue ce 30 Mars 1726.

Je n’aurois pas tant tardé, Monsieur, à répondre à vôtre derniére Lettre, sans le triste état où ma femme
s’est trouvée, depuis que je la reçus. Après plusieurs attaques fâcheuses de vapeurs, qu’elle avoit eues sur
la fin de l’année passée, & qui lui laissoient peu d’intervalles, elle tomba dans une fiévre continuë, qui
la mit aux abois. C’est une espéce de miracle, qu’elle en soit revenuë. Mais vous jugez bien, qu’après une
si grande maladie, elle doit avoir bien de la peine à se remettre, & qu’il faut du tems pour cela. J’espére, que
le beau tems, qui s’avance, contribuera plus que toute autre chose, à la rétablir. Je vois, dans ces retours fréquens
d’incommoditez, auxquelles elle est sujette depuis quelques années, une image de celles dont j’apprens toûjours avec
bien du chagrin que vous n’avez pas beaucoup de relâche. Je me flattois toûjours, par des exemples que j’en
vois ici, qu’elles diminueroient, à mesure que vous avanceriez en âge. Je suis bien fâché, que vous aiyez là une
trop forte excuse, de ce que vous ne me donnez pas plus souvent de vos nouvelles. Car pour ce que vous dites
de la stérilité des nouvelles de vos quartiers, permettez moi de ne pas la mettre en ligne de compte. Il n’en
est aucune, à laquelle je m’intéresse autant, qu’à ce qui vous regarde. Savoir ce que vous faites, & que
vous pensez à moi, cela me suffit; quoi que je n’aie aucun lieu d’en douter, par les constans témoignages
d’affection que vous ne cessez de me donner. La bonté que vous avez euë de faire souvenir de moi
Mylord Townshend, dans une lettre tout nouvellement écrite, en est une nouvelle preuve parlante. Mais je
ne suis pas destiné à éprouver la faveur des Grands; & apparemment cette seconde recommandation ne
produira pas plus d’effet, que la prémiére. Je vous en suis cependant aussi obligé, que si elle m’avoit procuré
de grands avantages.

Je me hâte de venir à Mr de Crousaz, dont j’ai à vous parler bien au long. Cela même que je ne
vous en ai rien dit depuis qu’il étoit ici, rend la longuement plus nécessaire. Mais vous comprendrez aussi par là
combien j’ai été lent à me plaindre de lui, & à vous instruire de la conduite pitoiable qu’il a euë d’ail=
leurs pendant tout son séjour à Groningue. Longa est injuria, longae ambages; sed summa sequar fastigia
rerum
. Je suis pourtant obligé de remonter encore plus haut, pour vous mettre au fait. J’entrepris de faire ap=
peller ici Mr de Crousaz, dans le fort des troubles du Consensus, & lors qu’il se croioit à la veille d’être réduit
à aller chercher fortune ailleurs. Sans moi, on n’y auroit jamais pensé; c’est ce que tout le monde sait ici pré=
sentement, quoi que, pendant deux ans que l’affaire traîna, tout le monde, & en particulier ceux de l’Académie,
aient ignoré ce qui se passoit, à cet égard, entre quelques Curateurs & quelques autres Seigneurs des plus accré=
ditez, & moi seul. L’affaire, selon toute apparence, auroit réussi d’abord, comme elle fît depuis, sans la lenteur
que la constitution de 1 mot biffure cette Province apporte à la conclusion des délibérations publiques. Dans cet intervalle, les choses
aiant été en quelque façon pacifiées à Lausanne, Mr de Crousaz me témoigna être résolu de rester à Lausanne,
sur tout après la Mariage de sa fille la plus jeune avec Mr de Chappelle. Cependant il changea ensuite de senti=
ment, à l’occasion de quelques offres magnifiques qu’il disoit qu’on lui faisoit en Saxe, & que la suite a bien fait voir
être ou de pures chimères, ou des choses sans aucun fondement solide. Ses Parens & sa Famille le dissuadoient d’accep=
ter ce Parti: il m’écrivit là-dessus, pour me prier de lui dire mon avis en Ami. Je le fis, & je le dissuadai de
toutes mes forces de quitter son païs pour quelque vocation que ce fût. Je me servis des raisons que vous pouvez vous
imaginer, & lui témoignai que, s’agissant de son intérêt, je le sacrifiois au mien, puis qu’où qu’il allât, je serois
plus à portée de le voir, que s’il restoit chez lui. Peu de tems après, j’appris qu’on devoit remettre sur le tapis la voca=
tion des nouveaux Professeurs, & qu’il y avoit apparence qu’elle pourroit réussir dans la prochaine Assemblée des Etats;
je laissai aller l’affaire son train en faveur de Mr de Crousaz, sans avoir aucune espérance qu’il acceptât une
vocation, au prix de laquelle celle de Saxe lui paroîtroit si brillante & si avantageuse: mais je crus qu’au moins cela
lui feroit honneur. Je lui en donnai avis sur ce pié-la; & je fus surpris de voir qu’il me répondit incessamment
de battre le fer, comme voulant accepter de tout son cœur la vocation de Groningue. Je redoublai alors mes soins,
d’une maniére pourtant à paroître incertain de la résolution de Mr de Crousaz, & à faire valoir les offres
de la cour de Saxe, pour qu’on rendît ici sa condition meilleure, comme effectivement cela y contribua. Comme je ne
vous ai jamais rien dit de tout ceci, vous comprendrez par là, si je n’ai pas avec tout le désintéressement & toute l’a=
mitié que j’aurois pû faire pour un propre Frére. Enfin, il fut appellé, & accepta d’abord. Je puis dire, que je n’ai jamais
eu de plus grande joie, mais aussi que jamais rien ne m’a causé dans la suite plus de chagrin. Comme je connois=
sois son humeur & sa vivacité, mais non pas, à beaucoup près, autant qu’il l’a fait connoître ici, je pris de
bonne heure des précautions pour lui faire comprendre qu’en changeant de lieu il devoit aussi beaucoup changer de
maniéres. Bien loin de rien dissimuler, par rapport à lui & à sa famille, je lui représentai si fort la différence des
moeurs de ce païs d’avec ceux de Lausanne, que ma Femme me grondoit quelquefois, dans la crainte que je ne
le rébuttasse. Je ne cessois, dans mes Lettres, de lui dire, qu’il falloit ici beaucoup de prudence & de modération.
<1v>Il parut disposé à suivre mes avis, & il me 3 mots biffure disoit dans une Lettre: Je me soûmets entiérement à vôtre direction.
Je n’avois garde de vouloir diriger, ni lui, ni quelque autre que ce soit: ce n’est point-là mon caractére. Mais je
crus que l’amitié me donnoit droit, après lui avoir fidélement exposé la situation des choses dans ce païs, dont je
devois être instruit, de lui dire ce qu’il falloit faire ou éviter, pour vivre heureux & content. La necessité
m’en parut d’abord très-puissante, par le train de vie que 3 mots biffure prennoient les deux filles qu’il avoit amenées,
surtout la Cadette, qui s’est fait connoître ici, comme elle l’est, pour un monstre d’effronterie, d’impudicité,
& de malice. Cette Créature, profitant du tems que la Famille fut chez moi en attendant que la Maison, que
je leur avois louée, fut prête: me débaucha d’abord un Jeune Hambourgeois, nommé Wolkman, qui demeuroit
alors dans ma Maison, & qui, du naturel timide qu’il est, n’auroit osé ouvrir la bouche, ni lui toucher le
bout du doigt, si elle n’eût fait toutes les avances, il nous lui-même bonnement avoué depuis, plus d’une fois, qu’
elle le venoit toûjours chercher. Ce n’étoient que libertez indécentes qu’elle se donnoit avec lui sans honte, en 
présence des domestique, & autres; si bien que, dix ou douze jours après l’arrivée de Mr de Crousaz, un 
Conseiller de cette Ville m’aiant prié de le mener, avec sa Famille, à une Maison de Campagne, où je
lui avois promis de l’aller voir, quelques-uns de la compagnie, & des domestiques de la Maison, s’appercurent
à leur grand scandale, de pareilles libertez que le Jeune Homme & la Demoiselle prenoient ensemble dans un
Cabinet du Jardin, où ils s’étoient retirez. Ma femme fit là-dessus des rémontrances, en particulier à la
Demoiselle, avant que de donner ce chagrin au Pére & la Mére, de leur apprendre ce qu’on disoit. Mais comme, bien loin d’en profiter, la
chose alla toûjours en augmentant, sur tout après que la Famille fût 1 mot biffure hors de chez nous; enfin, ma
femme aiant elle-même par hazard été témoin d’un rendez-vous secret que la Demoiselle avoit donné au
Galant par une porte de derriére, outre ce que tout le voisinage en disoit; en avertit prémiérement Madame
de Crousaz, & puis Mr de Crousaz. On fit semblant de ne pas recevoir l’avis en mauvaise part: mais la
suite a bien fait voir le contraire. Comme la Fille, par ses maniéres flatteuses, savoit se rendre maîtresse de
l’esprit du Pére, qui souffroit même qu’elle se moquât de Madame de Crousaz, & la maltraitât de paroles en
présence de chacun: elle lui persuada, que tout ce qu’on lui avoit dit, n’étoient que pures calomnies. Et
là-dessus, au lieu de cacher ce que ma femme avoit dit en secret, & que personne autres n’auroit jamais
sû d’elle; elle le publia, pour avoir le plaisir de traiter ma femme de maudite langue, de calomniatri=
ce, & toutes les autres injures grossiérs qu’on peut imaginer. Elle éclatta sur tout, pendant un voiage que son Pére
fit en Frise, & pendant lequel elle avoit même disposé sa mère, qui n’a pas de l’esprit de reste, à rompre
entiérement avec nous. Dès que le Pére fut de retour, avant que de l’aller voir, je lui écrivis un billet pour
lui apprendre les insultes de sa Fille, & lui représentai fortement, mais amiablement, le grand tort que sa
fille se faisoit par là, & qu’elle lui faisoit à lui-même; car, pour ma Femme & moi, nous étions assez connus,
pour craindre qu’on ne nous rendît pas justice. Il me répondit par des complimens, & un galimathias qui ne
signifioit rien. Il désavouoit bien tout ce que sa fille pouvoit avoir dit: mais il ne vouloit pas faire son apolo=
gie, de lui-même: peut-être, ajoûtoit-il, ne la ferai-je jamais, ou si je la fais, ce ne sera que dans un an.
Il croioit apparemment, que sa fille seroit mariée dans un an avec Wolkman, qui NB. n’est rien moins que
noble, quoi que son père soit Conseiller à Hambourg: mais il devoit savoir ce que ma Femme lui avoit dit, com=
me le tenant de la bouche même du jeune Galant, que le Pére ne consentiroit jamais à ce mariage, &
deshériterait plûtôt son fils. Quoi qu’il en soit, malgré ce que Mr de Crousaz souffroit de sa Fille, par
rapport à nous, & le sujet que Madame de Crousaz auroit donné d’ailleurs, par la froideur qui l’avoit obligé
d’être assez long tems sans venir voir ma femme, alors malade; nous ne discontinuames pas d’aller chez eux
familiérement. Tout le monde en étoit surpris. Chacun disoit, qu’il n’en feroit pas autant. On avoit vû
la joie que nous avions témoigné de la vocation de Mr de Crousaz, & de son arrivée. Tout le monde étoit venu nous
féliciter, comme si nous avions attendu un propre Frére, & voioit que nous en avions agi sur ce pié-là, & pour
préparer tout avant l’arrivée de la Famille, & pour la recevoir. On ne comprenoit pas, comment nous avions le
courage de mettre le pié dans une Maison, où, au vû & sû du Pére & de la Mére, une Fille fermoit la
porte au nez, quand ma femme ou moi y venions; ou bien, si on étoit entré sans qu’elle le prévît, se
sauvoit d’abord comme une Furie. Mais nous primes le parti de mépriser tout cela, comme venant d’une personne
qui avoit dépouillé toute pudeur, & 1 mot biffure qui étoit assez décriée pour n’en rien craindre. Cependant il y avoit
une autre chose à ménager. Comme ce n’est pas ma coutûme de garder chez moi des Jeunes gens, qui ne se
conduisent pas bien, & qui sont confiez à mes soins, j’aurois bien tôt après mis dehors Wolkman, sans la
considération de l’éclat que cela feroit, au préjudice de Mr de Crousaz, parce qu’on dévineroit aisément la
raison de cette sortie. Je menaçai plusieurs fois de Jeune Homme d’en écrire à son Pére, & il promettoit toû=
jours de rompre ce commerce, autant qu’il pourroit: car, que voulez-vous que je fasse, disoit-il, elle me cherche toû=
jours? Mais tout cela n’aiant servi de rien, & d’ailleurs ce Jeune homme, poussé par la Demoiselle, aiant fait bien des
impertinences, la patience échappa un jour à ma Femme, & elle lui dit de sortir de la Maison. Il en parut d’abord fort
content, parce que la Demoiselle lui avoit fait esperer que son Pére le recevroit à sa Table. Mais ils furent trompez
<2r> dans leur calcul. Le Pére n’osa pas se rendre aux instantes sollicitations de sa Fille. Mais il eut bien le courage de venir
avec ce Jeune Homme le même jour, pour voir s’il n’y auroit pas moien d’engager ma Femme à le reprendre dans la
Maison. Je dis alors à Wolkman, en présence de Mr de Crousaz, que cela étoit fait, que j’avois assez souffert; qu’il
se souvint de bien des choses qu’il m’avoit dit lui-même; que j’étois sûr qu’un jour, quand il seroit revenu de sa passion,
il me sauroit bon gré de mon procédé; qu’après tout j’avois fait & je faisois ce que je croiois devoir faire en cons=
cience, & que j’abandonnois l’événement à la Providence. Alors je fus obligé d’écrire au Pére. Je ménageai, autant
qu’il me fût possible, l’honneur de Mr de Cr. Le Pére me remercia, me pria de vouloir bien, encore que son fils ne
fût plus chez moi, lui donner mes instructions; & souhaittoit même que je l’informasse de sa conduite par rapport au
commerce avec la fille de Mr de Cr. Mais ma vocation étant alors finie, je lui laissai le soin de s’informer d’ailleurs
de ce que tout autre pouvoit lui apprendre, aussi bien que moi. Au fond, il n’étoit plus tems. La Demoiselle, alors 4 caractères écriture cinq ou
six mois après son arrivée ici, parut aux yeux du Public avec tout l’air, la taille, la démarche d’une femme grosse.
Chacun disoit, que cela sautoit aux yeux. Quelque tems après, elle se renferma dans la maison, sous prétexte de
quelques incommoditez. Ceux qui par hazard l’y voioient, se confirmoient de plus en plus dans les soupçons. Je sai des
gens qui l’ont dit en face à Madame de Cr. Mr de Cr. recut une lettre anonyme par la poste, où on l’aver=
tissoit de prendre garde à sa fille. Enfin, elle part d’ici tout d’un coup, sans prendre congé de personne. On la
remet, pour être conduite à Amsterdam, à Mr Dubreuil, & Mr Fatio, l’Avocat, qui étoient venus ici. le dernier
est sans doute celui que vous me dites avoir écrit bien des choses à Genéve, & qui en a pû bien dire, quoi qu’il n’aît
pu tout savoir. Je ne vous dirai pas ce qu’on a débité, & ce que je sai, de l’accouchement: mais je puis vous assûrer,
que la seule chose sur quoi on est ici dans quelque doute, c’est de savoir, si la fille de Mr de Crousaz a accou=
ché dans Groningue, ou hors de Groningue. Une servante, qu’ils avoient amenée, a débité, qu’un pareil accident
lui étoit arrivé à Lausanne; & vous jugez bien qu’on n’a pas oublié de mettre sur le tapis l’affaire de
Made de Chappelle, sur laquelle je me souviens que je fus bien fâché de voir qu’on avoit eu l’imprudence
d’exiter la curiosité du Public dans les Gazettes. Ainsi vous pouvez compter, que par cet endroit, & par plu=
sieurs autres, Mr de Cr. s’est décrié & dans ces Provinces, & dans les autres Païs, d’une maniére à n’en revenir
jamais, & à faire trouver un contraste perpétuel entre les maximes de ses Livres, & sa propre conduite. On
a dit sur tout publiquement, à l’occasion de son Tr. de l’Educ. des Enfans, & des Leçons qu’il disoit vouloir
faire sur cette matiére, Qu’il devoit commencer à bien élever le siens. Cependant ce que ma femme &
moi avons fait, dès le commencement, par amitié & par charité, pour prévenir tout cela, est la source des prétextes
qu’il a ensuite cherchez pour rompre entiérement avec nous; comme je le dirai plus bas. Il faut venir à sa
conduite à d’autres égards.

Je remarquai bien tôt, qu’en venant ici, il s’étoit fait deux systêmes, tous deux aussi contraires à la
situation des choses que je lui avois fidélement représentée, qu’incompatibles & difficiles à accorder ensemble. L’un étoit
un systême de grandeur & de vanité, l’autre un systême d’intérêt; à quoi se joignoit un troisième système
chimérique, par lequel il s’imaginoit de pouvoir changer tout dans ce païs, pour l’accommoder à ses vuës & à
ses passions. Il commença à faire connoître le prémier, le jour même qu’il fut introduit dans le Sénat Académique, c’est-à-=
dire, celui qui précedoit son installation publique. Il ne s’agissoit là que de l’introduction, & de la signature d’un formu=
laire de concorde, qui ne porte que sur la Confession Belgique, & le Catéchisme d’Heidelberg; car on ne parle point du Synode de
Dordrecht, qui est postérieur au Formulaire. Je vous dirai plus bas ce qu’il fit à l’égard de la signature. Mais il s’avisa
après cela d’une proposition, qui étonna tout le monde, & en elle-même, & par rapport à l’incongruité du tems.
Il demanda qu’on inscrivit sa Noblesse sur les Registres de l’Université, & allégua les plus pitoyables raisons de
cette demande, comme, que cela pourroit servir à quelques uns de ses parens, qui voudroient chercher de l’emploi
dans les Cours d’Allemagne. Le Recteur lui dit, que l’on ne comprenoit pas bien le but de & l’état de cette
proposition; mais que ce n’étoit pas le tems de l’examiner, & qu’il pourroit la faire de nouveau dans une autre
Assemblée. Il n’y est pas revenu; & il pouvoit d’autant plus se dispenser de parler de sa noblesse, ni en cette occa=
sion, ni en tout autre, où il en a étourdi les gens, qu’en le recommandant je n’avois eu garde d’omettre cette
circonstance, comme toutes celles par où je croiois pouvoir le faire valoir; ce qui d’ailleurs étoit plus séant dans ma
bouche, que dans la sienne. Quelques semaines après, le Doyen de sa Faculté, Mr Rossal, fit convoquer une Assemblée,
1 mot biffure pour lire & faire signer, selon la coûtume, les Statuts de la Faculté. Mr de Cr. fit dire au Bedel, qu’il n’a=
voit pas loisir d’y aller. Comme la chose ne pressoit pas tant, & que d’ailleurs le Doyen ne pensoit nullement à la
raison pourquoi Mr de Cr. s’excusoit, qu’il ne pouvoit pas déviner; il renvoia l’Assemblée à une autre fois, croiant
qu’alors Mr de Cr. trouveroit assez de loisir. Mais cette fois-ci, Mr de Cr. le refusa tout net par une Lettre qu’il
écrivit à Mr Rossal, où il lui disoit, que sa philosophie étoit si différente de celle qu’on enseigne communément
qu’il n’y avoit pas plus de rapport entr’elles, qu’avec le Droit ou la Médecine; qu’ainsi on pouvoit bien le regarder
comme une piéce à part (c’étoient ses propres termes) & plusieurs autres choses aussi vaines, que désobligeantes. Mr
Rossal me vint montrer la Lettre, & me prier, comme Ami de Mr de Cr. de lui représenter le tort qu’il se feroit, si
la chose venoit aux oreilles des Curateurs, comme il le faudroit nécessairement. Je courus chez Mr de Cr. & lui
<2v> dis en ami ce que je devois. Tant bien, que mal, il se laissa persuader d’aller à l’Assemblée; & j’en donnai avis au
Doyen, le conjurant, comme une chose dont je prendrois l’obligation sur mon compte, de tenir la lettre pour non écrite, & de n’en
parler à personne. Je craignis pourtant bien qu’il n’auroit pas cette complaisance, comme je le sûs depuis. Aussi Mr de Cr.
qui ne faisoit cela qu’à contrecœur, bien loin de changer de systême, continua de plus en plus à vouloir se faire regar=
der comme au dessus de tous à tous égards, & à mépriser hautement ses Collégues, sur tout ceux de la Faculté. Il les
traitoit devant tout le monde, sur tout Mr Tilburg, d’Ignorans, d’Anes, de Bêtes; il mettoit en question, s’ils
pensoient: il se plaignoit, qu’on lui eût fait l’affront de lui donner de tels Collégues &c. Nous lui avons entendu
dire cela maintes fois en bonne compagnie. Pour mieux se distinguer encore de la foule, il quitta bien tôt le banc
des Professeurs, qui fait partie de celui du Magistrat, & s’alla mettre dans des Bancs communs, avec tout sorte de
gens. Il prit d’abord pour prétexte l’incommodité du feu qu’on met dans des marchepieds, qui se ferment. Mais
on vit que ce n’étoit qu’un prétexte, puis qu’en toute saison il demeura dans les places communes. Partout cela, bien loin
de se faire distinguer, il s’est fait mépriser de tout le monde: & il a fait plus de bien, que de mal, à ses Collégues. Car
on les a louez de n’avoir pas fait semblant de savoir la maniére injurieuse dont il parloit d’eux, & de ne pas s’en
formaliser. S’il eût à faire à des esprits vifs, comme nous en avons vû, il auroit eu de belles affaires. Mais
il en a témoigné, & dans quelque brochure Latine, & dans la Préface de la nouv. Edition de sa Logique, où en se propo=
sant 
la question de fait, pourquoi on a mis au dernier rang la Faculté des Arts, il en donne une raison la plus fausse
du monde.

Le systême d’intérêt, qu’il s’étoit fait, lui avoit fait concevoir l’espérance de s’enrichir bien tôt, par ses Colléges
particuliers, & ses Pensionnaires. Je lui avois dit, qu’il ne devoit pas compter d’avoir d’abord un grand nombre d’Audi=
teurs, & lui avois marqué les moiens de les attirer & les conserver ou augmenter, avec le tems, selon la connoissance que
j’ai du païs. Mais il a fait tout ce qu’il falloit pour les éloigner, & grossir les auditoires de ses Collégues. Il étoit, par
exemple, convenu avec moi, qu’il ne falloit pas exiger plus que ses Collégues: il voulut néanmoins, prendre le double,
aussi tôt, presque tous les Auditeurs désertérent. Je lui avois recommandé de ne point toucher à la Théologie, ni aux
Théologiens: de se contenter d’établir la Vérité, & de laisser tirer les conséquences à ceux qui l’aimeroient, & qui sauroient
1 mot biffure
en profiter; il s’est déchainé en toute occasion, à tors & à travers, contre les Théologiens en général, & tel ou tel
nommément. Il a préché l’Orgueil & la Vengeance (sur tout à l’occasion du Mariage de son autre fille, dont je
vous parlerai plus bas) à de Jeunes Gens, qui n’y ont que trop de disposition. Ses Leçons étoient entrecoupées de
mille digressions qui avoient du rapport aux passions dont il étoit agité. On le trouvoit obscur & sans ordre; on
l’entendoit parler un Latin de cuisine, tel que celui par lequel il s’est fait moquer de lui dans les Brochures
qu’il a publiées en cette Langue. Pour ce qui est des Pensionnaires, il en prenoit de toutes mains, de tout
âge, de tout prix; fournissant aux uns le Vin à la taille &c. si bien qu’on appelloit communément sa Maison
la gargotte du Professeur de Lausanne. Il se vantoit, en Charlatan, de leur apprendre tout, en très-peu de tems.
Il entroit d’ailleurs dans tous les détails du ménage, jusqu’à se commettre avec des Harangéres, dont une alla
se plaindre un jour au Président de la Ville, qui se trouvant un des Amis que je lui avois procuré, la renvoia sans
vouloir l’écouter. Ces bassesses faisoient le plus ridicule contraste avec les airs de grandeur qu’il vouloit prendre
d’ailleurs. Mais il y en a une, que je ne puis omettre, & par laquelle il m’auroit beaucoup commis, si les Sei=
gneurs ne me connoissoient. Quand il dût venir ici, il me pria de tâcher d’obtenir pour les frais de son voiage,
une somme fixe, sur laquelle il pût trouver quelque douceur. On pouvoit supposer, disoit-il, qu’il avoit beaucoup
de Livres, quoi qu’il n’en eût que très-peu, comme on l’a vû, quand il les a fait vendre ici. Il pourroit avoir
envie de passer par la France, & ainsi de faire un long voiage; quoi qu’il fût résolu à prendre la route la plus courte.
Là-dessus, je fis une proposition à Mr d’Aduard, la plus avantageuse qui se pouvoit. Mr de Cr. venant de
Lausanne, comme moi, je le priai de faire ensorte qu’on lui assignât 1500. florins, comme j’avois eu. Vous
savez que je passai par la France, & que je fus en chemin plus de deux mois. Mes livres & mon peu
d’autre bagage, coûtérent 450 florins de port. Cependant vous jugez bien que je ne voulus pas perdre. Mr de
Cr. est venu la plus grande partie du chemin par eau. Il avoit une troupe de Jeunes Gens, à qui il fit paier bien
largement leur quotte part; si bien que par ce que j’en sai, & que m’ont dit quelques-uns de la troupe, s’il a
depensé 300 florins, c’est tout au plus. Il avoit été bien content de l’assûrance que je lui avois donnée, de la
part des Curateurs, de pouvoir compter sur 1500. flor. Cependant, quand il fut ici, il en demanda 1830.
ou environ. On en fut surpris, mais vous jugerez par là, en partie, de la complaisance qu’on a euë pour lui, & à
laquelle il a si mal répondu. On ne voulut pas se prévaloir de l’accord, en vertu duquel, quand même il lui en
auroit coûté quelque petite choses, il ne pouvoit plus rien exiger, puis que je l’avois demandé pour lui à ses risques.
On lui donna donc tout ce qu’il demandoit: mais, pour lui faire voir qu’on n’étoit pas duppe (ce qu’il est accoûtumé
<3r> de penser de ceux avec qui il a à faire) on se contenta de lui faire un peu attendre le paiement; aulieu qu’en
pareil cas, je n’eus aucun retardement.

Il faut venir au personnage qu’il a joué, par rapport aux Ecclésiastiques, & à l’Orthodoxie. Je 1 mot biffure vous dirai ici d’abord,
que de moi-même, dès la prémiére fois que je proposai de l’appeller ici, je dis à quelques Seigneurs de mes Amis, qu’on
pouvoit bien s’imaginer, après le bruit qu’avoient fait les affaires du Consensus à Lausanne que si les Ecclésiastiques d’ici
vouloient se prévaloir du caractére de Ministre, pour exiger de Mr de Cr. une signature rigoureuse, on trouveroit en
lui la même résistance qu’il avoit faite dans sa Patrie: mais que, comme il n’étoit appellé ici que pour enseigner
les Mathématiques & la Philosophie, il signeroit comme tous les Professeurs de sa Faculté & des autres Supérieures, à la
Théologie près, c’est-à-dire, comme ne s’embarrassant point des disputes des Théologiens, qui n’ont aucun rapport avec
ce que les autres doivent enseigner. On me dit, que cela suffisoit, & que Mr de Cr. n’avoit rien à craindre.
Quand il fut appellé à signer avec les autres nouveaux Professeurs, le Recteur demanda la signature de la meilleure grace
du monde, & comme si on l’en avoit prié; c’étoit un Professeur en Hist. & Eloquence. Mr de Cr. au lieu de mettre
purement son nom dans le Livre, comme faisoient les autres, s’avisa d’y joindre cette quouë: Ab ineunse ætate Veri
cupidus, & pacis in dies magis ac magis amans
. Le Secrétaire ne manqua pas de la lire. Alors le second Professeur en
Théologie, Mr Verbruggen, qui étoit seul présent de sa Faculté, murmura tout bas; si bien que le Recteur fut obligé de dire à Mr.
de Cr. Cui bono Dominus addit istam causelam? Mr de Cr. ne sut répondre autre chose, si ce n’est, Ornatûs, gratiâ.
La chose en demeura là. Mais je compris bien que cela auroit quelque suite, comme vous le verrez plus bas. Quand nous
fumes de retour au logis, je lui dis en Ami, que, si j’avois pû prévoir ce qu’il vouloit ajoûter à son nom, je l’aurois
prié de ne pas le faire, comme une chose qui ne pouvoit que lui causer du chagrin sans aucune nécessité; & je
n’osai pas toucher l’autre incongruité qu’il avoit faite, en demandant d’inserer sa Noblesse dans les Régistres; croiant
néanmoins qu’il tireroit la conséquence de ce que je lui disois expressément. Quelques jours après, le Prof. en Théologie me vint
voir, pour me dire, comme Ami de Mr de Cr. que je l’engageasse à faire effacer de sa signature ce qu’il y avoit ajoûté;
parce que, dans le Synode Flamand où il devoit assister l’année prochaine, comme Professeur, quoi qu’on n’eût aucun droit de se mêler de
ce qui regarde l’Université, qui ne dépend que des Etats, on pouvoit néanmoins 4 mots biffures’informer historiquement de quelle maniére les
Professeurs signoient, & que cette addition pourroit donner de mauvaises impressions de Mr de Cr. Quoi que j’eusse desapprouvé
l’addition même, je n’en fis pas semblant, & je lui dis, que les Théologiens auroient mauvaise grace de se formaliser
de ce que Mr de Cr. avoit témoigné être dans des dispositions, où doivent être tous ceux qui professent quelle Science
que ce soit: que cependant je lui en parlerois, & qu’il feroit ce ce qu’il trouveroit bon. Mr de Cr. d’abord écrivit une
Lettre au Recteur, pour lui dire, qu’il vouloit effacer cette addition, puis qu’on s’en formalisoit; puis il changea
de sentiment: & pour le coup de la chose en demeura là. Cependant, contre ce que je lui avois dit, qu’il ne falloit pas
faire semblant de prendre garde à ce que les ecclésiastiques pensoient ou disoient de lui, il voulut leur faire sa cour. Il
1 mot biffure
 les prevint par des honnêtetez, qu’il ne leur devoit pas, & ne reçût de plusieurs, que des incivilitez grossiéres. Il dédia un
Sermon aux Pasteurs Flamands & François. Il se fit honneur du titre, qui lui étoit commun avec eux: il témoigna
vouloir précher tous les mois. Comme il vit ensuite, que cela avoit tourné d’une maniére contraire à son intention,
quelcun lui aiant même envoié une Critique anonyme du volume de ses sermons, qui seul a eté traduit en Flamand; le
voilà qui tout d’un coup ne veut plus être Ministre, au moins, disoit-il, pour cette Province. Il quitte l’habit noir
& le petit collet, & prend l’habit de cavalier. Je le vois venir un jour m’emprunter un Manteau rouge, pour aller 
au Sénat Académique, où chacun tomba des nuës à la vuë de cette nouvelle décoration. Pendant la séance, il
chercha l’occasion de la justifier, en faisant allusion à la critique Anonyme de ses sermons, de sorte que personne n’y
comprenoit rien, ni moi-même, qui ne savois pas encore qu’il eût reçû cette Piéce, car il me cachoit tout. Depuis il n’a cessé de se plaindre,
sans sujet, que les Ecclésiastiques le persécutoient, & l’accusoient mal-à-propos d’Arminianisme. Cela ne lui a pas
plus nui, qu’à moi, qui, en pareil cas, les ai laissé dire. Dans ce tems-là, il commença a parler de nouveau d’une
Vocation en Saxe; il disoit par tout, qu’il y iroit, & n’appelloit le Roi de Pologne, que son Maître. Qui auroit
crû 1 mot biffurequ’étant dans cette disposition, il auroit cherché encore à se justifier du soupçon d’Arminianisme? Cependant, au
mois de Juin de l’année passée, il jugea à propos de faire publiquement sa déclaration authentique, de son pur mouvement. Il avoit
lié grand commerce avec le prémier Professeur en Théol., Mr Driessen, grand Coccéien, qui lui donnoit de l’encens;
& il crut l’avoir persuadé de son Orthodoxie; quoi que par les discours que j’entens ai entendu tenir à celui-ci, au commencement
en présence même de Mr de Cr. je sois assûré, qu’ils ont été la duppe l’un de l’autre; Mr Driessen aiant fait accroire
à Mr de Cr. qu’il le tenoit pour bon zélateur du Synode de Dordrecht, & Mr de Cr. s’imaginant lui en avoir
baillé à garder. Ils convinrent donc entr’eux, qu’à la tête d’une Dispute, que Mr Driessen devoit faire soûtenir
Gratia Victrix  &c. Mr de Cr. répondroit à une Lettre, que le Praeses lui écriroit, pour lui demander son
<3v> sentiment. La Réponse de Mr de Cr. n’aiant pas apparemment paru à Mr Driessen assez précise, il lui serra le
bouton, & dans une autre dispute, soûtenuë en Juillet, & suite de la prémiéres il l’engagea à se déclarer encore plus
distinctement  par une seconde Lettre. Vous en jugerez: car je vous les ai envoiées toutes deux par le fils de Mr
d’Aduard. Je n’ai pas osé le charger des Disputes mêmes, parce qu’il n’apporte que peu de hardes; 1 mot biffure en cas que
vous en fussiez curieux, je pourrois vous les envoier par une autre occasion. Mais, si on ne les a pas vuës à Genéve, je
ne doute presque pas qu’elles ne soient venuës à Berne, parce que Mr Driessen, a eu le soin de les mettre en forme de
Livre, avec un titre 1 mot biffurecommun: à quoi je m’imagine que Mr de Cr. ne s’attendoit pas. Au reste, tout le monde a regardé cela comme un jeu: & Mr Driessen aiant
aussi ses Ennemis, sur tout Voëtiens, cela a donné lieu de dire que ces Mrs s’entendoient, comme Larrons en
foire. Mr. de Cr. dit alors à quelcun, qu’il s’étoit sauvé à la faveur d’une équivoque. Pour moi, je
ne suis pas assez fin, pour la démêler: & je me contentai de dire de Mr de Cr. à quelcun de mes Collégues:
Haec est res, quæ neque amicos facit, neque inimicos tollit. J’oubliois presque de dire, ce qu’il fit, à peu
près dans le même tems, au sujet de la signature. Il demanda au recteur une Assemblée, & dans l’Assemblée il
pria qu’on lui laissât effacer la queue, Abineunte œtale Veri cupidus &c. Tout le monde fut obligé de convenir
qu’il n’y avoit là rien de mauvais. Pour moi, je me moquai hautement du Synode, que l’on disoit qui se formali=
seroit de l’addition de ces paroles, mais j’ajoûtai, que puis que celui-là même qui les avoit écrites, demandoit
de les effacer, on ne pouvoit pas le lui refuser. Je suis sûr, que si le Synode lui-même avoit demandé qu’on
y obligeât Mr de Cr. l’Université l’auroit refusé unanimément. Cela donna lieu de dire en raillant, Que Mr de Cr.
se reconnoissoit lui-même fort éloigné d’aimer la Vérité & moins encore la Paix.

Enfin, voici le dernier Acte de la Comédie (car je me lasse d’écrire sur ce sujet, autant que vous vous lasserez de
lire) & ceci se rapporte en partie au systême général que Mr de Cr. s’étoit fait, de changer tout ici, à son gré,
jusqu’aux Loix du païs. Son autre fille s’engagea de bonne heure dans une inclination, qui, comme il a paru
par la suite, étoit légitime de part & d’autre. Le Pére & la Mére ne pouvoient qu’appercevoir ce que tout le monde
voioit; & la Fille elle-même se déclara bien tôt à eux là-dessus, d’une maniére qui marquoit une grande résolution. On
s’y opposa d’abord en apparence, par cette unique raison, que le Galant n’était pas noble; pendant qu’on souffroit
le commerce impudique de la cadette avec un Galant encore moins noble. Celui de l’Ainée est ce Mr Tavel,
qui vous apporta de ma part le Juge compétent des Ambassad. Son Pére est Advoyer de Payerne; & lui a été
Gouverneur de Mr d’Hoogkerke, que vous verrez bien tôt. Cependant on souffrit toûjours, à la vuë de tout le
monde, que Mr Tavel vît à toute heure Mlle de Crousaz. Elle a toûjours assuré, & soutenu à face de
son Pére, qu’il lui avoit donnée enfin son approbation pour ce mariage; & Mr d’Aduard, qui tâcha de 1 mot biffuregagner 
depuis 
Mr de Cr. m’a dit, qu’il en étoit persuadé, par la maniére même dont Mr de Cr. le nioit. Quoi qu’=
il en soit, la Fille pressa la Conclusion de l’affaire, & il a paru depuis que c’étoit par nécessité, puis qu’elle a
accouché quatre mois après les Nôces. Le Pére s’obstina de plus en plus à refuser son consentement, malgré les ins=
tances qu’on lui fit faire encore par Mr Driessen. Il ne parla que de tuer Mr Tavel, disant, que, s’il ne le
faisoit pas, les Parens de Lausanne ne manqueroient pas de venger un tel affront, qui ne pouvoit se laver que
dans le sang. Il débita cette morale par tout, & dans ses Colléges mêmes. Il s’emporta en public devant tout le
monde, vomit des imprécations, & lâcha les termes les plus dignes d’un Crocheteur. Un jour que j’allois dans une
Maison où il n’avoit jamais été, & où ma Femme étoit avec sa Fille, il m’attendit pour y venir avec moi,
croiant que Mr Tavel y étoit, comme cela se trouva ainsi. Après avoir dit à l’oreille, mais assez haut, bien
des duretez à sa Fille, il parut comme un Furieux, tirant de tems en tems son Epée à moitié hors du
fourreau; dont quelques Femmes de la Compagnie pensérent évanouïr, dans la crainte de quelque malheur.
Deux jours aprés, étant venu chez moi, & aiant mis la conversation sur le chapitre de ce Mariage, avec ses
emportemens ordinaires, je le conjurai d’appeller à son secours la Philosophie & le Christianisme, de consi=
derer le tort qu’il se faisoit &c. Il me soutînt, que ni la Philosophie, ni le Christianisme, ne l’engageoient à souffrir
un pareil affront; qu’il auroit la vie de Tavel, ou lui la sienne, & cent autres extravagances. Enfin, sa fille
n’aiant pû rien obtenir, & se voiant matlraitée chaque jour, sortit un soir de chez lui, & alla se réfugier
chez une vieille Dame Françoise, de la famille des Bergeries. Comme cette Dame demeure près de chez nous, Mlle de Crousaz
nous vint voir, & nous déclara la ferme résolution où elle étoit de ne plus retourner chez son Pére. Je suis Ami

de Mr Tavel, depuis lon tems, & Mr d’Aduard, chez qui il demeuroit encore, est mon grand Patron. Je ne
pouvois ni rompre avec lui pour cette raison, ni fermer la porte de ma Maison à Mlle de Cr. Nous crumes
même, que, comme elle auroit été obligée d’aller dans un Cabaret, la Dame, chez qui elle logeoit, n’aiant pas même
une servante pout lui apprêter à manger à elle-même, il valloit encore mieux, que Mlle de Cr. mangeât chez
nous. Mr. de Cr. aiant sû qu’elle y étoit, vint un jour prier ma Femme de lui laisser parler à sa Fille pour
<4r> la derniére fois. Mlle de Cr. qui avoit vû venir son Pére, d’une fenêtre, s’étoit allée incessamment enfermer à la Clé
dans une Chambre, après avoir protesté qu’elle ne vouloit absolument avoir aucune entrevuë avec 1 mot biffurelui, aprés les
choses affreuses qui étoient sorties de sa bouche, le jour qu’elle avoit quitté la Maison. Ainsi il n’étoit pas au pouvoir de ma
Femme de procurer cette entrevuë; pour laquelle d’ailleurs il auroit dû plûtôt aller dans l’endroit où elle se logeait. Ce=
pendant, sans lui dire ouï, ou non, là dessus, ma Femme lui demanda: Mais, Mr étes vous bien en état de parler
à vôtre Fille? Alors il commença à s’emporter furieusement: Je ne veux, que lui demander, si elle préfére Tavel à
moi? Ma femme lui repliqua, que, s’il vouloit parler de la préférence par rapport au Mariage, il pouvoit bien
juger qu’oui, par la démarche extraordinaire que sa fille avoit faite, après quoi il devroit être le prémier à presser la
conclusion de l’affaire. Là-dessus, il s’en alla tout furieux. Comme on le reconduisoit, il repéta encore, que ses
parents, s’il ne le pouvoit lui-même & sur tout son Gendre de Chesaux, laveroient l’affront dans le sang du
séducteur. Je ne pûs m’empêcher de lui-dire, que ce mot de Séducteur étoit bien fort, & que la fille n’étoit pas
d’un âge à être séduite. Ma femme, de son côté, releva ce qu’il avoit dit de Mr de Chesaux, & témoigna
le croire incapable d’être dans de tels principes, moins encore de les suivre. Je suis donc un Menteur, dit-il. Non,
repliqua ma Femme, mais vous étes en colére. Là-dessus, il protesta, en sortant de la porte, qu’il regardoit comme ses
Bourreaux, tous ceux qui auroient le moindre commerce avec Tavel & sa fille. Ma femme poussée à bout,
lui dit, qu’on ne romproit pas pour cela avec eux. Cependant on suivoit les formalitez de Justice, & le Magis=
trat eut encore la complaisance de ne pas faire citer Mr de Cr. à la Maison de Ville, pour déclarer les raisons
qu’il avoit de s’opposer au Mariage de sa Fille. On nomma une Commission de quelques Seigneurs, qui le
firent prier de se rendre dans la Maison d’un Curateur. Il fit un Discours d’une demie-heure, dans lequel, après
avoir rabbaissé au plus bas degré l’extraction de son Gendre futur, il étala pompeusement sa Noblesse, & celle de
ses Parens & Gendres, sur tout de Mr de Chappelle. Il fit descendre celui-ci des anciens Rois de Bourgogne, & insi=
nua, que ses Ancêtres avoient droit à la Couronne de France, préférablement aux branches auxquelles elle a
passé. Mais cette raison unique, qu’il alleguoit, n’étant pas valable selon les Loix, on permit à la Fille de se ma=
rier. Il s’est déchaîné là-dessus contre le Magistrat, comme si on lui avoit fait une grande injustice. Il prétendoit être
jugé selon les Loix de Lausanne; en quoi il faisoit deux suppositions également fausses, l’une de droit, l’autre de fait: car je
ne crois pas qu’à Lausanne, on empêchât de se marier une Fille qui a passé trente ans, malgré l’opposition de ses
Parens. J’appris, au reste, que dans son discours, il avoit insinué, que l’évasion de sa Fille avoit été procurée
par les conseils de ma Femme. Un autre auroit fait des perquisitions là-dessus, pour demander réparation d’une
chose si fausse: mais je méprisai cela, comme étant persuadé que personne n’en croiroit rien. Quelques jours après, il me
renvoia un Volume de lHist. de L’Adad. Roiale des Sciences, que je lui prétois Tome après Tome (car il n’a pas même eu
jamais ce Livre, quoi qu’il soit à présent Membre de l’Acad.) & il accompagna le volume d’une Lettre, où, après m’avoir
dit, qu’il ne me demandoit plus la continuation, il faisoit une espéce de Déclaration de Guerre, qui finissoit par ces mots de
l’Ecriture: Dieu soit Juge entre vous & moi. Il y accusoit bien entêtement ma Femme d’être la cause de ce que
Mlle Crousaz avoit fait, de lui retenir ce volume &c. Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’il m’y reprochoit ma
vocation à Lausanne, à laquelle s’il avoit contribué, c’étoit en bonne compagnie, & sans aucune sollicitation de ma
part. Je lui répondis sur le champ, comme il le méritoit, & peut-être avec plus de modération que tout autre
n’auroit fait en pareil cas. Il avoit montré sa lettre, avant que de l’envoier, à tous ses pensionnaires. Un Proposant Suisse,
qui étoit de ce nombre, fit tout ce qu’il put pour l’en empêcher, mais inutilement. Il n’eut garde de leur montrer
ma réponse, qui étoit courte & à brule pourpoint; quoi que, pour le reproche de ma vocation à Lausanne, je lui eusse
laissé à lui-même la réponse à faire. Pour rendre sa rupture plus solennelle, il obligega sa Femme à quitter le Banc de
Femmes de Professeur, où elle s’étoit mise jusqu’alors, & à aller se placer, comme lui, avec toute sorte de gens. Depuis il déclara,
qu’il vouloit s’en aller: mais on fut bien surpris qu’il ne parloit plus de cette belle vocation de Saxe, qui s’étoit évanouië.
Il écrivit à Berne, qu’il reviendroit au Printems à Lausanne; & il commença à vendre quelques uns de ses Meubles, & ses
Livres, On fut encore tout étonné de lui voir reprendre l’habit noir & le petit collet: on disoit, Aujourd’hui dans un
casque, & demain dans un froc. Mais au commencement de cette année, il 1 mot biffure parla d’aller à Cassel, pour être Gou=
verneur d’un Enfant de cinq ans, fils du Prince Guillaume. Depuis cela, il a regardé comme au dessous de lui le titre de
Professeur, qu’il vouloit, disoit-il, laisser à Groningue, & il n’a fait qu’étaler l’élévation du poste qui l’attendoit, mais qu’aucun
Professeur assurément ne lui envia, quelques titres mêmes qui puissent s’y joindre d’ailleurs, & dont en Allemagne on est
plus libéral, que d’argent. Le tems nous apprendra, s’il s’en trouvera mieux; car il partit le 20. de ce mois: de l’humeur
qu’il est, s’il ne change beaucoup, ce qui est peu à esperer, je ne crois pas qu’il s’accomode mieux du génie des Cours
& de la Nation Allemande, que des mœurs de ces Provinces. On peut assûrer, que jamais homme, qui auroit sagement
pris son parti en quittant sa patrie, n’auroit sû vivre plus content, que lui, ici. Quelque petite jalousie qu’il pût y avoir
contre lui, & sur quoi je l’avois prévenu, j’avois disposé les choses de telle maniére, par moi-même, & par des Amis puissans,
qu’on étoit en général à son égard dans la prévention la plus favorable. Il a lui-même écrit dans vos quartiers, les
honnêtez que chacun lui faisoit; & les Envieux mêmes étoient obligez par là de faire comme les autres. Les Seigneurs
<4v> outre les autres complaisances dont je vous ai parlé, voulurent bien faire pour lui la dépense de nouveaux Instrumens de Physique
& de Mathématiques. On en avoit déja: mais il ne voulut pas en avoir l’usage commun avec son Collégue Tilburg,
on a dépensé pour ceux qu’il a fait acheter, 800. florins. De sorte que sa promenade à Groningue a coûté à la Province
plus de cinq mille florins. Une autre chose, qui n’est pas publique, & qu’il ne croit pas que je sâche, mais que je tiens de
bonne part, c’est qu’après un voiage qu’il fit en Frise, la Cour avoit formé le dessein d’envoier ici le Jeune Prince, à l’occasion
de Mr. de Cr. pour commencer ses études Académiques, avant que d’aller à Franeker, où il est en quelque façon obligé d’étudier
quelque tems. Mais la mauvaise conduite de Mr de Cr. & la mauvaise réputation qu’il s’étoit aquise, firent rompre ce
projet. Quelque honneur & quelque avantage que nôtre Province eût retiré de la présence de son Stathouder, quelques Seigneurs
m’on témoigné se consoler aisément de ce que ce projet n’avoit pas été exécuté, par la raison qu’ils craignoient que Mr de Cr.
n’inspirât à ce Jeune Prince des airs de fierté qui ne conviennent nullement à l’état de ces Provinces. Maintenant qu’il s’en
est allé, on chercheroit long tems dans Groningue, une seule personne que le regrettât sincérement. Il aura beau faire, comme il a commencé, des portraits
horribles des gens de ce païs, je doute qu’on l’en croie. On n’est pas des Ours, ni des Bêtes; & je ne sai si, parmi les Femmes
d’une condition médiocre, on en trouveroit quelcune qui eût des naïvetez grossiéres & indiscrétes, comme celles par lesquelles
Madame de Crousaz s’est fait admirer ici. Les gens, que Mr de Cr. a pris pour dupper, sont plus fins, que lui
avec tout leur sang froid. Il y a, comme ailleurs, des gens de mérite, & même des gens d’esprit, qui n’envient point à Mr de
Cr. la vivacité dont il fait un si mauvais usage.

Je ne finirois jamais, Monsieur, si je voulois rapporter tout ce que je pourrois dire sur la matière inépuisable que Mr de C.
a fournie pendant un séjour si court. Mais il a fallu vous décharger mon coeur une fois pour toutes, & je veux désormais éloigner
toutes les pensées qui s'y rapportent. Ce faux Ami, indigne & incapable d'en avoir de vrais, est venu ici troubler mon repos,
& ce dont je me promettois une des plus grandes douceur de ma vie, a été pour moi une source de chagrins. Mais je commence
à respirer, depuis qu'il est loin.

Mais il ne sera pas dit, que ma Lettre, quoi que longue, roule toute sur un sujet si desagréable. Je vous ai marqué en
passant, que le fils de Mr d’Aduard va enfin à Genéve; il est parti d’ici il y a huit jours, pour aller joindre à La
Haie Mr Fatio, avec qui il ira à Paris, & de là chez vous, pour pouvoir être à Genéve au commencement des leçons.
Il n’est pas nécessaire de vous recommander ce Jeune Gentilhomme, après ce que vous m’avez promis autrefois. Le mémoire,
que vous m’envoiâtes de la part de Mr Galletin, ne parvint à moi, que 7 ou 8 mois après sa datte. Je l’envoiai à
Mr d’Aduard, & j’ai compris qu’on avoit trouvé un peu fortes les conditions. Quoi qu’il en soit, Mr d’Aduard
m’étant venu voir il y a quelque tems, me dit, qu’il avoit jugé à propos d’assigner une somme par an à son
fils, & de lui laisser le soin, quand il seroit sur les lieux, de voir ce qu’il y avoit de meilleur à faire. C’est sur
quoi je vous prie de lui donner vos bons avis: aussi bien que de me marquer ce qu’il fera, & de quelle maniére
il se conduira. J’en ai bonne opinion, autant que je le puis connaître par une fréquentation assiduë. Il n’a pas de
la vivacité, mais il a du bon sens; & n’est sujet à aucun des excès, auxquels la Jeunesse ne se laisse que trop
aller. Je ne doute pas qu’il ne profite beaucoup du séjour qu’il fera chez vous, non pas tant pour l’Ètude (car on n’en
veut pas faire un Docteur, quoi qu’on soit bien aise qu’il apprenne tout ce qui lui convient) que pour les maniéres &
la connoissance du monde. Il est déja Membre des Etats de la Province, & il pourroit avoir des Emplois, dont Mr son
Pére aime mieux lorsque qu’il se passe encore, pour s’en rendre capable par ses Voiages. Je lui ai aussi donné un mot de
Lettre pour Mr Lullin.

On m’a envoié d’Amsterdam l’Histoire des troubles de Suisse à l’occasion du Consensus. Je m’attendois bien à y voir
la Lettre que j’écrivis à Berne; au nom de l’Académie de Lausanne: mais j’ai été bien surpris d’y trouver aussi
celle que j’avois écrite à Mr Sinner, avec toute la liberté dont j’aurois pû lui parler en conversation, & d’ailleurs,
comme je m’en souviens, assez à la hâte. Quoi que je susse, que Mr Sinner l’avoit montré cette Lettre à bien des
gens, un Professeur de Berne en aiant même écrit à un de nos Théologiens de l’Université; je ne croiois pas qu’il
en eût donné copie. Si j’avois pû prévoir, quelle dût paroître en public, j’aurois bien dit la même chose,
mais j’aurois plus ménagé les expressions. Les Coccéjens, qui pourront la lire, vont être bien irritez contre moi.
A la bonne heure, plus qu’il n’y a plus de reméde. Il me semble pourtant, qu’on n’auroit pas dû imprimer
une telle Lettre sans ma participation.

Le Jugement que vous faites de ma Défense du droit de la Comp. Holl. m’est fort glorieux. Je crois avoir
prévenu, dans la Piéce même, les difficultez que vous proposer sur la matiére, & par rapport à Grotius. On m’a
envoié une Piéce publiée à Vienne, & que l’on dit être, comme il y a grande apparence, de Mr Du
Mont
, qui fait imprimer le Grand Recueil des Traitez. Cette réponse est très-peu de chose, & laisse mon
Ecrit en son entier. Il s’excuse de me répondre, par la longueur de ma Piéce: & d’autre côté, il abandonne
bien des choses, que ceux qui ont écrit avant lui avoient avancées. Du reste, il ne dit rien de plus pour le
fond de la question & des grandes preuves. Si Mrs de la Compagnie ne m’en prient, je ne me mettrai point
en peine de rien repliquer. Le Procés paroît assez instruit, pour qui voudra en juger sans prévention. Mais ce
ne sera pas au fond par le Droit que la question se décidera. On sait assez comment les choses vont entre les
Puissances: & que l’Intérête ou la Politique l’emportent sur toute autre considération.

<5r>Il paroît un nouveau Journal, qui n’a rien d’exquis, sous le titre d’Histoire Litteraire de l’Europe, dont on donne une
brochure tous les mois. Je n’ai pas encore vû le Lucréce Variorum, que Mr Havercamp a publié à Leide sur
la fin de l’année passée, en 2 voll. in 4° & dont on n’a pas tiré un grand nombre d’exemplaires, le Livre
aiant été imprimé en partie par souscription. J’ai reçû la Théologie Physique de Mr Derham, qu’on a
traduite en François. Vous aurez peut-être vû la Traduction de l’Ebauche de la Religion Natur. par feu
M. Wollaston. Elle n’est pas des meilleures; & le Traducteur y a ajoûté des supplémens mal assortis, surtout une
impertinente Dissertation de la prénotion physiqueMr de Maizeaux vient de publier une nouvelle Edition
des Œuvres de S.t Evremont, & ou Mélange, en 7 voll. augmentée, retouchée, & retranchée. Il a ôté, par exem=
ple, du Mélange: le Colomesiana, qu’il doit publier à part, avec les Scaligerana, Perroniana, Thuana, &c.
qu’il accompagnera de Notes. Il paroît un III. volume des Mémoires du Tzar Pierre le Grand; & une
Biblioth. hist. & critique des Auteurs de la Congrégation de S.t Maur, par le P. Le Cerf. On a donné
une nouvelle Edition des Quinze joyes du Mariage, & autres anciennes Piéces Gauloises de ce genre.
Nous avons le 3. & 4. volume de la Sylloge Epistolarum Lipsii, Grævii, Gronovii &c. publiée par Mr
Burman, qui y en joindra un cinquiéme & dernier. A propos de Mr Burman, vous aurez pû voir le
Quintilien, in fol. publié à Paris, par Mr Capperonnier, qui y reléve souvent, à ce que j’apprens, ce
Critique superbe; car j’attens encore cette Edition, qui ne fait que d’arriver en Hollande. On imprime à Amsterd.
une Hist. véritable & secrette d’Angleterre, traduite de l’Anglois, mais qui, à ce qu’on me marque, ne
vaut pas grand'chose. Mr de la Chapelle va reprendre sa Biblioth. Angloise Voilà toutes les nou=
velles literaires, qui me viennent dans l’esprit. J’ajoûterai seulement, qu’enfin mon grand Pufendorf est
sous presse, mais la prémiére feuille, quoi que composée, n’est pas encore tirée, faute de papier, & par la
négligence inconcevable du Libraire, qui, depuis plus de cinq ans, n’a plus un seul exemplaire de
l’Edition précédente. Je n’ai point vû la Traduct. de Sextus Empiricus par Mr Huart; & je ne sai
s’il entend assez bien le Grec, & sur tout le François, pour un tel Ouvrage, dont le Public, je crois, auroit
bien pû se passer.

Je vous ai écrit tout ceci à bâtons rompus, & dans l’intervalle de 1 mot biffuretrois postes; n’aiant pu achever
les jours de la 1. & de la 2. de sorte que je finis le 6 d'Avril. Vous n’avez jamais eu & vous n’aurez
jamais de moi de Lettre si longue & si ennuiante. Vous me pardonnerez, par la nécessité où vous verrez que
j’ai été. Ma femme vous salue; Elle, & moi, saluons Madame Turretin, & Mr vôtre fils. Je suis &c

B.

Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 30 mars 1726, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 244-248. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/999/, version du 10.02.2024.
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