Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 25 mars 1724

A Groningue ce 25 Mars 1724.

J’ai appris, Monsieur, de vos nouvelles avec un singulier plaisir, par vôtre lettre écrite il y a plus d’un mois, & je
conjecture de vôtre silence sur ce qui regarde vôtre santé, qu’elle n’est pas du moins plus mauvaise qu’à l’ordi=
naire. Je voudrois apprendre, qu’elle fût tout à fait bonne. J’espère que vous aurez reçu mon Grotius; il a
été mis dans une balle de Mr Vasserot d’Amsterdam, frére de celui dont on m’a appris la mort, qui ne l’a
pas laissé jouïr long tems de ses immenses richesses. Il faut que vous sâchiez, que Mr de la Motte, sur qui je
me repose de mes petites affaires, a envoié cet exemplaire pour vous à mon insû, avant que je lui eusse
marqué la distribution des exemplaires pour divers endroits. Il savoit qu’il n’avoit pas besoin d’ordre pour vous
faire venir un exemplaire de ma part, & il profita de l’occasion qui se présentoit. Cela est cause qu’il a
fallu attendre une autre occasion pour envoier un exemplaire que j’ai toûjours destiné à Mr de Cambiague, &
que j’aurois fait joindre au vôtre, si j’avois été averti à tems. Les grandes occupations de Mr de la Motte
sont cause que je suis quelquefois assez long tems sans avoir de ses nouvelles. Mais l’exemplaire de Mr de
Cambiague ne tardera pas: il est en chemin dans une balle qu’on envoie à Mr Polier, à qui j’ai écrit aujour=
dui, & qui, je m’assûre, envoiera le Livre à son adresse, aussi tôt qu’il l’aura reçu. Au reste, je ne sai pas
encore quel accueil le Roi d’Angleterre aura fait à mon Livre: quelque 1 mot biffurecontretems imprêvû a fait que
l’exemplaire envoié en Angleterre y est arrivé que tard. Je sai seulement par une voie indirecte que
le Livre a été présenté au Roi, & à la Princesse de Galles. Mr de la Motte attend tous les jours des
nouvelles, sur ce sujet, de Mr Coste, qui est celui par l’entremise duquel tout s’est fait. Si j’avois
pû être informé à tems & des rélations que vous avez avec Mylord Townshend, & de vos offres
obligeantes, je les aurois acceptées avec plaisir. Je ne vous en suis pas moins obligé, & je vois de plus
en plus vôtre compressement généreux à chercher toutes les occasions de me donner des marques de
vôtre affection.

J’apprends avec déplaisir la mort de Mr Jalabert. C’est une perte & pour ses Amis, & pour
vôtre Académie. Je souhaitte qu’il aît un Successeur, qui vous en console. Si j’avois sû sa mort,
j’aurois pensé aussi tôt à Mr Gallatin, pour le fils de Mr d’Aduard; & je vous suis fort
obligé de la peine que vous vous étes donnée pour m’indiquer sa maison, où je suis sûr que
ce Jeune Gentilhomme trouvera tout ce qui lui convient. J’en ai informé Mr d’Aduard, qui est fort
content, & sur ce que vous me dites, & sur ce que je lui ai appris comme connaissant Monsier Gallatin.
Il est fâché de ne pouvoir pas encore profiter d’une si bonne occasion pour son Fils: Il espére
de l’envoier dans un an, & qu’entre-ci & ces tems-là on pourra prendre des mesures en sorte que Mr
Gallatin soit en état de le recevoir chez lui, où il compte de le laisser pendant l’espace de deux ans. En
attendant, comme il est bien aise de voir comment il réglera la dépense de son fils, il souhaitte de
savoir, ce qu’il donneroit pour un Gouverneur, & un Laquais. Ce que l’on comprend sous la pension,
dont vous m’avez marqué le prix; si c’est la table seulement, ou si l’on fournit aussi le
chauffage, la chandelle, caffé, thé à l’ordinaire &c. Je n’ai pû lui rien dire là-dessus, parce que je n’en
sai rien, & que ces sortes de choses varient selon les lieux. Ainsi je vous prie, à vôtre commodité, de me fournir là-=
dessus des éclaircissemens dont je puisse faire part à ce Seigneur; & de continuer à son Fils la bonne volonté que
vous avez de vous intéresser pour lui, quand il sera à portée d’en profiter.

J’ai vû la Dissertation Latine de Mr vôtre Cousin le Professeur en Théologie: Mr Polier me l’envoia l’année
passée. Je suis bien aise d’apprendre qu’on l’a traduite en François, & je ne doute pas que les Supplémens ne
soient dignes du reste de la piéce. Je la recevrai avec joie, & je vous rends graces de ce que vous voulez bien me
l’envoier.

Vous savez peut-être qu’on rimprime le Traité de Grotius, de Verit. Relig. Christ. & que Mr le
Clerc
y ajoûte une Dissertation contre l’Indifférence des Religions. Wetstein rimprime aussi l’Horace de
Mr Dacier, avec quelques additions posthumes, qui sont la plûpart contre Mr Bentley: mais l’Edition
ne sera pas belle. On rimprime encore les Œuvres de Rousseau, sur l’edition imprimée en Angleterre par
souscription; & augmentée de quelques piéces que l’Auteur a fournies. La Traduction du Tatler, par Mr
de la Chapelle, est sous presse. Cela a retardé la Bibl. Angloise, mais on la promet désormais, régulié-=
rement. Vous avez sans doute reçu les 2. prémiers volumes de l’Hist. d’Angleterre de Mr de Rapin,
& je crois que vous serez content de la maniére dont il exécute son projet. Il paroît un volume
des Cérémonies & Coûtûmes des Peuples Idolatres &c. mais, qui, aux figures près, n’est pas grand’chose.
Cet Ouvrage s’imprime aussi par souscription: & je ne sai qui en est l’Auteur; cela m’est suspect. On
m’écrit de Paris, que le Supplément de l’Antiquité expliquée par le P. de Montfaucon sera achevé
<1v> à la Pentecôte prochaine. Le fameux Nouveau-Converti Mr Brueys est mort. Il avoit envoié
à Paris, pour faire imprimer, un Ms. De l’usage de la Raison sur les objets de la Foi, qui, à ce qu’on
me marque, est bien écrit, mais où il n’y a rien de nouveau. Je le crois bien, & peut-être rien de
bon. Mr Camuzat, Auteur de la Biblioth. Françoise, est retourné à Paris, où il a été fait un
des examinateurs des Livres. Du Limiers est allé demeurer à Utrecht, pour y faire la Gazette.
La Ville lui donne pour cela 200. florins; & la Compagnie des Loteries, 800. Je ne sai ce que c’est
qu’un Livre que je dois recevoir, que Mr des Maizeaux a publié, en Anglois apparemment, contre
Mr Whiston. Il faut qu’il y aît quelque chose de scabreux, puis qu’à ce qu’on dit, l’Evêque
de Lichtfield & Coventry travaille à y répondre, aussi bien que Mr Sykes. Le Journal Literaire de Mr
Van Esten, si souvent interrompu, semble se remettre sur pié: on me mande, que la I Partie du Tome
XII paroît, & qu’on promet au prémier jour la II partie du Tome XI & du Tome XII. On a imprimé à
Paris une nouvelle Traduction Françoise du Tr. de Grotius, de la  Vérité de la Rel. Chrét. je ne sai de qui elle
est. Mr Van der Muelen a fait imprimer (ou plûtôt rimprimer, quoi que le titre n’en dise rien)
à Utrecht, un gros in 4° sur les Titres du Digeste De Just. & Jure, & de Origine Juris. Ce n’est qu’une
mauvaise & ennuïeuse compilation. Ce que j’ai eu à dire de son Commentaire sur Grotius, dans la Préface
de ma Traduction, m’a fait embarrassé, par l’envie que j’avois & de ne pas le choquer, & de ne pas
témoigner beaucoup d’estime pour un travail de même genre que celui qu’il vient de remettre au jour.

Je suis occupé à revoir mon grand Pufendorf pour une nouvelle edition, qui seroit déja commencée,
si je n’avois voulu avoir un peu d’avancce. J’ai déja retouché les 2. premiers Livres, & je me suis engagé dans
un grand travail: mais aussi cette Edition enterrera les précédentes. Il y aura un grand nombre d’additions,
grandes ou petites; bien des endroits refondus & dans le Texte, & dans les Notes. Tout sera accommodé
avec Grotius, ces deux Ouvrages devant être désormais inséparables: & par cet effet, aussi bien que pour
ménager le terrain, j’ôte des Notes tout ce qui se trouve dans Grotius, ou dans l’Abrégé de Pufendorf.
J’y joindrai aussi une dissertation, aussi courte qu’il sera possible, pour répondre au gros Livre du P.
Ceillier, touchant la Morale des Péres. J’y parlerai aussi hardiment qu’il se pourra, en Protestant
qui suit les principes de la Réformation, dont tant de Zélateurs s’éloignent si fort.

Mr Chauvin, dont vous me demandez des nouvelles, par rapport à sa famille, a auprès de lui
sa seconde Fille. La troisiéme, mariée depuis long tems avec son Cousin germain, capitaine dans
les Troupes de Hollande, est en garnison présentement à Venloo. Le Fils étoit Lieutenant de
Cavalerie. Sur quelque injustice qu’on lui fit par rapport aux avancemens, il eut l’imprudence
de se joindre à d’autres qui demandoient leur congé pour même cause; & ils l’obtinrent aisément
d’un Roi aussi absolu, que le Roi de Prusse. Il s’est depuis jetté dans le négoce, & marié à
Berlin, où il demeure. Pour nos Enfans, Antoine est fort reculé pour son âge, à cause de
la foiblesse de son tempérament, & des grandes maladies qu’il a euës. Il commence à se fortifier,
mais son esprit se ressent encore de la foiblesse de son corps. Il est au moins d’un naturel
doux & docile. Esther est assez faite pour son âge, & aime beaucoup la lecture. Il lui manque
d’être dans un endroit où la Jeunesse puisse se polir, plus qu’ici.

Je m’imagine que Mr vôtre fils est déja un Docteur, de l’air dont il a commencé, &
avec tous les avantages du Corps & de l’Esprit. Je fais bien des vœux pour lui & pour le
reste de vôtre famille. Ma femme, qui depuis le commencement de cette année est incommodée
de vapeurs opiniâtres, vous fait bien des amitiez; elle & moi assûrons de nos respects Madame
Turretin. Je suis, avec les sentimens ordinaires les plus vifs & les plus sincéres

Monsieur, Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur,

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin (Jean Alphonse) 
Pasteur & Professeur en Theologie & en
Hist: 
​Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 25 mars 1724, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 237-238. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/995/, version du 10.02.2024.
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